Pour la majorité, la première bataille à mener est celle des idées

 

Dans une longue tribune consacrée aux enjeux de 2022, Alexandre Mancino, avocat et président-fondateur du Cercle Orion, think-tank constitué de jeunes diplômés qui inscrivent leurs travaux dans le cadre de la majorité présidentielle, et François de Rugy, ancien ministre et député de Loire-Atlantique, annoncent leur volonté de collaborer pour alimenter, au sein de la majorité présidentielle « le combat des idées » sur les enjeux actuels, notamment en matière d’écologie. 

Version courte parue dans Le Point le 13 mars 2021

 
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La politique n’est jamais le fruit du hasard. Et, sans idées fortes, le mouvement qui fait l’histoire mène plus surement au pire qu’au meilleur. Alors, un an avant l’échéance de 2022, il nous semble indispensable de revenir aux idées. 

Le renouveau de 2017 fut plus qu’une alternance : il a été le fruit d’une recomposition politique comme il s’en produit une à deux par siècle dans notre pays, mêlant déclin de forces jusque-là hégémoniques, apparition de nouveaux clivages, et affirmation d’une nouvelle pensée politique.

L’accession d’une nouvelle majorité au pouvoir fut en premier lieu la conséquence d’une décomposition arrivée à maturité, pour reprendre la terminologie chère à Raymond Barre. Les deux grandes formations qui se partageaient le pouvoir depuis bientôt 40 ans étaient arrivées à bout. Au bout d’une histoire. Et ceci en même temps, ce qui rendait l’alternance inopérante. Républicains menés par François Fillon et Socialistes représentés par Benoît Hamon, ne renvoyaient plus aux électeurs que l’image de familles politiques épuisées. Un épuisement fruit de divisions internes, sources de querelles publiques ou d’affaires instrumentalisées dont les protagonistes, accusateurs cachés et accusés, étaient souvent issus du même camp. Tout cela au prix du rejet. Un épuisement des idées aussi et surtout. L’épuisement de solutions programmatiques répétées comme des incantations, qui soit avaient fait la démonstration de leur inefficacité, soit avaient, à force d’être sans cesse invoquées mais jamais mises en œuvre, prouvé leur irréalisme. Tout cela au prix de la défiance.  

Mais 2017 fut aussi, on l’oublie trop souvent, l’expression de la présence, dans la société française, d’anticorps démocratiques assez nombreux et déterminés pour résister à un danger : celui du populisme de l’extrême droite. Cette extrême droite se nourrit des problèmes de la France, et s’est toujours opposée à ce qu’on leur trouve des solutions – et pour cause, c’est sa raison de vivre, son principal carburant. À mesure que les conséquences de crises successives – économique, financière, identitaire – se répandaient dans la société française, à mesure que les peurs se multipliaient, l’extrême droite populiste a fait son nid dans le paysage politique, au point d’être présente systématiquement dans le duo de tête de tous les scrutins nationaux et locaux (départementales, régionales, européennes, présidentielle) organisés sous le quinquennat de François Hollande. Et à chaque fois qu’ils en ont eu l’occasion par le scrutin majoritaire, les Français ont toujours écarté le danger, en choisissant soit la droite, soit la gauche. En 2017, ils l’ont fait de nouveau : mais cette fois-ci en portant Emmanuel Macron à l’Elysée.

Un autre danger à l’autre bout de l’échiquier politique a aussi été évité en 2017 : celui de l’idéologie d’extrême gauche, qui sous prétexte de défendre les plus nobles causes progressistes, s’est rendue coupable d’une certaine complaisance à l’égard des propres causes qu’ils entendaient combattre. Une réduction à outrance de la pensée, le triomphe des dogmes sur les réalités est dangereux pour la démocratie et l’affaiblit considérablement. 

Pour certains, le macronisme demeure un accident de parcours dans une vie politique française qu’ils pensent durablement structurée par le clivage droite/gauche. Tous ceux-là, acteurs politiques qui y ont intérêt mais aussi commentateurs pour qui ce paysage jusque-là immuable était un cadre rassurant, aspirent à faire de 2022 le moment de refermer une parenthèse.

Nous sommes de ceux qui pensent que le temps est venu de combattre, sur le terrain des idées, cette vision à la fois conservatrice, paresseuse et dangereuse. Et cela, en assumant une méthode : celle de nommer les vrais problèmes en faisant fi de la bien-pensance trop souvent répandue qui nie la réalité en faisant triompher l’idéologie sur le pragmatisme. 

Il faut combattre le conservatisme qui refuse de voir les changements du monde : partout, c’est le clivage populistes / démocrates qui s’impose comme élément structurant du débat démocratique. On l’a mesuré aux États-Unis, où le duel Biden-Trump n’a ressemblé à rien de que à quoi on était habitué ; on le mesure en Europe, où des partis populistes parviennent à s’imposer dans des pays pourtant instruits du danger totalitaire. Et on le voit ici, où l’extrême droite apparait enracinée, tandis que le populisme a gagné une partie des forces politiques traditionnelles – sans autre conséquence que de faire progresser le Rassemblement national dans les intentions de vote. Notre conviction est qu’on ne vaincra pas le mal populiste en 2022 en l’ignorant, qu’on ne distinguera pas le camp républicain du camp populiste en réfutant le clivage entre républicains et populistes et qu’il faudra bien, comme en 2017, rassembler largement des progressistes de gauche et de droite pour continuer à faire avancer le pays.  

Il faut combattre la paresse qui refuse de voir la réalité de ce qui a fondé la pensée politique d’En Marche, qui a réuni des femmes et des hommes issus de traditions politiques différentes. En premier lieu, certes, une forme de pragmatisme, une manière de concevoir l’action politique débarrassée des vieux clivages. Mais au-delà de ce pragmatisme revendiqué, la famille politique qui s’est constituée en 2017 s’appuie sur des valeurs fortes : l’adhésion à l’économie de marché et au libéralisme économique, la volonté d’adapter le système de protection sociale aux enjeux des nouvelles formes d’inégalités, l’engagement européen dans un monde ouvert, la volonté d’offrir à chacun les moyens de construire sa vie en s’arrachant aux déterminismes qui enferment et en s’émancipant, l’ambition de donner à la crise écologique des solutions efficaces plutôt que d’en faire une succession de batailles symboliques sans résultat. Le tout dans le respect profond des traditions historiques et des valeurs républicaines qui ont fait la France et qui continuent de la façonner à travers une connaissance fine de son identité. 

Il faut enfin rappeler sans cesse le danger. Parce que ces quatre dernières années, nourri d’une crise sociale dont les racines plongent loin dans notre histoire politique et sociale, celle des gilets jaunes, nourri des peurs liées à l’épidémie, mais aussi à un terrorisme qui continue de menacer, le populisme a trouvé de nouveaux carburants pour prospérer. Parce que le vieux monde politique continue de bouger, animé par un « refus du duel Macron-Le Pen » qui n’est en réalité que la traduction d’une volonté de remplacer Macron dans l’équation – sans se préoccuper vraiment de l’issue de la présidentielle. Au risque de voir le scénario américain qui avait vu la victoire de Trump en 2016, ou celui du Brexit, se concrétiser l’an prochain. 

A un an du rendez-vous de 2022, quel premier bilan tirer de cette révolution de 2017, qui avait vu un président être élu sans avoir derrière lui, à la différence de ses prédécesseurs, une longue et parfois tortueuse carrière politique, qui avait conduit à une Assemblée nationale renouvelée comme jamais elle ne le fut dans l’histoire récente de la République ?  

Le pragmatisme revendiqué a été plus qu’une promesse : il est une réalité incontestable. C’est lui qui a permis de basculer, en quelques jours, lorsque le COVID19 a surgi dans nos vies, d’une politique de maîtrise des dépenses publiques et de réduction des déficits à un « quoi qu’il en coûte » qui permet d’affronter les conséquences de la pandémie en protégeant les entreprises et les salariés. Il a amené à modifier, parfois profondément, des modes de fonctionnement de l’État pour répondre aux urgences du moment : sur l’organisation des soins, sur le financement de la recherche, sur le plan de relance… L’actualité nous démontre qu’en ces domaines, il reste encore beaucoup à faire : ce pragmatisme, éloigné du prêt à penser des vieilles familles politiques, il nous faudra le cultiver, notamment face à une gestion bureaucratique toujours présente en modernisant l’action publique et en l’adaptant aux impératifs du XXIe siècle. 

Une partie des réformes réalisées a permis une plus grande agilité dans la réponse à la crise économique, notamment les modifications apportées aux lourdeurs du droit du travail, en début de quinquennat, qui s’avèrent aujourd’hui d’une grande utilité pour de nombreuses entreprises qui doivent adapter leur activité aux aléas de la conjoncture, sans que cela pèse trop lourdement sur l’emploi. Mais reconnaissons que certaines réformes annoncées – sur la prise en compte du grand âge, sur les retraites, ou sur les institutions par exemple– n’ont pas pu aboutir, car elles se sont heurtées à des oppositions, certes, mais aussi probablement parce que leur conception même, sur le plan des objectifs, de la méthode et des idées, a manqué d’une forme de maturité. 

L’Europe est devenu un acteur majeur de nos vies, pour le meilleur. C’est par l’Europe, sous l’impulsion de la France qui y joue de nouveau un rôle de premier plan, que nous pouvons mettre en œuvre un plan de relance sans précédent, dans la solidarité et la cohérence avec nos partenaires. C’est dans la solidarité européenne que se gère un approvisionnement en vaccin dont on n’a pas de difficultés à imaginer combien elle serait désorganisée et coûteuse si avaient prévalu les égoïsmes nationaux et la concurrence entre nos pays. Cette Europe, que la Grande Bretagne a quitté sans la faire exploser, il faudra continuer à approfondir sa cohésion plus qu’à élargir son périmètre géographique : créer une autorité commune pour accompagner les acteurs de la recherche, dans le domaine de la santé, mais pas seulement – afin de résister à nos concurrents et de conserver nos savoir-faire et nos talents, développer des stratégies industrielles sur les activités qui déterminent notre indépendance… En un mot, doter l’Europe d’une véritable force politique capable de s’imposer dans la recomposition de la puissance et de concurrencer à armes égales les États-Unis et la Chine. 

La France a, dans un an, un rendez-vous essentiel avec elle-même. Et à un an de l’élection présidentielle, il y a un bilan à défendre, une démarche politique à valoriser, des résultats à la clé. Mais cela ne sera pas assez pour garantir un nouveau mandat à la majorité actuelle. 

Les forces politiques classiques, celles d’un monde qui tente désespérément de se maintenir, sont engagées dans de grandes et petites manœuvres d’appareil. Elles s’engluent dans la recherche d’unités factices alors qu’elles sont traversées de clivages béants – sur les grands choix économiques, sur les principes de la République, sur la conception même, parfois, de la vie démocratique et sur l’Europe bien sûr. En unissant leurs forces, elles peuvent espérer s’imposer – mais, faute d’un projet cohérent et réellement travaillé, elles ne peuvent prétendre gouverner.  

Le populisme d’extrême droite continue de tisser sa toile, acquiert des positions médiatiques considérables et une place croissante dans le débat des idées.

Le populisme d’extrême gauche continue quant à lui de réduire le débat public à des anathèmes en faisant sienne une pensée communiste dépassée, notamment sur les questions d’identité nationale.

Face à cela, communier dans la loyauté envers le Président de la République ne suffit pas. 

Notre « macronisme » n’est ni un culte de la personnalité, ni une idéologie à rabâcher : c’est une démarche politique à servir, en contribuant à mener la bataille des idées.

Pour lutter contre une forme d’« archipélisation » qui voit le pays et la société se morceler en bulles de plus en plus indépendantes les unes des autres et de plus en plus opposées : il nous faut continuer à penser la formation en redorant le rôle de l’instituteur et des enseignants, à penser la lutte contre les discriminations, à débusquer et déconstruire les assignations identitaires, à réinventer sans succomber aux tabous ni à la force des féodalités politiques ou administratives, un aménagement du territoire et une décentralisation qui favorise la solidarité entre les citoyens, entre les villes, entre les territoires.  

Pour faire vivre la promesse républicaine d’égalité, il nous faut continuer à anticiper les réformes qui cesseront d’enfermer les individus dans des catégories sociales et professionnelles fermées, réfléchir à un système d’aides sociales plus clair et plus simple, qui, sur la base de prestations universelles, permettent de conclure des contrats individuels qui rendront possibles à chacun de tracer son chemin et de choisir sa vie.  

Pour accompagner les chercheurs, les créateurs d’activité, les entrepreneurs, les industriels, il faut continuer à penser de nouvelles politiques, qui libèrent des freins au développement économique parfois excessifs, fruits du fonctionnement d’un État inadapté aux défis d’aujourd’hui.   

Pour répondre à la crise écologique, il nous faut réfléchir aux solutions réellement efficaces, plutôt que de chercher à répondre aux injonctions lancées par une poignée d’idéologues qui ont repeint en vert un néo-marxisme mal dégrossi.

Regroupés au sein du Cercle Orion, de jeunes diplômés s’organisent depuis 2017, pour mettre sur pied un laboratoire d’idées généraliste, qui souhaite se saisir de tous les enjeux auxquels nous sommes confrontés et d’inspirer les politiques publiques pour formuler des propositions et mener des réflexions au service de l’action présidentielle. Ils ont l’ambition d’alimenter le débat intellectuel et de s’inscrire comme acteur légitime pour apporter des solutions concrètes aux problématiques actuelles, qu’elles soient politiques, économiques, sociales ou identitaires. 

C’est la volonté de mener ensemble la bataille des idées qui motive notre volonté de travailler ensemble, notamment sur le terrain de l’écologie à travers un comité « écologie et progrès ». Associant capacités de réflexions de jeunes diplômés de haut niveau, expérience tirée de l’exercice du pouvoir, nous avons l’ambition de doter la majorité d’une pensée écologiste indépendante de l’idéologie de la décroissance qui inspire une bonne partie de l’écologie politique en France. Nous avons aussi pour ambition de servir la majorité présidentielle dans son action quotidienne et d’être sources de propositions concrètes pour le Président de la République en vue de 2022.

Nous voulons, ensemble, réfléchir à des solutions à la crise écologique, en n’hésitant pas à briser des tabous mis en place au nom de l’écologie, alors qu’ils représentent souvent des freins à la mise en œuvre de solutions favorables à la lutte contre le dérèglement climatique ou à la préservation de la biodiversité. Modes de production énergétiques, agricoles, politique de transports : nous ne nous interdirons aucune réflexion, aucune piste pour agir – à condition qu’elles reposent sur la Science et la Raison, sur l’étude scientifique des problèmes et la recherche de solutions rationnelles et raisonnables. Le tout sans démagogie mais avec une parole de vérité, n’hésitant à nommer les vrais problèmes pour ne pas ajouter au malheur du monde. 

Parce que c’est bien, finalement, ce qui définit le mieux notre engagement : la fidélité à des valeurs et des objectifs, et la recherche, en permanence, de solutions crédibles et efficaces – en osant braver la pensée formatée et réductrice, les facilités et les interdits idéologiques qui, trop souvent, empêchent d’avancer alors qu’il faut toujours, être en marche.