Crise sociale et sécuritaire en Guadeloupe : les malaises ultramarins révélés par le truchement de l’obligation vaccinale
« Si nous avions 3 à 4 millions d'habitants, nous aurions été traités d'une autre manière »[1]. Ceci est le sentiment d’un territoire de France, d’une population de France, d’un élu, de familles et à plus forte raison d’une jeunesse de France. Ce sentiment a la seule particularité d’être ultramarin. Il s’inscrit dans le paradoxe d’une France que les français souvent connaissent peu ou mal et là où la déconnexion du politique au terrain s’exacerbe encore plus qu’en hexagone. Si les territoires de France parlent parfois, à raison, d’une macrocéphalie parisienne, les territoires d’outremers réalisent parfois, encore à raison, vivre une France que l’on ne voit pas en face, que l’on ne comprend pas et qui au titre de territoire de France : s’accommodera à l’hexagone.
Il ne sert à rien ici de rappeler une distance physique, institutionnelle ou encore économique entre les territoires ultramarins et l’hexagone. Il convient néanmoins d’appuyer, sans tomber dans l’exagération, que la vie dans ses territoires peut s’avérer radicalement différente aux vues des géographies, démographies et brassages socio-économiques qui les composent. Ainsi, la crise de la Covid-19 vient simplement renforcer l’isolement des territoires ultramarins. Là où 77% des personnes en métropole ont reçu une dose et 75% sont entièrement vaccinées la Guadeloupe, à titre d’exemple, présentait 38% de sa population avec un schéma vaccinal complet en fin Novembre[2].
Mais là où toutes les comparaisons sont permises entre les deux territoires de France, constatons cependant que la loi n° 2021-1040 du 5 Août 2021[3] vient véritablement marquer une certaine rupture entre la décision politique et la réalité sociale des territoires. Grèves générales, violences, pillages, barrages sauvages, tensions avec les forces de l’ordre, le territoire guadeloupéen s’enlise progressivement, à la suite des décisions sanitaires, dans un climat sécuritaire inquiétant sur fond de malaises sociaux. Crise donc socio-sanitaire qui vient illustrer la situation des territoires ultramarins.
Quel état des lieux socio-sanitaire pouvons-nous donc observer au sein des territoires d’outremers (cas d’étude la Guadeloupe) ? Comment, par la suite, expliquer aux yeux du passé les relations entre l’hexagone et les territoires d’outremers pour, enfin, décliner une stratégie à long terme.
Nous pouvons porter le nombre de cas cumulés de coronavirus confirmés par tests PCR/Antigéniques à 55 147 depuis début 2020[4] dont 221 cas positifs en date du 08/11/21 contre 168 semaine 44 portant le taux de positivité[5] à 1,5% et le taux d’incidence[6] à 58,6/100000 hab. dans un environnement géographiquement restreint et où le variant DELTA circule toujours majoritairement. Cette situation est à mettre en perspective pour donner suite à l’application de la loi portant sur l’obligation vaccinale. « Cette obligation concerne tant les personnels soignants que les personnels administratifs et techniques exerçant dans les centres hospitaliers, les cliniques, les maisons de retraite, les établissements pour personnes âgées, les personnes en situation de handicap, les professionnels ou bénévoles qui travaillent au contact des personnes âgées ou fragiles, y compris à domicile: les aides à domicile accompagnant les personnes fragiles âgées et handicapées, qu’elles interviennent en tant qu’employées de services à domicile, ou directement salariées par un particulier employeur »[7]. A ce jour, le taux de protection des soignants libéraux est passé de 76% en semaine 41 à 85,30% sur le territoire. Les médecins et les dentistes enregistrent un taux de plus de 92%, les masseurs kinésithérapeutes de plus de 88%, les orthoptistes-orthophonistes de plus de 86%, les sage-femmes de plus de 84% et les infirmiers de près de 80%. Il est à noter que le taux de vaccination du personnel est de 85 % au CHUG[8], de 88% à l’établissement public de santé mentale, de 90% au CH de Saint-Martin, de 99% au Centre Hospitalier de Marie Galante, et de 100% à la Polyclinique Saint-Christophe. 60 % des EHPAD ont un taux de vaccination compris entre 90% et 100%. En ce qui concerne le taux de couverture vaccinale[9] de la population de plus de 12 ans en Guadeloupe s’élève à 43,47% quand en métropole le taux de vaccination (schéma complet) atteint en moyenne plus de 70% par département.
Une disparité entre les territoires accentué de surcroît par une partie de la population réfractaire à l’obligation vaccinale. S’est ainsi érigée depuis quelques semaines un appel à la grève générale lancé par des organisations syndicales et citoyennes. En signe de protestation, de nombreux axes routiers en Guadeloupe ont été bloqué. Si ces mobilisations se sont d’abord déroulées sans encombre, elles ont révélé peu à peu (au sein de populations jeunes) une escalade de violences urbaines entre pillages, incendies volontaires, cambriolages et dégradations de biens publics. Une situation donc instable qui s’enlise au travers d’affrontements avec les forces de l’ordre. Ainsi, les grenades usées de gaz lacrymogène qui jonchent le sol de certains quartiers de la Guadeloupe témoignent parfois des échauffourées qui animent par intermittence les carrefours, rues et axes routiers du territoire. Il persiste ainsi, au sein de cette rage, un sentiment d’abondant à la fois des élus que de l’hexagone. Un sentiment renforcé par l’envoi en renfort de 200 policiers et gendarmes dont certains membres du GIGN et du RAID. Cette décision s’est ainsi ressentie, par plusieurs bords, comme une infantilisation de son territoire par le pouvoir central ou pire : la représentation faussée des territoires d’outremers comme dangereux, instables et sujets à une politique spéciale.
Enfin, il convient d’aborder le contexte social des territoires d’outremer. En effet, la répartition des revenus est, dans les faits, largement plus inégalitaire qu’en métropole entre fonctionnaires et salariés, chômeurs et actifs… Par ailleurs, rappelons que le SMIC n’a en réalité rattrapé celui de la métropole qu’en 1996 là où, au début des années 1990, celui-ci pouvait s’avérer être inférieur d’un quart. En ce qui concerne le coût de la vie il reste largement élevé pour ceux qui ne bénéficient pas de la surrémunération[10]. Dans son Rapport public annuel de 2015, la Cour des comptes a pu évaluer le coût de la surrémunération à 1,178 milliard d’euros en 2012, soit 8% de l’ensemble des dépenses de l’État en outremer. Il faut aussi souligner qu’à ces avantages se rajoute une fiscalité directe plus faible, avec des abattements de 30% à La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique ou de 40% en Guyane de l’impôt sur le revenu. Cet état des lieux social, économique et sanitaire présente un décalage certain entre les territoires d’outremer et de la métropole tant dans leurs gestions que dans les réalités qui les parcourent. Néanmoins, l’actuel situation de la Covid dans les territoires ultramarins s’explique en outre, et essentiellement, en raison d’un passé trouble dû aux décisions de l’hexagone.
De nombreux scandales sanitaires jalonnent en effet les relations entre l’outremer et les pouvoirs publics. Ainsi, ces scandales contribuent de créer une forte conscience dans les Antilles où l’Etat n’a pas joué son rôle de protecteur. Sur l’affaire du chlordécone par exemple, des plaintes ont été déposées contre l’Etat pour « non-protection des populations ». Qualifiée de « scandale environnemental » par le président Macron en 2018, la contamination au chlordécone s’établit à 95 % des Guadeloupéens et à 92 % des Martiniquais selon Santé Publique France. Ce produit phytosanitaire, utilisé aux Antilles en tant qu’insecticide pour lutter contre le charançon du bananier est vendu en France sous les noms de Képoneou Curlone. Il a été ainsi introduit sur le marché par une firme étatsunienne en 1958. Sa toxicité[11] sur l’homme et les animaux est démontrée très tôt soit dès la fin des années 1960. Il est marqué d’une interdiction aux États-Unis en 1975, mais reste autorisé en France de 1972 à 1990, et même jusqu’en 1993 aux Antilles, où il bénéficie de dérogations successives, sous la pression de gros planteurs et d’hommes politiques locaux[12]. On peut également parler des sargasses, ces algues qui envahissent les plages antillaises et engendrent une pollution pour laquelle il n’y a, aujourd’hui, pas de solutions. Il plane enfin aux Antilles la volonté d’une souveraineté thérapeutique et médicale. En effet, se soigner par soi-même et non en suivant des politiques imposées de l’extérieur reste dans la région une tradition et un mode de vie certain pour une frange de la population. Certains Antillais, comme dans d’autres régions du monde, considèrent que l’industrie pharmaceutique repose essentiellement sur l’exploitation du vivant et de la biodiversité, au détriment des ressources humaines et de l’écologie. Certains habitants par ailleurs détiennent une vision créole du monde où l’homme s’inscrit dans un rapport beaucoup plus équilibré avec son environnement. Il y a l’idée qu’il faut s’opposer à la marchandisation de la nature, de la santé et des corps. Un discours qui résonne fortement aux discours complotistes et aux débats concernant la toxicité des vaccins.
Après avoir donc parcouru tant la situation actuelle que passé en ce qui concerne les territoires ultramarins, il convient à présent de formuler des recommandations quant à une stratégie de longs termes sur les présents problèmes de cet espace.
Recommandations :
· Permettre de meilleures allocations et soutiens des populations en difficultés en :
- Réunissant tous les organismes d’aides sociaux permettant de faciliter les démarches
- Assurer un alignement des prix de consommations entre la métropole et les territoires d’outremer.
· Réévaluer la surrémunération[13] de certains fonctionnaires
- Réallouer cet argent vers un investissement infrastructurel (hôpitaux, routes…).
- Permettre l’équilibre des salaires grâce aux abattements fiscaux.
· Reconsidérer la politique sécuritaire dans ces territoires
- Là où certes une violence urbaine existe les réponses doivent cependant rester proportionner à la situation. Ainsi il conviendrait d’engager un dialogue direct avec les leaders des mouvements sociaux
· Enfin, il convient de réévaluer les politiques gouvernementales à l’attention des territoires ultramarins selon les réalités d’un particularisme et non d’un exceptionnalisme.
Bibliographie :
· Agence de santé Guadeloupe, ST Martin, ST Barthélémy, Préget de la région Guadeloupe , COVID-19/ Point de situation en Guadeloupe (du lundi 8 Novembre au dimanche 14 Novembre 2021, semaine 45) ;
· Le Monde, « Guadeloupe : 3 questions sur la mobilisation contre le passe sanitaire et l’obligation vaccinale », 23/11/2021
· Simon AUFFRET, Patrick ROGER, « Guadeloupe : après 7 jours de grève, la colère contre le passe sanitaire ne retombe pas », Le Monde, 22/11/2021
· Jérémy HERNANDO, « Aux Antilles, il y’a la volonté de se soigner par soi-même et non en suivant des politiques imposées de l’extérieur », 12/08/2021
· Gérard-François DUMONT, « Populations et peuplement des département français d’outre-mer », in Les analyses de populations & avenir, N°34, 2021/4, pp 1-24
· Jean-Christophe GAY, La France d’outre-mer : Terres éparses, sociétés vivantes, Armand Collin, 2021, pp135-221
[1] Ary CHALUS, Président de la région Guadeloupe, Extrait du journal de France info, diffusé sur Guadeloupe La 1ère, la radio - 17/11/2021 ;
[2] Le Monde, « Guadeloupe : 3 questions sur la mobilisation contre le passe sanitaire et l’obligation vaccinale », 23/11/2021 ;
[3] Relative à la gestion de la crise sanitaire prévoit l’obligation vaccinale des personnes travaillant dans les secteurs sanitaire, social et médico-social, ainsi que la mise en place du « passe sanitaire » pour l’accès à certains lieux ;
[4] Agence de santé Guadeloupe, ST Martin, ST Barthélémy, Préfet de la région Guadeloupe, « COVID-19/ Point de situation en Guadeloupe » (du lundi 8 Novembre au dimanche 14 Novembre 2021, semaine 45) ;
[5] Le taux de positivité mesure le nombre de personnes positives à la Covid-19 / nombre de tests réalisés sur une semaine. Deux seuils sont fixés, un seuil de vigilance à 5 % et un seuil d’alerte à 10 % ;
[6] Le taux d’incidence mesure le nombre de personnes positives à la Covid-19 sur 100 000 habitants sur une période d’une semaine ;
[7] Préfecture de Guadeloupe ;
[8] Centre Hospitalier Universitaire de Guadeloupe ;
[9] Au moins une injection ;
[10] En Outre-mer, les fonctionnaires bénéficient d'une surrémunération, c'est-à-dire une majoration de leur traitement brut, justifiée notamment par le différentiel de coût de la vie avec l'Hexagone, qui varie de 40% (Guadeloupe, Guyane, Martinique) à 54% (La Réunion) ;
[11] Comme agent cancérogène et perturbateur endocrinien ;
[12] Jean-Christophe GAY, La France d’outre-mer : Terres éparses, sociétés vivantes, Armand Collin, 2021, pp135-221 ;
[13] Coût total estimé par la Cour des Comptes en 2015 à 1,18 milliards par an ;