Éditorial - Pour une prévention des risques continentaux intégrée aux missions de l’Union européenne

Nécessité pour qu’elle soit forte, l’Europe doit se doter d’instruments permettant l’identification et l’anticipation des risques auxquels elle est confrontée. La récente montée des tensions entre la Russie et l’Ukraine et les doutes quant à la continuité des livraisons de gaz russe en Europe illustre cet impensé de l’intégration européenne. Alors que la question énergétique européenne est essentielle, on notera avec un certain désarroi (ou résignation) le rôle majeur joué par les États-Unis dans la recherche de solutions alternatives au gaz russe pour pourvoir aux besoins européens, utilisant ses relations fortes avec ses alliés moyen-orientaux, notamment le Qatar. Une telle anticipation des risques n’impliquerait par ailleurs pas ipso facto une expansion des compétences existantes de l’Union, mais permettrait de doter les États-membres d’un outil de prospection et d’analyse crucial dans l’exercice de leurs prérogatives nationales.

Au travers de l’intégration des États-membres et de la mise en commun de compétences auparavant nationales, l’Union européenne a acquis plus de compétences et surtout plus de prérogatives (notamment en matière de régulation des énergies, des marchés mais également en matière de protection des frontières et de gestion des données) qui font d’elle un poids lourd de la croissance économique mondiale[1]. De la même façon, l’intégration dans d’autres domaines, comme les migrations, a contribué au développement des pays-membres. Ce faisant, ces gains de parts de marché et cette croissance économique la rend également plus vulnérable aux actes malveillants, qu’ils soient économiques ou autres. On pense notamment à l’espionnage économique, aux cyber-attaques. De même, il en est de même pour les risques naturels ou imprévus (catastrophes naturelles, industrielles…). Anticiper ces risques est tout particulièrement essentiel compte tenu de l’interdépendance des États-membres qui empêche de considérer tout risque concernant un État comme sans effet sur les autres (n’a-t-on pas vu une Europe inquiète alors que l’économie allemande fut affaiblie par la crise sanitaire).

Face à ce constat, que faire ? Assurément, une meilleure coordination des États-membres dans la gestion de ces domaines (notamment en matière sanitaire, pour la vaccination ; on se souvient du temps perdu en raison des divergences d’approche quant à la manière d’acquérir les vaccins) serait la clef pour répondre aux risques et aux crises de manière optimale. Cependant, une telle coordination nécessiterait des réformes structurelles majeures, ou qui, à tout le moins, requérait un consensus large auprès des États-membres. La conjoncture n’est pas actuellement favorable à une telle réforme. Le deuxième axe de prévention et d’anticipation de ces risques passerait par la réalisation en continu d’analyse des risques et de planification des crises qui y seraient associés en y joignant les deux échelons de l’Union, le niveau national et le niveau européen.

Ces missions d’analyse et de prospective sur les risques pourraient prendre la forme d’une mission tout d’abord confiée aux agences européennes de coordination existantes. Elles constituent d’ores et déjà des échelons de coopération essentiels en ce qu’elles contribuent à harmoniser les politiques (à tout le moins elles les influent) nationales entre elles. L’intégration de cette dimension d’anticipation et de prévention permet. Europol pourrait notamment se doter d’une politique de prévention du cybercrime en intégrant dans ses missions la surveillance des infrastructures critiques. 

Enfin, ce réseau d’agences ne se substituerait pas à l’initiative des pays membres et instances décisionnelles de l’union. Elles contribueraient au contraire à enrichir les décisions, proposer des mesures dans les finalités énoncées. Ce faisant, un besoin de coordination demeure : comment s’assurer que les mesures de prévention des risques conçues par une agence tiennent compte des intérêts de l’Union supérieurs au domaine dans lequel cette dernière est compétente ? Le Conseil de sécurité nationale américain est à cet égard inspirant. Il se compose de plus d’une centaine d’agents chargés d’identifier les enjeux stratégiques pour les États-Unis afin de concevoir les politiques adaptés à la gestion de ces risques. Il existe ainsi un Conseil à la sécurité nationale (National Security Council) pour la sécurité nationale dans toutes ses composantes (de politique étrangère, sanitaires, économiques, numériques…).

À certains égards, l’anticipation des risques est au cœur des missions d de ce conseil. On notera notamment la récente réunion du NSC à propos de la question de l’intelligence artificielle autour du conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan[2]. Surtout, en sus d’être composé d’un pool d’agents autonomes et directement rattachés à ce conseil, il constitue une plate-forme de rencontre entre les différentes agences compétentes dans ce domaine (notamment la communauté du renseignement, en plus de certaines agences majeures faisant partie de la communauté et ainsi doublement représentées au conseil, mais aussi d’autres agences fédérales impliquées selon les questions traitées, comme le Département de la Sécurité intérieure ou de l’énergie, voire des agences régulatrices).

L’Union européenne est aujourd’hui capable d’organiser un tel conseil par la diversité des agences sous son autorité. Bien entendu, si le National Security Council se réunit sous l’égide du président américain voire du vice-président, une interface analogue d’échange au niveau européen pourrait être dirigé par un coordinateur général, non doté de pouvoir décisionnel de même que l’agence pourrait représenter un rôle purement consultatif. Sa composition pourrait comprendre des coordinateurs Risques des différentes agences européennes qui elles-mêmes coordonneraient les agences nationales. Néanmoins, la création d’une telle interface permettrait a minima une cartographie de l’ensemble des risques affectant l’Union et la conception de réponses adaptées. De façon subsidiaire et possiblement dans un second temps, elle pourrait conseiller les États-membres dans l’articulation des réponses à apporter à cette crise. La crise du coronavirus a démontré combien des approches nationales et non coordonnées affectent non seulement les États-membres mais sont également néfastes pour l’ensemble de l’Union. Un Conseil de sécurité européenne pourrait être la cheville ouvrière de la conception des réponses aux crises imprévues.

Pour conclure, l’Europe est aujourd’hui un acteur économique majeur sur la planète. Cependant, cette puissance ne peut être dissociée des vulnérabilités qu’elle implique. L’Union possède cependant des instruments pour anticiper les crises associées à ces dernières. Elle possède les instruments réglementaires (directives d’harmonisation, règlements dont un exemple majeur ces dernières années aura été le RGPD…), mais également de prospective (Commission européenne, Parlement européen…). La dimension de prévention des risques doit constituer des missions pleinement au cœur des prérogatives de ces institutions et des autres agences exécutives et de coordination pour permettre à l’Europe de dépasser ces vulnérabilités pour devenir, de la même façon, robuste tout autant qu’elle est forte.

Bibliographie

Lequeux, Vincent, et Léo Lictevout. « L’économie européenne et l’euro ». Touteleurope.eu, 27 juillet 2021. https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/l-economie-europeenne-et-l-euro/.

White House (The). « Remarks by National Security Advisor Jake Sullivan at the National Security Commission on Artificial Intelligence Global Emerging Technology Summit ». The White House. Consulté le 1 février 2022. https://www.whitehouse.gov/nsc/briefing-room/2021/07/13/remarks-by-national-security-advisor-jake-sullivan-at-the-national-security-commission-on-artificial-intelligence-global-emerging-technology-summit/.

 

[1] Vincent Lequeux et Léo Lictevout, « L’économie européenne et l’euro », Touteleurope.eu, 27 juillet 2021, https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/l-economie-europeenne-et-l-euro/.

[2] White House (The), « Remarks by National Security Advisor Jake Sullivan at the National Security Commission on Artificial Intelligence Global Emerging Technology Summit », The White House, consulté le 1 février 2022, https://www.whitehouse.gov/nsc/briefing-room/2021/07/13/remarks-by-national-security-advisor-jake-sullivan-at-the-national-security-commission-on-artificial-intelligence-global-emerging-technology-summit/.