Napoléon Bonaparte, génie modernisateur et symbole d’inspiration de l’histoire de France
Napoléon Bonaparte fait partie de ces individus dont le nom a conquis l’admiration du monde et qui continue d’irriguer l’inconscient collectif français tant le recul du temps permet de mesurer l’ampleur de la tâche accomplie. Si le jeune Napoléon Bonaparte est né le 15 août 1769 à Ajaccio (Corse), l’homme qui se fera appeler Napoléon 1er est pour sa part très certainement né durant la campagne d'Italie. Il déclara ainsi lui-même après sa victoire à Lodi le 10 mai 1796 : « Je me regardai comme un homme appelé à influer sur le sort d’un peuple. » Trois ans plus tard, il deviendra premier Consul à l’issue du coup d’État réussi du 18 Brumaire et sera sacré empereur à la cathédrale Notre-Dame de Paris le 2 décembre 1804.
Abstraction faite de cette ascension fulgurante et de cette gloire si singulière, le règne de Napoléon Ier est celui de tous les extrêmes. Après avoir mené la France à dominer la majeure partie de l’Europe, la chute de l’Empire lors de la défaite tragique de Waterloo et sa fin de vie à Sainte-Hélène viennent clore une des périodes les plus grandioses de l’histoire de France.
I – Napoléon 1er : une figure légendaire et controversée
Les quinze années de règne de Napoléon 1er, méticuleusement étudiées par des historiens du monde entier, ont amené diverses controverses notamment lorsqu’elles sont étudiées sous le prisme idéologique du XXIème siècle.
Le bicentenaire de la mort de Napoléon a suscité de vives oppositions au sein de la classe politique française. Les voix à gauche l’ont blâmé pour avoir rétabli l’esclavage, être misogyne ou encore belliqueux, quand les voix à droite ont parfois manqué d’unicité dans leur choix de commémorer ou non le « petit caporal ». Les polémiques autour de Napoléon ne sont pas nouvelles, ce ne sont que les accusations qui changent. Au XXIème siècle, les républicains lui reprochaient déjà d'être l’homme qui a mis un terme à la révolution tandis que les monarchistes lui faisaient grief d’avoir éveillé le nationalisme allemand. Napoléon est donc l’homme de toutes les légendes et sa mémoire continue d'être débattue, même deux siècles après son décès.
Ainsi, Chateaubriand écrit à propos de la légende napoléonienne que :
« Bonaparte n'est plus le vrai Bonaparte, c'est une figure légendaire. Il appartenait si fort à la domination absolue, qu'après avoir subi le despotisme de sa personne, il nous faut subir le despotisme de sa mémoire. Ce dernier despotisme est plus dominateur que le premier, car si l'on combattit Napoléon alors qu'il était sur le trône, il y a consentement universel à accepter les fers que mort il nous jette. » [1]
L’ambiguïté du personnage a pu expliquer la décision de Jacques Chirac de ne pas prendre part aux célébrations du bicentenaire de la bataille d’Austerlitz, en 2005. Le dernier réel hommage remontait à celui de Georges Pompidou qui s’est rendu à Ajaccio, le 15 août 1969, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Napoléon. Le chef de l’État avait alors encensé « l’empreinte aujourd’hui encore ineffacée » laissée par un homme au « prodigieux destin » 2. Face à ce personnage ambivalent, la question de la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier s’est longuement posée.
Le président Emmanuel Macron a, pour sa part, hésité sur la démarche à adopter mais a fini par choisir de répondre à cette question par l'affirmative, tant la figure de l’Empereur des Français reste controversée. Au travers de son allocution prononcée à l'occasion du bicentenaire de Napoléon Ier, le chef de l’Etat a volontairement choisi de ne pas répondre aux polémiques et d’affirmer sa « volonté de ne rien céder à ceux qui entendent effacer le passé au motif qu’il ne correspond pas à l’idée qu’ils se font du présent. » Ce faisant, Emmanuel Macron a fort judicieusement choisi de dénoncer l’essor de la mouvance woke qui, partant des Etats-Unis, trouve un terrain favorable chez de nombreux politiciens situés à gauche, voire à l’extrême gauche, de l’échiquier politique.
II - Un legs hors-du-commun
Quoi qu'en pensent ses détracteurs, Napoléon laisse une empreinte considérable sur les institutions et la société françaises, et nombre de ses réalisations perdurent encore aujourd’hui. Lors de son allocution, Emmanuel Macron n’a d’ailleurs pas manqué de le rappeler aux lycéens qui lui faisaient face en ces termes : « Vous êtes lycéens, lycéennes. L’institution-même du lycée, la forme d'université, nous connaissons parfois la grande école que vous rejoindrez dans les mois ou les années à venir, nous en devons quelque chose à Napoléon. » 2
Il s’agit de désavouer ici la phrase de Bainville qui conclut à la fin de sa biographie sur Napoléon : « Sauf pour la gloire, sauf pour l'art, il eût probablement mieux valu que Napoléon n'eût jamais existé. » Bonaparte modernise l'administration et consolide les divisions créées sous la Révolution comme les départements et les cantons. Il est le créateur du conseil d'Etat (par la constitution de l'an VIII), des préfectures, de la Banque de France, fondée pour relancer l'économie mais également du baccalauréat. Il instaure en 1802 la Légion d’honneur, symbole de cette méritocratie si française.
Sa plus grande réalisation restera sans doute le Code Civil, promulgué le 21 mars 1804. Napoléon dira à son propos « Ma vraie gloire n'est pas d'avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires ; ce que rien n'effacera, ce qui vivra éternellement, c'est mon Code civil ». Napoléon laisse également derrière lui un héritage architectural fabuleux qui perpétue la grandeur de la période napoléonienne. Nous pouvons retenir les deux arcs de triomphe, la colonne Vendôme, le Palais Brongniart ou encore la construction de l'église de la Madeleine, décidée sous le règne de Napoléon.
Mais Napoléon ne peut se résumer à un héritage matériel. Il est « le dieu de la guerre » selon Clausewitz, « professeur d'énergie » selon Barrès, « le plus grand homme d'action depuis Jules César » selon Churchill. Il est celui qui est parvenu à conquérir le cœur des Français grâce à son administration, son génie militaire et tactique. Il est un symbole, un emblème, une gloire pour l’histoire de France. Il est l’aigle qui ne cessera de voler dans l'esprit des Français car c'est grâce à lui que la France est ce qu'elle est aujourd'hui. Le mal du siècle qui suit la chute de l’empereur est l’élément clé pour discerner avec lucidité, le rôle capital qu’a l’empereur dans l'histoire de France. Musset rend compte dans son livre La Confession d'un enfant du siècle, le malaise dont souffre la génération post napoléonienne. Son épopée a fourni un idéal et une exaltation au peuple français. Les guerres napoléoniennes sont terribles mais le côté meurtrier est évincé car elles produisent également une frénésie sans rivalité.
Musset écrit à ce propos : « Jamais il n’y eut un tel silence autour de ceux qui parlaient de mort et pourtant jamais il n’y eut tant de joie, tant de vie, tant de fanfares guerrières dans tous les cœurs. Jamais il n’y eut de soleils si purs que ceux qui séchaient tout ce sang. On disait que Dieu les faisait pour cet homme, et on les appelait ses soleils d’Austerlitz. » 4
Après la chute de Napoléon, la France bascule dans un état d’apathie et de déliquescence avancé. Napoléon est dès lors une figure légendaire. Il est l’inspirateur des ambitieux et de cette méritocratie si française. Il est le père de tous les Julien Sorel (admirateur passionné de Napoléon passant son temps avec Le Mémorial de Sainte-Hélène), réels comme fictifs. Il est un homme qui fait preuve de lucidité, de volonté, d'acharnement et de génie stratégique. Il fait partie de ces génies qui ne fleurissent qu'une fois par siècle. Il est l’homme de Iéna, d’Eylau, de Friedland, de Wagram. Toute l'Europe a tremblé devant lui. Il est également l’homme qui a laissé son empreinte dans le roman national par des faits d'armes si singuliers comme la charge d’Eylau.
Conclusion
Dès lors, faut-il partager les réticences à commémorer Napoléon ou seulement une partie de sa vie tout en en condamnant une autre ? Napoléon dit à juste titre : « De Clovis au Comité de salut public, j’assume tout. » Il est question ici de transposer cette citation à l'ensemble de l'œuvre de Napoléon. Il s’agit ici d’assumer ses lumières comme ses déboires. Quand Malraux demande à De Gaulle : « Où en êtes-vous avec l'Empereur ?». De Gaulle, affirmant que la légende napoléonienne sert finalement le prestige de la France, conclut ainsi : « Ne marchandons pas la grandeur »5. C’est pourquoi Napoléon mérite à jamais l’inclination et l’estime des Français car il est sans doute l’un des plus grands personnages de l’histoire de France et celui dont l’épopée est la plus marquante.
Alors, vive l’Empereur !
1 Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe. 1841
2 Discours d’Emmanuel Macron pour la Commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier.
3 Jacques Bainville, Napoléon. 1931
4 Musset,Confession d’un enfant du siècle. 1836
5 André Malraux,Les Chênes qu'on abat. 1971