L’impact de l’intelligence artificielle sur le streaming
Par Paul Demay, avocat et membre du Comité Tech-Digital et Charles Bouthier, avocat et Directeur du Comité Tech-Digital
Le Web 2.0 a favorisé l’émergence de nouveaux outils de communication et de collaboration pour ses utilisateurs. Parmi ces innovations, le streaming ne peut être ignoré en ce qu’il a profité des avancées technologies en matière de réseaux : démocratisation du haut débit dans les foyers, couverture par fibre de la quasi-totalité du territoire français, et prochainement déploiement de la 5G. En France, presque tout un chacun est désormais susceptible de pouvoir accéder à du flux à très haute vitesse.
C’est à ce titre que le streaming, permettant la lecture continue de flux audio ou vidéo, impacte de plus en plus de secteurs. Cette innovation a révolutionné nos modes de consommation en permettant une alternative au téléchargement de contenus et a fortiori à l’achat de produits physiques.
Historiquement, le streaming a d’abord été popularisé à travers l’industrie vidéo avec l’avènement de géants tels que YouTube ou Netflix (lire en ce sens le formidable livre de Marc Randolph – Ça ne marchera jamais, sur la naissance de Netflix), en ce que ces plateformes permettaient à leurs utilisateurs de regarder un contenu vidéo de façon dématérialisée sans avoir à le télécharger.
Afin de contrer l’augmentation (légale ou illégale) des téléchargements musicaux, déclenchant par ailleurs une crise majeure sur les modèles économiques des acteurs de l’industrie musicale et notamment du disque, le streaming musical est rentré dans les habitudes des amateurs de contenus musicaux avec la mise en avant de plateformes comme Spotify ou Deezer.
L’impact de la Covid-19
Alors que les évolutions technologiques ont permis l’émergence du streaming, la Covid-19 en a confirmé son apogée.
En effet, à travers les confinements et couvre-feux imposés à la population, la possibilité d’acheter des produits physiques (CD, DVD, vinyles) est retreinte et la possibilité de se rendre dans des salles de cinéma ou de spectacle est totalement impossible. Cette crise sanitaire a donc accéléré l’usage du digital. Le digital qui n’était qu’une option est dès lors devenu une obligation, voire une nécessité, faisant par ailleurs découvrir l’existence du streaming à un nouveau public dont c’était la seule et dernière option possible pour continuer d’accéder à de tels contenus vidéo ou audio.
Il est en ce sens normal de constater une explosion du nombre d’abonnés des plateformes de streaming durant les périodes de confinement. A titre d’exemples, le géant suédois Spotify a vu son nombre d’utilisateurs augmenter de 31% en 2020 pour un total de 345 millions d’utilisateurs quand le mastodonte américain Netflix a connu 15,8 millions de nouveaux abonnés pour la période de confinement janvier-mars 2020, soit un tiers en plus que pour la même période en 2019, portant son nombre d’abonnés total à 183 millions.
Face à cette hausse d’utilisateurs constante et globale des plateformes de streaming, de nombreuses sociétés se sont lancées dans la R&D afin de faire perdurer leur croissance : c’est ici qu’intervient désormais l’intelligence artificielle (IA) au cœur de l’innovation en matière de streaming.
L’innovation au service du streaming
Les utilisateurs utilisent les plateformes de streaming majoritairement sur leurs smartphones ou tablettes pour le streaming musical, et sur leurs appareils mobiles plus généralement pour le streaming vidéo.
Ce mode de consommation de streaming incite les sociétés des secteurs visés à innover, notamment grâce à l’intelligence artificielle. Conscientes de cette utilisation quasi exclusive de leurs applications sur smartphones, et pensées pour ce faire, ces plateformes innovent à travers l’IA afin d’améliorer la qualité et l’interactivité de leurs produits ainsi que de renforcer l’expérience client/utilisateur ressentie par l’abonné.
En janvier 2017, Spotify lançait son « Autoplay » dans les préférences des abonnés. Ce système, sélectionne des morceaux musicaux ressemblant à ceux qu’écoute et like l’utilisateur afin de lui recommander des titres pertinents à lui faire découvrir, créant ainsi une interaction avec la plateforme et un possible fort lien de confiance dans les suggestions proposées par Spotify.
A ce titre, il est intéressant de noter qu’en 2018, Spotify a déposé un brevet couvrant une technologie permettant d'analyser des enregistrements sonores pour y détecter des caractéristiques de la voix et de l'environnement sonore de ses utilisateurs. Cette technologie a été déposée pour affiner ensuite les recommandations musicales personnalisées fournies par la plateforme à chacun de ses utilisateurs.
Toujours dans l’industrie musicale, la jeune maison de production française Believe, présente au capital de l’IRCAM (Institut de recherche et coordination acoustique/musique), s’est développée en misant sur le numérique et récemment sur l’IA. En effet, grâce à une IA qu’elle a développée en interne, Believe est capable d’automatiser et d’analyser à l’aide d’algorithmes sa base de morceaux et d’associer à chaque morceau un sentiment, une émotion (par exemple, s’il s’agit d’une musique relaxante, une musique triste, une musique pour danser, une musique romantique, etc.) pour ensuite pouvoir créer des playlists correspondant au plus proche des émotions ressenties par et aux gouts de son utilisateur.
Mieux encore, une startup finlandaise créée en 2017 indique être capable de pouvoir prédire quels seront les tubes de demain. Via l’intelligence artificielle qu’elle a développée, Hyperlive définit un certain nombre de critères pour qualifier les contenus (style, genre, rythme, séquençage, tonalité, vitesse, etc.), et les met en regard avec les émotions et les attitudes qu’ils provoquent chez l’utilisateur en fonction de ceux-ci. Au regard des résultats, elle présente chaque semaine quels sont les titres qui vont fonctionner ou non dans les semaines à venir. Le taux de réussite de ces prédictions est impressionnant.
Du côté des plateformes de streaming vidéo, Netflix a fait de l’IA un de ses principaux leviers de croissance. En effet, un des objectifs économiques de Netflix est de perdre le moins possible d’argent à cause de séries ou films qui n’auraient pas eu le succès attendu. Pour ce faire, Netflix doit développer du contenu dont elle est sure (ou presque) qu’il plaira à ses abonnés, ou à tout le moins qui sera streamé par lesdits abonnés. C’est donc pour ces raisons que Netflix a développé de nombreux algorithmes et déposé de nombreux brevets en lien avec l’IA.
Dans un billet de décembre 2020 paru sur son blog, Netflix explique comment l’IA, et notamment le machine learning, fait partie intégrante de son processus de choix, de création et de recommandation de contenus. En effet, la modélisation par intelligence artificielle lui permet de minimiser ses risques et de proposer un maximum de contenus susceptibles de plaire aux utilisateurs en anticipant leurs attentes et en leur proposant ainsi ce qu’ils veulent. Pour y parvenir, l’IA de Netflix est capable d’analyser les métadonnées des contenus proposés par la plateforme (comme par exemple, le contenu, la durée, le type, mais aussi le résumé de textes proposés pour chaque contenu et conçu par de vrais copywriters). Une fois ces données analysées, Netflix peut établir des modèles sur des comportements similaires au sein d’un même pays et proposer un contenu différencié selon la localisation de chaque utilisateur. C’est d’ailleurs pour ça que les suggestions ou classements de contenus diffèrent selon le pays dans lequel Netflix est utilisé.
Tout récemment, en février 2021, Netflix a également annoncé le lancement d’une fonction « Download for you » par laquelle la plateforme propose à l’utilisateur, en prévision d’un voyage en avion par exemple, de télécharger automatiquement du contenu, films ou séries, directement sur son appareil mobile, ce téléchargement automatique s’effectuant directement en fonction des goûts de l’utilisateur, analysés par l’historique de visionnage, et par sa localisation.
Enfin, afin d’empêcher le partage d’un même compte entre plusieurs utilisateurs, Netflix utilise depuis peu une intelligence artificielle qui permet de repérer lorsqu’un même compte est utilisé au même moment par deux utilisateurs situés à deux endroits différents, et ensuite d’en bloquer l’accès à l’un des utilisateurs.
Pour ce qui est de YouTube, l’IA y est également partout présente. Les algorithmes de YouTube influencent constamment les flux de tendances, les notifications, les recommandations. En effet, l’objectif de YouTube est de garder ses utilisateurs les plus longtemps possibles connectés, et pour y arriver, YouTube doit leur proposer le contenu le plus pertinent qu’il soit et le plus même de capter leur attention.
Sur le même fonctionnement qu’évoqué précédemment, l’IA sous-jacente à YouTube analyse les métadonnées des vidéos que l’utilisateur regarde, aime, partage, ainsi que les recherches effectuées sur YouTube par l’utilisateur, avant de comparer ces informations à celles d’autres vidéos présentes sur YouTube. Les plus similaires seront ensuite suggérées directement à l’utilisateur. C’est d’ailleurs comme cela que le phénomène des vidéos de chats sur YouTube est devenu viral.
Ainsi, en prenant part directement ou indirectement au choix par l’utilisateur des contenus qu’il visionne ou regarde, l’intelligence artificielle devient en quelque sorte un nouvel influenceur 100% digital de l’utilisateur qui reste néanmoins libre ensuite de consommer ou non le contenu suggéré ou téléchargé.
Une confiance grandissante des Français dans l’IA
L’IA peut sembler intrusive en ce qu’elle permet de déchiffrer un certain nombre de données personnelles de l’utilisateur : ce qu’il dit (ou fredonne), son âge, son sexe, sa langue, mais aussi l’émotion ou l'environnement dans lesquels il se trouve.
Or, selon une étude publiée par Impact AI en 2021, les Français sont conscients du rôle primordial que l’IA joue dans la vie économique. Ils lui font majoritairement confiance mais se disent mal informés quant aux possibilités qu’elle offre et aux implications qu’elle aura. Cependant, malgré ce manque d’informations, 76 % d’entre eux sont convaincus que dans les prochaines années, l’IA jouera un rôle important dans notre quotidien.
Les plateformes de streaming, en croissance continue de leurs nombres d’abonnés, comptent sur l’innovation par l’IA embarquée sur nos device mobiles, qu’il s’agisse de smartphones, tablettes ou autres laptops.
En effet, selon une étude de l’International Federation of the Phonographic Industry de 2018, la durée d’écoute hebdomadaire dans le monde s’élève à 17,8 heures, ce qui représente 2 heures et demi par jour, alors qu’en France, ce sont 14,8 heures/semaine, soit 2,1 heures quotidiennes.
Il apparait donc clairement qu’une zone de croissance est, pour le marché français, encore grandement accessible aux acteurs du streaming, et ce d’autant plus au regard de la crise sanitaire qui ne fait que s’éterniser.
Ce phénomène de streaming se développe d’ailleurs à d’autres secteurs, avec une importance grandissante, comme par exemple le secteur du gaming avec l’avènement de la plateforme Twitch, ou encore le secteur de la mode et du luxe où les défilés sont désormais accessibles à tout en chacun directement en streaming sur les sites des maisons de luxe, et non plus à un nombre restreint de privilégiés.
Dès lors que le streaming permet la démocratisation et l’accès à distance, par tout et pour tous, à de nombreux contenus, les acteurs des domaines audio et vidéo ne se sont pas trompés en misant une part de leur stratégie sur l’intelligence artificielle.
Il est vrai que même si elle ne résout pas tous les problèmes propres à ces domaines d’activités, l’intelligence artificielle est en mesure d’améliorer les chances de succès et de croissances pour ces nombreux acteurs, leur garantissant un avenir aussi pérenne que possible.