La France et l'Italie signent un traité bilatéral de coopération : le Traité de Quirinal

 
« L’Europe seule peut assurer une souveraineté réelle, c’est-à-dire notre capacité à exister dans le monde actuel pour y défendre nos valeurs et nos intérêts. Il y a une souveraineté européenne à construire et il y a la nécessité de la construire. »
— Emmanuel MACRON

Le Président français Emmanuel Macron et  le président du Conseil italien Mario Draghi ont signé, vendredi 26 novembre à Rome, un traité franco-italien « pour une coopération bilatérale renforcée ». Alors que la diplomatie européenne est mise à rude épreuve par le départ imminent de la chancelière allemande, Angela Merkel, ce traité vise à renforcer la coopération entre deux des grands pays fondateurs de l’UE.

Le traité a été paraphé dans la matinée au palais présidentiel du Quirinal par le Président français Emmanuel Macron et le chef du gouvernement Mario Draghi, en présence du président italien Sergio Mattarella.

Les trois hommes se sont échangé de longues accolades, tandis que la patrouille de France et son équivalent italien, les Frecce Tricolori (les "flèches tricolores"), survolaient la capitale en laissant dans le ciel un panache de fumées aux couleurs des deux pays.

Depuis la nomination de l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE) Mario Draghi à la tête du gouvernement italien, en février, Paris et Rome semblent vivre un moment de syntonie sans équivalent dans l’histoire récente. Cela tient beaucoup aux personnes d’Emmanuel Macron et de Mario Draghi, qui sont en accord sur la plupart des grands dossiers.

Construire le Traité 

La France et l’Italie sont en effet si proches par l’histoire et la culture, que l’harmonie paraît aller de soi. Or rien n’est plus erroné, et la méconnaissance de quelques subtiles différences est à l’origine de fréquentes incompréhensions

Ce traité avait été annoncé en 2017 mais avait été gelé après la formation en Italie en 2018 d'un gouvernement populiste conduit par le Mouvement 5 étoiles(antisystème) avec la Ligue (extrême droite) de Matteo Salvini.

La crise a culminé début 2019 quand le vice-président du Conseil italien, Luigi Di Maio, avait rencontré en France un meneur des "gilets jaunes". Peu avant, Matteo Salvini, ministre de l'Intérieur, avait appelé à la démission du Président français. Pour protester, Paris avait rappelé temporairement son ambassadeur en It, ce fut la plus grave crise diplomatique entre les deux voisins depuis 1945.

Les pourparlers ont été compliqués et ont perduré parce que les différences objectives entre nos deux pays, notamment structurelles, sont nombreuses. Mais la France et l’Italie ont de plus en plus besoin de trouver des compromis et d’engager une politique de collaboration.

En premier lieu, l’Hexagone est nettement plus puissant et a une dimension mondiale : c’est une puissance militaire, nucléaire. L’État français est beaucoup plus solide : La bureaucratie est habituée à réfléchir de façon stratégique.       

Il y a également les sujets de friction habituels : les querelles d’influence en Méditerranée, les migrations et l’économie.

A sa signature, en janvier 1963, le traité de l’Elysée entre la France et l’Allemagne – auquel le traité du Quirinal se réfère explicitement – avait pour objectif de réparer les blessures de trois guerres franco-allemandes et de rapprocher les peuples par-delà des millions de morts.     

La France et l’Italie, en 2021, n’ont aucun besoin de réconciliation historique :  il s’agit plutôt de créer des mécanismes pour désamorcer les crises, ainsi que de créer des systèmes de convergence.

 

Le Traité de Quirinal 

Le traité fixe dans différents domaines des objectifs de consultation et de coopération renforcée : 


Pour chacun de ces domaines, il fixe des engagements : par exemple pour la mise en place d’initiatives conjointes, de rencontres régulières, de processus de concertation, afin de forger un « réflexe franco-italien » dans la plupart des domaines de notre coopération.

Concrètement, le traité prévoit des axes de coopération renforcée en matière de diplomatie et de défense, dans les transitions numériques et environnementales, la culture et l'éducation, la coopération économique et industrielle, et l'espace.                                                                                                       Le MEDEF a établi, avec son homologue CONFINDUSTRIA , une coopération structurée via un forum franco-italien.  Pour le patronat italien, ce traité permettra à l'Italie d'avoir une plus grande place en Europe. 

Reconnaissant l’importance et la vitalité de la coopération entre leurs Parlements respectifs, et le rôle que la diplomatie parlementaire joue dans les liens entre leurs pays, et souhaitant la renforcer à travers des formes de coopération permanentes, notamment entre leurs Commissions respectives

Convaincues que la stabilité et la prospérité à long terme de la Méditerranée reste une priorité décisive pour les deux pays, et déterminées à agir ensemble en faveur de la sécurité, de la promotion des biens communs entre ses deux rives, et de la restauration de son bon état écologique. 

1.    AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales, de protéger et promouvoir les droits de l’homme, d’œuvrer à la préservation des biens publics mondiaux, y compris la santé et le développement durable.

Favoriser une approche européenne commune dans les politiques de voisinage au Sud et à l’Est de l’Union européenne.                                                                                                                            Les Parties adoptent des initiatives communes visant à promouvoir la démocratie, le développement durable, la stabilité et la sécurité sur le continent africain

2.    SÉCURITÉ ET DÉFENSE                                                                                                                     

Renforcer les coopérations et les échanges tant en ce qui concerne leurs forces armées que les matériels de défense et les équipements.                                                                                              Se prêter assistance en cas d’agression armée sur leurs territoires. Intensifier le dialogue commun dans le secteur technique et opérationnel de la défense associant leurs ministres de la Défense et des Affaires étrangères. Les Parties s’engagent également à renforcer la coopération entre leurs industries de défense et de sécurité, en promouvant des alliances structurelles.

Les Parties renforcent leur coopération dans le domaine spatial à des fins de sécurité et de défense.              

3.    AFFAIRES EUROPÉENNES

Les Parties œuvrent ensemble pour une Europe démocratique, unie et souveraine et pour le développement de l’autonomie stratégique européenne, , exploitant pleinement le potentiel d’un Marché unique source de résilience. 

 Les Parties se consultent régulièrement et renforcent leur coordination dans les principaux domaines de la politique économique européenne, tels que e, l’industrie, l’énergie, les transports, la concurrence et les aides d’État, le travail, la lutte contre les inégalités, la transition écologique et numérique et la programmation financière de l’Union européenne.

Elles agissent pour le renforcement de la monnaie unique, facteur d’autonomie stratégique pour l’Union européenne.                                                                                                                            Les Parties favorisent, lorsque cela est approprié et dans le cadre prévu par les traités de l’Union européenne, un recours plus étendu au système de la majorité qualifiée pour la prise de décisions au sein du Conseil

4.    POLITIQUES MIGRATOIRES, JUSTICE ET AFFAIRES INTÉRIEURES

Les Parties approfondissent leur coopération au sein de l’Union européenne pour préserver la libre circulation en Europe, en renforçant l’intégrité de l’espace Schengen, pour une réforme en profondeur et une mise en œuvre efficace de la politique migratoire et d’asile européenne.  Les Parties renforcent leur collaboration, au niveau bilatéral et au niveau européen, dans la prévention et dans la lutte contre les menaces criminelles transnationales graves et émergentes, en particulier la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme. elles travaillent à la création d’une unité opérationnelle franco-italienne en soutien des forces de l’ordre. Elles s’engagent également à encourager l’échange de membres des forces de l’ordre et à soutenir la mise en œuvre d’activités de formation conjointes et l’échange de connaissances et compétences dans le domaine de la sécurité, et à lutter contre les contenus terroristes en ligne, les discours de haine et la radicalisation.

5.    COOPÉRATION ÉCONOMIQUE, INDUSTRIELLE ET NUMÉRIQUE

Les parties encouragent les échanges entre leurs acteurs économiques en veillant à promouvoir une croissance équitable, durable et inclusive.                                                                    Elles favorisent une politique industrielle européenne ambitieuse, visant à renforcer la compétitivité de leurs entreprises au niveau mondial et à faciliter l’accomplissement de la double transition numérique et écologique de l’économie européenne.

Les Parties s’engagent à renforcer leurs collaborations industrielles bilatérales et la participation des petites et moyennes entreprises.                                                                            Elles s’engagent à approfondir leur coopération dans la cyber-sécurité, dans  la prévention et de la lutte contre la corruption et la fraude, l’évasion fiscale.

6.    DÉVELOPPEMENT SOCIAL, DURABLE ET INCLUSIF

Les Parties rappellent leur attachement à la mise en œuvre du Plan d’action du socle européen des droits sociaux,l ’importance d’assurer des conditions de travail et de rémunération décentes à tous les travailleurs.

Les Parties s’emploient à  mettre en œuvre le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies, et à la protection de l’environnement et du climat, notamment l’Accord de Paris r à l’atteinte de la neutralité climatique d’ici 2050.

Les Parties œuvrent à la décarbonation dans tous les secteurs appropriés, notamment en développant les énergies renouvelables et en promouvant l’efficacité énergétique. . Les Parties défendent au niveau international une vision partagée concernant la biodiversité, la protection des écosystèmes naturels et ruraux, l’assainissement et la protection des eaux et des sols, l’objectif de faire de la Méditerranée une mer propre et écologiquement durable. Les Parties agissent de concert pour favoriser la transition du système agricole et agroalimentaire tout en garantissant la souveraineté alimentaire de l’Union européenne, lutter contre la déforestation, protéger et promouvoir  les appellations d’origine et les indications géographiques enregistrées dans l’Union européenne. Les Parties s’engagent à promouvoir e leurs parcs terrestres ou marins.

7.    ESPACE

Les Parties reconnaissent l’importance de leur coopération bilatérale dans la construction de l’Europe de l’espace, dans le cadre de l’Union européenne et de l’Agence spatiale européenne.

Les Parties réitèrent leur soutien à la base de lancement européenne de Kourou en renforçant sa compétitivité et son ouverture.

8.    ENSEIGNEMENT, FORMATION, RECHERCHE ET INNOVATION

Les Parties reconnaissent à l’éducation et à la formation professionnelle, à l’enseignement supérieur, à la recherche et à l’innovation un rôle fondamental dans leurs relations bilatérales et dans le projet commun européen.

Elles soutiennent le développement de l’enseignement de la langue française et de la langue italienne respectivement dans leur pays et  encouragent les partenariats systématiques entre établissements français et italiens, en s’appuyant notamment sur le programme européen Erasmus+.                                                                                                                                              Afin de renforcer l’attractivité de l’Union européenne, les Parties intensifient et valorisent leurs collaborations au sein des grandes infrastructures de recherche.

9.    CULTURE, JEUNESSE ET SOCIÉTÉ CIVILE

Les Parties encouragent  l’engagement et la mobilité des jeunes Français et des jeunes Italiens, dans le cadre de la stratégie européenne.                                                                                 Les Parties mettent en place un programme de volontariat franco-italien intitulé «service civique franco-italien».                                                                                                                                 Elles s’engagent à la protection et la valorisation du patrimoine culturel matériel et immatériel au niveau européen et international, notamment pour faire face aux calamités naturelles et sur la protection du patrimoine culturel dans les zones de conflits.

Elles s’engagent à faciliter les coproductions d’œuvres culturelles, elles renforcent la collaboration entre les institutions, les organismes culturels et les artistes français et italiens. Elles mettent en place des programmes d’échange d’excellence entre écoles d’art et de métiers d’art.

10. COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE

La frontière terrestre franco-italienne constitue un bassin de vie continu, où les populations française et italienne partagent un destin commun. Les Parties s’engagent à faciliter la vie quotidienne des habitants de ces terres par la création de services publics communs et leur coopération en matière de sécurité. 

11. ORGANISATION

Les Parties tiennent chaque année un Sommet intergouvernemental. Un membre du gouvernement d’un des deux États prend part, une fois par trimestre au moins et en alternance, au conseil des ministres de l’autre État.

12. DISPOSITIONS FINALES

Les divergences ou les controverses relatives à l’interprétation et à l’application du Traité sont réglées à l’amiable sous forme de consultations et de négociations directes entre les Parties.

CONCLUSION

Le 1er janvier 2022, la France prend la présidence tournante de l'Union européenne pour six mois... et Emmanuel Macron sera donc le chef de l'Europe pour quatre mois au moins, en pleine campagne présidentielle

Ce "traité pour une coopération bilatérale renforcée", dit traité de Quirinal, est rarissime en Europe : il s'agit seulement du second traité signé par la France après celui de l'Élysée, signé en 1963, avec l'Allemagne, complété par celui d'Aix-la-Chapelle en 2019.

La France et l'Italie sont les 2e et 3e économies de la zone euro derrière l'Allemagne. Ensemble, ces trois pays représentent près de la moitié des citoyens de l'UE et de son PIB. 

Ce traité marque leur engagement historique et sans cesse réitéré en faveur de l’unité européenne, conformément aux Traités instituant la Communauté économique européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique, signés à Rome le 25 mars 1957, et dont l’esprit a été invoqué avec force dans la déclaration de Rome du 25 mars 2017.

Partageant l’objectif d’une Europe démocratique, unie et souveraine pour répondre aux défis mondiaux auxquels les Parties sont confrontées ; réaffirmant à cet égard leur engagement commun à approfondir le projet européen conformément à leur responsabilité partagée de membres fondateurs, dans le respect des valeurs de l’Union et du principe de solidarité 

Leurs partenariats et coopérations bilatéraux contribuent à l’approfondissement du projet européen lui-même et peuvent servir de source d’inspiration à de nouvelles politiques au niveau de l’Union Européenne.