Chèque inflation énergie : quelle place pour l’État-Providence ?

Le gouvernement a annoncé jeudi 21 octobre une aide de 100 euros aux 38 millions de Français touchant moins de 2 000 euros nets par mois, pour faire face à l’augmentation des prix de l’essence et de l’énergie, « qu’ils aient une voiture ou non », moins d’un mois après avoir bonifié le chèque énergie et gelé les prix du gaz et de l’électricité. En effet, le prix de l’ensemble des matières premières et surtout de l’énergie ne cesse de croître du fait d’une croissance économique post pandémie fulgurante.

Attendu tout autant que débattu, ce « coup de pouce » nous rappelle le rôle d’exception que joue l’État français « pour assurer la prise en charge collective des fonctions de solidarité ».[1] Le terme d’État-Providence, historiquement péjoratif, aurait été employé pour la première fois en 1864 par le député Émile Ollivier, rejetant le développement de l’intervention de l’État[2]. Au sens large, il rassemble l’ensemble des interventions économiques et sociales de l’État permettant de garantir un niveau minimum de bien-être à la population en la couvrant des risques tels que la maladie, la vieillesse, le chômage, etc. Depuis la fin des années 70, ce système est dit « en crise »[3]. D’un côté, son efficacité est remise en cause, de l’autre côté l’opacité et l’utilité des dépenses publiques soulèvent des questions quant à l’allocation de la solidarité nationale.

Qu’est-ce que l’annonce d’une aide de 100 euros pour une majorité de Français dit du système actuel de l’État-Providence ?

Une mesure qui s’inscrit dans le système d’État-Providence

Dans une approche keynésienne, cette mesure budgétaire permettra de stimuler la demande en reconstituant un niveau adapté de demande effective. Les consommateurs français, par anticipation positive, ne devraient ainsi pas freiner leurs dépenses. Cependant, cette mesure n’est pas économiquement saine : en effet, la grande majorité des bénéficiaires ont une propension marginale à consommer élevée, ce qui aura tendance à faire croître l’inflation. Plus directement, elle risque d’entretenir le fondement des conséquences contre lesquelles elle-même a vocation à lutter.    

Dans une démarche plus politique, ce chèque inflation peut être vu comme une manière de garantir la cohésion sociale et de maximiser l’utilité sociale[4]. En effet, le spectre du mouvement des Gilets Jaunes – ayant germé d’une éventuelle hausse de la TICPE[5] – demeure certainement encore très vif au sein du gouvernement et cette annonce rapide permet d’y couper court, du moins pour le moment…  

Au revoir le saupoudrage, place au ciblage ? Que nenni

La fin du « quoi qu’il en coûte » aux entreprises annoncé par Bruno Lemaire le 25 août dernier pour lutter contre les effets économiques de la pandémie n’a pas mis longtemps à translater vers les aides généralisées aux particuliers. En effet, les mesures dédiées à compenser la hausse des prix de l’énergie coûteront 6,2 milliards d’euros aux finances publiques[6], notamment du fait du très large nombre de personnes concernées.

Une mesure simple « qui se voit » selon les mots du Premier ministre. La simplicité de cette mesure, nous ne pouvons que l’approuver. En effet, le ciblage prend uniquement en compte le salaire. Mais à vouloir faire trop simplifié et généralisé, le gouvernement risque d’inclure certaines personnes au détriment d’autres qui en auraient plus besoin. Aussi, est-ce qu’une famille monoparentale avec trois enfants à charge à la campagne avec 2 500€/mois n’aurait pas plus besoin de cette aide qu’un couple vivant une agglomération avec transports en commun à 3 500€/mois ? Aussi, garantir un quasi-régime de droit commun – concernant tous les individus fiscalement indépendants avec un salaire inférieur à 2 000€/mois - ne constitue pas un gage d’équité, mais plutôt un acte délétère pour les individus les plus directement impactés par les conséquences de cette inflation.

Néanmoins, d’autres mesures insufflées par une grande partie de l’opposition auraient été bien plus désastreuses. En effet, Marine Le Pen (RN) réclamait « la baisse de la TVA de 20 à 5,5 % » pour l'essence, le gaz et l'électricité en partie ainsi qu’une suppression des subventions aux énergies intermittentes comme l'éolien ou le photovoltaïquealors qu’Éric Ciotti (LR) proposait « la suppression de la TVA sur les taxes sur les carburants », une absurdité autant économique qu’écologique.

Aussi, si cette mesure ne convainc pas réellement, elle est néanmoins loin d’être la pire parmi la palette d’options possibles à ce jour. Néanmoins, ces aides ponctuelles ne remplaceront assurément pas une stratégie permettant la mise en place de réformes structurelles dans notre pays ; tant que les mesures de saupoudrage pesant sur les comptes publics persisteront, aucun plan ciblé suivi d’un véritable retour sur investissement ne pourra voir le jour.

Quelles propositions pour s’orienter vers des solutions à long-terme ?

"On continue à faire des mesures d'urgence sans s'attaquer au cœur du problème"[7]. Une fois n’est pas coutume, ce sont les solutions de court-terme qui ont été privilégiées afin de colmater les brèches une fois au pied du mur plutôt que de s’attaquer plus frontalement aux problématiques de fond. Au-delà, cette mesure envoie un message contradictoire à l’égard de la lutte contre le réchauffement climatique et de l’indépendance vis-à-vis des énergies fossiles, et ceci 10 jours avant l’ouverture de la COP26 à Glasgow.

A.     Remplacer les énergies fossiles par des énergies durables

La hausse des prix de l’énergie restera une problématique récurrente et même croissante au cours des prochaines années du fait d’une très probable pénurie. Accorder des aides pour prendre la voiture au lieu des moyens de transport alternatifs ainsi que chauffer des habitations mal isolées est un non-sens. L’État et les collectivités devraient donc se concentrer sur le développement de nouvelles infrastructures plus efficaces ou bien la rénovation de celles déjà existantes en appliquant le principe suivant : une dépense sociale peut aussi être un investissement. Ceci n’exclut cependant pas des aides d’urgences - ciblées toutefois - en attendant leur mise en place.

B.     Sécuriser l’indépendance économique de la France

Enfin, quelle place accorder à l’indépendance énergétique et de matières premières de la France ? Si l’inflation croît de plus en plus, c’est notamment dû à l’entente des pays de l’OPEP[8] entraînant une trop faible offre par rapport à la demande grandissante et à une pénurie de matières premières à travers le globe. Une indépendance totale serait bien évidemment utopique de même qu’une aberration économique. Toutefois, nous pensons que la France se doit de fortifier sa position afin d’assurer sa sécurité économique. Pour cela, il convient de s’assurer du maintien minimal des activités indispensables sur le sol français, ce qui n’empêchera pas de continuer à puiser dans les ressources à l’étranger. Au-delà, l’ERMA[9] mise en place en septembre 2020 doit se consolider et se développer davantage afin de renforcer la position diplomatique de l’Union Européenne et de la France dans ce domaine.  

À défaut de mettre en place des solutions structurelles rapidement, les Français persisteront à supposer que le problème est conjoncturel et que l’État seul doit y subvenir. Il y a urgence aujourd’hui à renouveler un État-Providence devenu obsolète, afin qu’il soit capable d’accompagner davantage les mutations actuelles et futures de la société en agissant comme le chef d’orchestre des politiques sociales, économiques et environnementales et en s’appuyant sur l’Union Européenne. 

 

[1] L’État-Providence, François-Xavier Merrien (2007)

[2] https://www.vie-publique.fr/fiches/24110-quest-ce-que-letat-providence

[3] La Crise de l'État-Providence, Pierre Rosanvallon (1981)

[4] Jeremy Bentham

[5] Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques

[6] https://www.huffingtonpost.fr/entry/le-cout-des-mesures-en-faveur-du-pouvoir-dachat-font-flamber-le-budget-de-letat_fr_6172c8cfe4b079111a56a6c5

[7] David Cormand, député européen EELV

[8] Organisation des pays exportateurs de pétrole

[9] European Raw Materials Alliance