La folle histoire qui se cache derrière la Blockchain

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Introduction

Blockchain par ci, Blockchain par là.

Depuis quelques années, l’engouement autour de la Blockchain ne s’éteint pas, et au contraire s’amplifie à travers une multitude de débouchés, tels que les crypto monnaies, les smart contracts, les NFTs ou encore la tokenisation de la société.

Pour comprendre le phénomène Blockchain, innovation technologique (et sociétale) désormais connue de tout un chacun, il est nécessaire de comprendre comment elle a été créée et surtout par qui. En effet, tous ses aspects techniques (qui peuvent paraitre déroutant de prime abord) découlent en réalité de l’idéologie sous-jacente à cette innovention.

Tout commence avec l’idéologie Cypherpunk (1), mise en pratique par les Cryptoanarchistes (2), se concrétisant enfin par le manifeste de Satoshi Nakamoto (3).

1/ L’idéologie Cypherpunk

Au début des années 90, en plein cœur de la Silicon Valley, des mathématiciens, des informaticiens et des hommes d’affaires locaux avaient pour habitude de se réunir mensuellement pour discuter programmation et cryptographie. Ce fut la naissance du mouvement et de l’idéologie « Cypherpunk ».

Au fur et à mesure que le groupe s’élargissait et que les réunions prenaient de l’importance dans l’écosystème, une liste de diffusion sur internet a été établie afin de de pouvoir atteindre et inclure d’autres potentiels cypherpunks hors de Californie. Ce fut notamment le cas de Julian Assange, futur fondateur de Wikileaks.

Dès lors, une mailing list fut créée et devint rapidement si populaire qu’elle contenait plusieurs centaines de membres échangeant leurs idées, discutant de techniques, ou bien encore testant chacun les améliorations proposées par d’autres membres. Une vraie communauté s’était formée.

Pour que ces échanges puissent être opérés, de nouvelles méthodes de chiffrement furent mises en place par les différents membres afin de s’assurer la confidentialité totale de leurs échanges.

L’idée commune ayant convaincu ces personnes de se rassembler était le respect de la privacy et de sa confidentialité en tant que préalable nécessaire à tout partage d’idées en totale liberté.

Fait intéressant, ce mouvement cypherpunk a notamment œuvré pour sécuriser l’Internet, tâchant de démontrer et de convaincre l’opinion et les milieux informatiques de la nécessité et du bien-fondé d’instaurer le protocole chiffré « https» en remplacement du protocole « http » longtemps utilisé, afin qu’un niveau supérieur de sécurité soit garanti pour chaque utilisateur.

2/ L’application concrète des cryptoanarchistes

Pour se défendre contre la surveillance des communications informatiques, un mouvement activiste se créa en parallèle et à partir du mouvement cypherpunk : le mouvement des cryptoanarchistes. Ces derniers souhaitaient ainsi appliquer concrètement l’idéologie défendue par les cypherpunks.

A leurs yeux, seuls le développement et l’utilisation de la cryptographie permettraient de s’assurer un réel respect de la vie privée ainsi qu’un réel anonymat sur l’Internet. Dès lors, l’activité principale des cryptoanarchistes fut rapidement centrée autour des mécanismes de cryptographie.

Cette discipline peut se définir par la volonté d’apporter une protection maximale à tout échange, afin de le rendre inaccessible à tout tiers qui n’y aurait pas été autorisé, assurant ainsi à ces échanges, confidentialité, authenticité et intégrité. Ces trois notions sont importantes en ce qu’elles sont des principes de base de la Blockchain.

Concrètement, le message que l’on souhaite transmettre va être transformé par un algorithme qui code le message, seul le destinataire en possédant la clé (ou mot de passe) permettant de le déchiffrer.

La principale difficulté de la cryptographie, couplée à l’avènement de l’Internet, était que pour déchiffrer ce message crypté, il était nécessaire de transférer la clé au destinataire, ce qui in fine ne garantissait plus une transmission du message en totale sécurité.

Les cryptoanarchistes ont ainsi pu user de leur talents intellectuels et informatiques, en mettant au point une nouvelle technologie rendant possible l’échange de messages chiffrés sans jamais que la clé de déchiffrement n’ait à traverser le réseau Internet : la cryptographie asymétrique, fondement même de la Blockchain.

3/ L’acte fondateur : le Manifeste de Satoshi Nakamoto

Suite à ce qui fut communément appelées les « Crypto Wars », durant lesquelles les gouvernements étatiques de nombreuses puissances occidentales essayèrent tant bien que mal d’empêcher le développement de la cryptographie, une décision de la Cour Suprême américaine en 1995 est venue consacrer le code cryptographique.

En effet, à travers la décision Bernstein vs. DOJ, les juges américains ont établi que le code cryptographique était protégé, en tant que forme d’expression par le 1er Amendement de la Constitution des Etats-Unis et devait donc par conséquent, bénéficier du respect total de la liberté d’expression.

Suite à cette décision, les mouvements précédemment évoqués décidèrent que désormais, la protection de la vie privée devait également s’accompagner de la protection et l’anonymisation des transactions financières.

Sur la base des principes précités, un certain nombre de tentatives ont été réalisées afin de développer les transactions et monnaies numériques. La plupart ont certes permis des avancées technologiques mais se sont tous finalement soldés par des échecs.

Ce n’est qu’en octobre 2008 qu’un cypherpunk inconnu (ou un groupe de cypherpunks inconnus), Satoshi Nakamoto a publié le White Paper du Bitcoin sur une mailing list cypherpunk, article intitulé : « Bitcoin : A Peer-to-Peer Electronic Cash System », pouvant se traduire par « Bitcoin : Un Système de Paiement Électronique Pair-à-Pair ».

Il est amusant de noter que presque 25 ans plus tard, personne ne sait réellement qui était ce Nakamoto, même si divers indices laissent à penser qu’il pourrait s’agir d’un universitaire américain, sans autre détail. 

Ce White Paper démontre qu’aux yeux du créateur du Bitcoin, le commerce sur l’Internet dépend presque exclusivement d’institutions financières servant de tiers de confiance pour traiter des paiements électroniques, telles que les institutions bancaires ou bien encore des entreprises type Paypal.

Nakamoto estimait nécessaire qu’un système de paiement électronique basé sur des preuves cryptographiques puisse être utilisé à la place d’un modèle basé sur la confiance, ce qui permettrait à deux individus le souhaitant de réaliser des transactions directement entre eux sans avoir recours à ce fameux tiers de confiance. C’est ce qu’il propose donc à travers le protocole Bitcoin.

C’est ainsi qu’est né, le 3 janvier 2009, la Blockchain à travers le tout premier protocole l’utilisant : le bitcoin. S’en suivra rapidement la première transaction en bitcoin : 10000 bitcoins contre une pizza, en faisant de loin la pizza la plus chère du monde au regard du cours actuel du bitcoin.

Malgré l’aboutissement de son projet, Satoshi Nakamoto va publier un dernier message sur le forum Bitcointalk (dont il était le fondateur) le 12 décembre 2010.

En mai 2011, il communiquera pour la dernière fois avec d’autres contributeurs du projet Bitcoin, auxquels il s’adressera en ces termes : « je suis passé à autre chose et je ne serai probablement plus là à l’avenir ».

Depuis cette date, aucune trace de son activité ne fut constatée sur internet et le mystère autour de son nom reste entier.

4/ Conclusion

Nombre d’articles et d’analyses expliquent qu’eu égard à sa date de création, la naissance du Bitcoin a été provoquée seulement en réaction à la crise financière de 2008, répondant ainsi à la défiance généralisée à l’encontre des institutions financières.

Or, il est fondamentalement inexact de simplement réduire cette innovation à cette réaction.

En effet, Nakamoto a déclaré avoir pu commencer à travailler sur le Bitcoin et la Blockchain durant l’année 2005, soit bien avant l’avènement de la crise financière invoquée.

Il serait dès lors plus juste de parler de cette crise financière comme d’un catalyseur, un accélérateur, ayant permis de lancer le protocole Blockchain et d’en faire une application concrète à travers le bitcoin. 

Comme nous avons pu le constater, cette philosophie de rejet des institutions classiques pour bénéficier de décentralisation, sans aucun contrôle extérieur, remonte à de nombreuses années et aux mouvements cypherpunk et cryptoanarchiste.

Dans ce contexte de crise financière, il n’est cependant pas un total hasard de retrouver au sein du tout premier bloc du Bitcoin, un message inséré par Satoshi Nakamoto recopiant la Une du Times du 3 janvier 2009 « Le Chancelier se décide à mettre en place un second programme d’aides aux banques ». Comme un pied de nez destiné à épaissir le mystère autour de lui.

La création du Bitcoin s’insère ainsi dans un contexte de protection vis-à-vis de menaces, des institutions bancaires par exemple, mais elle s’insère surtout dans une philosophie libertarienne de protection des libertés individuelles qui s’est construite et développée durant de longues années.

A l’heure où la France veut retrouver une place forte dans l’économie mondiale, et notamment dans l’économie du numérique, il est impensable de ne pas envisager d’investir également l’écosystème de la Blockchain et des cryptomonnaies afférentes sous peine, encore une fois, de rater le train du futur. Les années à venir devront donc prouver qu’il est possible d’inciter en France et en Europe à l’innovation notamment en matière de Blockchain, par des législations incitatives, une reconnaissance étatique, et un support fort du politique afin que des champions français et/ou européens en matière de Blockchain puissent émerger et se faire une place dans ce domaine porteur pour l’avenir.

 

Pour en savoir plus :

·       Tim May, Manifeste d’un cryptoanarchiste, 1992 ;

·       Eric Hughes, Manifeste d’un Cypherpunk, 1993 ;

·       Satoshi Nakamoto, Bitcoin: A peer-to-peer electronic cash system, 2008.