Molière, 400 ans déjà !
Il est le dramaturge par excellence. Celui dont le 15 janvier 2022 commémore les 400 ans de sa naissance; celui dont le talent a ébloui le grand siècle de Louis XIV; celui qui est à la fois : acteur, chef de troupe, auteur et metteur en scène; celui qui laisse derrière lui des pièces de théâtre devenues des classiques de la dramaturgie française: Le Bourgeois gentilhomme, les Précieuses ridicules, le Malade imaginaire, Tartuffe ou le Misanthrope; celui qui, en élevant la comédie à une hauteur proche, voire supérieure, à celle de l’antiquité, a donné un élan vital au théâtre et a laissé une empreinte marquée à jamais : dans sa génération, dans l’histoire, dans le monde. Cet homme : c’est Molière.
Par sa grandeur, son talent, son français classique et vivace, Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, ne peut laisser indifférent. Il est l’allégorie d’une culture française à vocation universelle, celle de la patrie des arts et lettres qui se distingue par le message qu’elle porte au monde ; celle qui est un phare d’inspiration par sa pureté et sa finesse. Au côté d’une génération dorée, allant de La Fontaine, à Boileau, de Racine à Corneille, Molière a fortement concouru à donner au français son universalité au XVIIIème siècle. Bayle écrit très justement à ce propos : “ La langue française est désormais le point de communication de tous les peuples de l’Europe, et une langue que l’on pourrait appeler transcendantale, par la même raison qui oblige les philosophes à donner ce titre aux natures qui se répandent et se promènent dans toutes les catégories”.[1]
Incarnant brillamment l’esprit français railleur ; moquant sans retenue quelconque les mœurs de son temps : vanité, avarice, égoïsme, hypocrisie, on ne peut que s’enivrer de cette liberté d’esprit si française, qui jalonne les écrits du dramaturge le plus lu ainsi que le plus traduit de la langue française. Son œuvre abondante, riche d’une trentaine de pièces en vers ou en prose, a fait de Molière l'incarnation de tous les combats, de toutes les causes. Dans Molière : La fabrique d’une gloire nationale, Martial Poirson rappelle, à très juste titre, que l’homme de théâtre a largement été instrumentalisé par la postérité selon la cause à servir. Représentant pour les
Lumières : un idéal de raison, de tempérance, de tolérance ; représentant pour le XIXème siècle : l’esprit de raffinement, de délicatesse, d’une certaine civilité, dans une logique d’opposition à l’esprit allemand ; Molière et son théâtre furent donc l’incarnation de toutes les causes.
Aujourd’hui, comme auparavant, l’appropriation moliéresque se poursuit ; l’homme de théâtre est devenu un incontournable dans les manuels scolaires et les concours de l’école républicaine. Directement inspiré par l’ambition pédagogique de la IIIe République, qui avait un projet de démocratisation de l’accès à la langue, Molière est aujourd'hui l’allégorie de toutes les possibilités de la langue française : celle allant du plus vulgaire au plus raffiné. La palette est tellement large que les lecteurs et spectateurs de toutes les époques y trouvent leur bonheur.
Par son lègue illustre, sa résonance mondiale ou les combats qu’il a portés de son vivant, l’homme que Musset surnommait : “notre maître à tous” [2]ne peut laisser indifférent. Son héritage est tel, qu’il est devenu le porte-étendard de la langue française, rejoignant un cercle européen très fermé au côté de Goethe, Cervantès ou encore Shakespeare. Par ce modeste article, tâchons donc de rendre hommage au plus grand dramaturge français.
Jean-Baptiste Poquelin, né à Paris le 15 janvier 1622, est le fils d’un tapissier aisé de Paris. Dès l'enfance, le jeune Jean-Baptiste assiste à des représentations théâtrales, surtout des farces et des parades de comédiens ambulants. En rencontrant une famille de comédiens, les Béjart, il renonce à succéder à son père comme tapissier du roi. Il décide de devenir comédien malgré le sort qui leur était réservé (ils étaient excommuniés). En juin 1643, s'associant aux Béjart, il fonde avec eux la troupe de l'Illustre Théâtre. Après de longues années de formation et d’échecs relatifs, il décide de se consacrer à la comédie, et veut donner ses lettres de noblesse à ce genre théâtral, jusqu'alors méprisé par les grands acteurs.
Devenu un des organisateurs des spectacles de la cour royale, Molière doit fournir sans cesse de nombreux spectacles. Certaines de ses pièces se voient être interdites, car elles vont à l’encontre des mœurs de son temps, comme Tartuffe (en mai 1664) ou encore Dom Juan, comédie elle aussi vite interdite. Le roi finit par lui permettre, en février 1669, de représenter une nouvelle version du Tartuffe. Ce sera un succès avec une cinquantaine de représentations dans l'année. En 1670, il donne Les Fourberies de Scapin. En 1672, ce sera Les Femmes savantes.
Ses dernières années sont relativement difficiles. Il souffre de la tuberculose, les soucis matériels s'accumulent. Le 17 février 1673, Molière meurt chez lui, quelques heures après la quatrième représentation du Malade imaginaire. En 1816, son cercueil est transféré au cimetière du Père-Lachaise.
Les Précieuses ridicules, l'École des femmes, Tartuffe, Dom Juan, le Médecin malgré lui, l'Avare, le Bourgeois gentilhomme ou encore le Malade imaginaire, tant d'œuvres qui ont marqué leur temps et qui font de Molière un dramaturge plus qu’actuel. Par les thèmes abordés, les tempéraments propres à chacun de ses principaux protagonistes, Molière et sa comédie sont, en effet, plus que jamais vivants. Les situations décrites dans ses pièces se répètent inlassablement, ses personnages nous entourent chaque jour ; ce qui montre que le genre humain a finalement assez peu évolué au travers des siècles.
Prenons l’exemple d’Argan dans le Malade imaginaire. Il est bougon, paranoïaque ; il est l’otage de son hypocondrie, qui le morfond dans la peur permanente et l’inquiétude relative à sa santé. Il pousse tellement loin sa crainte qu’il intime sa fille Angélique de se marier à un médecin. Par la situation pandémique actuelle, le cas d’Argan reflète étonnement le comportement d’une partie de la population, dont la santé mentale a grandement été atteinte, du fait d’une surinformation excessive au sujet du Covid-19. Avec ses symptômes multiples et très variables selon les patients (la fièvre, la toux ou encore les pertes de goût et d’odorat), le Covid-19 a engendré une inflation d’hypocondriaques[3], qui sont devenus de nouvelles formes d’Argan.
Sur la question des femmes, l’auteur se révèle d’une modernité saisissante. Le dramaturge va à rebours de son temps et dépeint des femmes de toute condition, qui se libèrent du pouvoir et de l'emprise des hommes. Molière présente des figures féminines extrêmement audacieuses comme Madame Jourdain - Le Bourgeois gentilhomme - en lui donnant la réplique de phrases étrangement modernes comme “Ce sont mes droits que je défends, et j’aurai pour moi toutes les femmes[4]”. L’école des femmes dénonce l’infériorisation des femmes et moque sans vergogne les maris ayant la hantise d'être cocus. La pièce est également un vif plaidoyer pour l'éducation des femmes, à une époque où celles-ci étaient très souvent maintenues dans l’ignorance absolue.
L’Avare, dont le protagoniste principal est Harpagon, est le portrait de l'être rongé par une obsession devenue monnaie courante : l’argent. Harpagon est constamment moqué pour son avarice poussée à l'extrême mais aussi pour sa crédulité, sa naïveté, sa paranoïa. Tout au long de la pièce, il fait étalage de cette avarice qui le caractérise avec des répliques plus mémorables les unes que les autres :
« Nous serons huit ou dix ; mais il ne faut en prendre que pour huit. Quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix. » ou encore « Au voleur, au voleur, à l'assassin, au meurtrier. Justice, juste Ciel. Je suis perdu, je suis assassiné, on m'a coupé la gorge, on m'a dérobé mon argent ! ».[5]
L’esprit de résistance, de critique de toutes les formes d’abus de pouvoir, traverse l’œuvre de Molière. De la tyrannie du mari jaloux à l’emprise d’un tartuffe, en passant par le pouvoir des médecins, il dénonce leurs dérives durant son temps. Molière est le plus grand dramaturge français car il est aussi un grand moraliste. Chacun peut trouver chez Molière son personnage miroir, celui qui va mettre en exergue nos défauts, nos faiblesses. Le théâtre de Molière illustre de manière déconcertante une analyse clairvoyante et profonde de la situation de la France d'aujourd'hui, à tel point que son œuvre a engendré de nombreux noms propres, passés ensuite à la postérité (Tartuffe, Dom Juan ou Harpagon). Cet héritage indéniable pousse certaines personnalités publiques à militer farouchement pour faire entrer Molière au Panthéon. L’Élysée a écarté une telle éventualité, soulignant que toutes les figures panthéonisées sont postérieures aux Lumières et à la Révolution[6]. Par ailleurs, comme évoqué plus haut, la bataille fait rage pour s’approprier l’héritage moliéresque. Mais ce dernier n'a pas besoin des gesticulateurs en recherche de notoriété. La meilleure grâce que l’on puisse rendre à Molière est d’enseigner ses morales et ses œuvres dans les écoles, les théâtres, et surtout, combattre l’obscurantisme en usant de son œuvre.
Sources :
Molière. (2022). Le Malade imaginaire. Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Malade_imaginaire
Molière - Vikidia, l’encyclopédie des 8–13 ans. (2022). Vikidia. https://fr.vikidia.org/wiki/Moli%C3%A8re
Pennel, F. (2022, 15 janvier). Pourquoi parle-t-on (à tort) de "la langue de Molière" ? Marianne.https://www.marianne.net/culture/marianne-vous-remet-a-niveau/pourquoi-parle-t-on-a-tort-de-la-langue-de-moliere
Vincent, B. D. S. (2022, 14 janvier). « Molière, une liberté d’esprit». LEFIGARO. https://www.lefigaro.fr/vox/culture/moliere-une-liberte-d-esprit-20220114
Palou, A. (2022, 14 janvier). Molière, une galerie de caractères. LEFIGARO. https://www.lefigaro.fr/culture/moliere-une-galerie-de-caracteres-20220114
Biétry-Rivierre, E. (2022, 14 janvier). Comment Molière est devenu une star mondiale, Versailles décape le mythe. LEFIGARO. https://www.lefigaro.fr/culture/comment-moliere-est-devenu-une-star-mondiale-versailles-decape-le-mythe-20220114
[1] Nouvelles de la République des Lettres, nov. 1685, art. 5.
[2] Musset, Une soirée perdue
[3] https://www.europe1.fr/sante/comment-savoir-si-une-personne-est-hypocondriaque-4080984
[4] Molière, Le Bourgeois gentilhomme
[5] Molière, L’Avare.
[6] https://www.ladepeche.fr/2022/01/14/moliere-au-pantheon-pourquoi-lelysee-sy-oppose-10046157.php