L’État de droit : atout ou carcan dans la lutte contre le terrorisme ?
La formule État de droit signifie selon Léon Duguit que « l'État est subordonné à une règle de droit supérieure à lui-même, qu'il ne crée pas et qu'il ne peut pas violer »[1]. L’Etat de droit s’inscrit ainsi dans ce que le juriste autrichien Hans Kelsen appelle la Hiérarchie des normes, postulant que chaque règle de droit tire sa légitimité de sa conformité à la règle de droit qui lui est supérieure. Cette notion est fondamentale dans une démocratie où le pouvoir appartient au peuple[2]. L’État ne saurait s’extraire du droit : peu important qu’il le décrète lui-même, il y demeure soumis comme tout citoyen.
Néanmoins, force est de constater que les attentats terroristes sont en recrudescence, tant est si bien que le respect du droit peut sembler constituer un frein à une lutte efficace. Cette crainte d’un Etat démuni, désarmé par l’Etat de droit, pousse citoyens, polémistes (Eric Zemmour) et juristes (Jacques Krynen) à remettre en cause le principe d’une application indifférenciée de ce concept - voire sa pertinence même - en matière de lutte contre le terrorisme.
La nécessité d’appliquer réellement à tous la loi de manière sévère
Seulement 53 % des Français déclaraient faire confiance à la justice française en 2019.[3] Cela apparaît problématique dans une société se voulant être démocratique.
Les critiques adressées à la justice sont connues : elle serait trop laxiste et trop de crimes et délits demeureraient impunis. Par-delà les polémiques, il est certain qu’il n’existe aujourd’hui plus de peines planchers dans le droit pénal français. Aussi, aucun juge n’est tenu d’appliquer une condamnation minimale. Pis, depuis la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice de 2019, la prison n’est plus de principe pour les délits mineurs : l’aménagement de la peine devient la norme. Dès lors que pour un grand nombre d’observateurs il existe un lien de causalité entre délinquance urbaine et terrorisme dans les quartiers sensibles, cela est éminemment problématique.
Dans la même optique, le débat quant à l’emprisonnement des fichés S pour terrorisme doit être remis sur la table. En effet, il est démagogique de dépeindre ceux soutenant cette idée comme ennemis de la légalité et du droit dès lors que les premiers à enfreindre la loi sont ceux-là même qui tuent sauvagement en France. Bien entendu, une telle mesure devrait être assortie de garanties, tant elle risquerait de porter atteinte aux libertés individuelles.
La problématique du Conseil Constitutionnel
Le Conseil Constitutionnel a été institué originellement par la Constitution de la Cinquième République comme “le chien de garde de l’exécutif ”. Il s’est cependant rapidement davantage imposé comme le garant des libertés fondamentales[4]. Ayant “ la compétence de sa compétence” selon la formule bien connue, il dégage des principes à valeur constitutionnelle, sur la base desquelles il peut déclarer une loi, issue de la représentation nationale, contraire au bloc de constitutionnalité.
Ainsi en 2018, le Conseil Constitutionnel a pu par exemple déclarer inconstitutionnel « le délit d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger » au motif que cette disposition porterait atteinte à un principe de fraternité, à l’occasion nouvellement dégagé. S’il est de prime abord questionnable de donner une telle portée juridique à l’un des termes de la devise de la République française, il apparaît certain qu’une telle décision n’est guère de nature à favoriser la lutte contre l’immigration illégale.
Ceci est éminemment problématique dans la lutte contre le terrorisme. L’état de précarité dans lequel se trouve une partie conséquente des migrants constitue également un terreau fertile pour la violence. Une différence culturelle et linguistique favorise encore le communautarisme et constitue un frein à l’assimilation. Par conséquent, une immigration massive et incontrôlée composée d’individus extrêmement défavorisés, dans un contexte de communautarisme voire de séparatisme, ne saurait que favoriser le terrorisme.
Le Conseil Constitutionnel devrait donc à l’avenir s’en tenir à son rôle de garant de l’État de droit.
La nécessité de lutter contre la généralisation des législations d’exception
Toutefois, la liberté demeure un principe cardinal. Il est absolument nécessaire que la lutte contre le terrorisme soit raisonnable et raisonnée. « Sans la liberté, il n’y a rien dans le monde »[5] : cette liberté est d’autant plus cruciale à une époque où les législations d’exception tendent à être généralisées.
En effet, le régime transitoire que met en place la loi du 9 juillet 2020 pour sortir de l’état d’urgence sanitaire n’est pas sans rappeler la loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui transposait dans le droit commun une partie des dispositions de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. Au prétexte de sortir de l’état d’exception, le législateur organise progressivement la pérennisation de mesures exceptionnelles, par le biais de la police administrative par laquelle la présence de l’État tend à devenir de plus en plus invasive. La polémique récente quant au passeport vaccinal permettant d’accéder aux lieux festifs et culturels sous condition d’être vacciné ne tend qu’à démontrer cette tendance liberticide.
Que penser encore de l’interdiction de l’enseignement à domicile par le projet de loi confortant le respect des principes de la République, qui revêt une portée générale extrêmement attentatoire à la liberté des parents ?
Le législateur doit en tirer les conséquences et insérer dans la Constitution un article dédié à la lutte contre le terrorisme religieux, aujourd’hui essentiellement islamique. Ceci permettrait d’éluder le caractère impersonnel et général que doit revêtir la loi.
Partant, des mesures ad hoc, pour lesquelles un débat national d’ampleur devra être organisé proportionnellement à l’atteinte que portera une telle législation aux libertés individuelles, pourront être prises par le législateur.
Cette constitutionnalisation s’inscrirait dans la volonté affichée du gouvernement de constitutionnaliser les grands enjeux de civilisation contemporains (c.f. le projet de modifier l’article 1er de la Constitution pour y insérer que « La République garantit la préservation de la biodiversité, de l'environnement et lutte contre le dérèglement climatique »).
Synthèse des recommandations
Quelques propositions concrètes pour répondre à cette tension existante entre l’impératif de l’Etat de droit d’une part et la lutte contre le terrorisme d’autre part :
· Prévoir des peines planchers pour les infractions en lien direct ou indirect avec le terrorisme dans le but de renforcer le sentiment de confiance des Français dans la justice.
· Emprisonner préventivement les fichés S pour terrorisme pour lesquels le risque de passage à l’acte est imminent.
· Délimiter par le biais d’une loi organique le pouvoir du Conseil Constitutionnel en prévoyant notamment des cas exprès d’incompétence dans le dessein de renforcer l’autorité des lois votées par les représentants de la Nation.
· Constitutionnaliser l’impératif de la lutte contre le terrorisme religieux, aujourd’hui essentiellement islamique, afin que des mesures dérogatoires et strictement délimitées dans leur champ d’application puissent être adoptées par le législateur.
[1] Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, 1923, t. III, p. 587.
[2] Lincoln énonce le principe du « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » dans son célèbre discours de Gettysburg. Cette expression est notamment reprise à l’article 2 de la Constitution de la Cinquième République.
[3] https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-la-justice-4/
[4] Par sa célèbre décision Liberté d’association de 1971, le Conseil constitutionnel accorde une valeur constitutionnelle à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi qu'aux préambules des Constitutions de 1946 et de 1958.
[5] Chateaubriand, Tome 4, Mémoires d’outre-tombe