Crise ukrainienne : derrière la guerre, un nouveau défi à l’Occident
La longue table séparant Vladimir Poutine et Emmanuel Macron au Kremlin, lors de la récente visite du président français en Russie, a été amplement commentée, voire moquée. Si les craintes liées au covid-19 peuvent expliquer une telle distanciation physique entre les deux présidents, l’image est également symbolique de la distance, et même de la défiance, qui sépare aujourd’hui la Russie de l’OTAN et de ses États membres.
La volonté du pouvoir russe de retenir l’Ukraine dans sa sphère d’influence correspond à la ligne politique historique du Kremlin, et en particulier de Vladimir Poutine, qui ne cache pas ses regrets vis-à-vis de la disparition de l’Union Soviétique. La crise actuelle témoigne en revanche d’une confiance accrue du Kremlin dans sa capacité à prendre l’initiative et mener le jeu dans la région. En ce sens, la crise ukrainienne peut être perçue comme un nouvel avatar du déclin de l’Occident dans le grand jeu des puissances. Malgré les protestations des occidentaux, et les menaces de sanctions, il est en effet clair désormais que l’attaque militaire russe ne fera pas l’objet de riposte militaire occidentale, alors que les États-Unis ont déjà déclaré qu’ils n’interviendraient pas en ce sens.
Après l’Ukraine, Taïwan ?
La main libre laissée au pouvoir russe en Ukraine – derrière les protestations diplomatiques – traduit l’incapacité croissante des États-Unis à se projeter militairement aux quatre coins du globe, alors que leur attention, conjoncturellement centrée sur l’Ukraine, reste avant tout, structurellement, dirigée vers la région Asie-Pacifique et la Chine. La bonne entente, voire l’alliance stratégique, nouée ces dernières années entre la Russie et la Chine peut
expliquer d’ailleurs en partie la capacité retrouvée de la Russie à prendre des initiatives en Europe de l’Est, alors que les protestations occidentales font écho à une neutralité bienveillante de la Chine à l’égard de la politique du Kremlin.
Nul doute que Pékin scrute avec intérêt la partie d’échecs actuellement jouée autour de l’Ukraine. Si l’Occident – qui affiche pourtant un visage uni face au Kremlin, à travers le discours officiel de ses principaux dirigeants – échoue à faire prévaloir ses desiderata et à faire respecter sa ligne rouge, et ne peut empêcher une incursion militaire russe d’ampleur en Ukraine, le signal d’impuissance envoyé à Pékin sera très clair. Alors que la Chine affiche une détermination croissante à faire revenir Taïwan dans son giron, face aux velléités indépendantistes de l’île, l’apathie des occidentaux sur le front ukrainien pourrait à court ou moyen terme conduire au déclenchement de l’invasion de Taïwan par les forces chinoises. L’hypothèse d’une riposte militaire américaine dans le cas d’un tel scénario, déjà incertaine avant la crise ukrainienne, perdrait en effet encore de son crédit à l’issue d’un succès de Moscou face à Kiev.
Derrière le bras de fer actuel entre Moscou et l’OTAN, se cache ainsi bien plus que le seul sort de l’Ukraine : la capacité de l’Occident à continuer d’arbitrer les grands conflits politiques et militaires, dans un monde de plus en plus post-occidental.