CR conférence "Regards croisés sur l'healthtech"
En présence de Romain Renard, cofounder & COO de Meditect et Samy Merad, Head of Business & Strategy, Posos.
Monsieur Alexandre Mancino, président du Cercle Orion, a d’abord introduit la conférence en rappelant que le Cercle a créé il y a deux ans un incubateur pour être proche de l’écosystème startup français et international. Dans la continuité de cette volonté de rapprochement avec le monde de l’entrepreneuriat et de l’innovation, un cycle de conférences a été lancé et organisé aux côtés de Loreley Mac Donald en octobre 2020 sur les thématiques startups. Il s’agissait le 18 février 2021 de la deuxième conférence de ce cycle.
La thématique à l’ordre du jour était celle de l’ « health tech », l’écosystème qui innove dans la santé. Le Cercle Orion avait l’honneur de recevoir Romain Renard, cofounder & COO de Meditect et Samy Merad, Head of Business & Strategy de Posos.
Plusieurs questions ont été posées aux deux invités afin de nourrir un débat stimulant avec les membres du Cercle Orion.
Les deux invités ont d’abord présenté leurs entreprises.
Samy Merad a expliqué que Posos était une start-up d’Intelligence Artificielle (IA) médicale, plus précisément un outil d’aide à la décision médicale s’inscrivant dans le cadre de la « médecine personnalisée » pour proposer des traitements ajustés aux patients. Il s’agit concrètement d’un moteur de recherche qui trie les données au sein d’une base fiable et qu’utilise le praticien afin de trouver la meilleure prise en charge pour le patient.
Romain Renarda ensuite présenté Meditech, société qui œuvre dans la traçabilité de médicaments en Afrique de l’ouest francophone. Les clients de Meditech sont les laboratoires pharmaceutiques, la startup leur permettant de sécuriser la distribution des produits dans une région où beaucoup de contrefaçons ont lieu. Cela permet en outre aux laboratoires de mieux cibler leur stratégie marketing. Meditech utilise la « serialisation » qui consiste à mettre un numéro de série unique sur les médicaments pour les tracer le long de la chaîne de valeur. En tant que COO, Romain a expliqué que son travail consiste à entretenir les relations avec l’industrie pour vendre des contrats.
Questions :
Qu’est-ce qui vous a mené à l’entrepreneuriat ? (Loreley Mac Donald)
Pour Romain Renard, l’envie d’entreprendre, l’appétence pour le secteur du médicament, la volonté d’agir pour la santé publique et la lutte contre les contrefaçons étaient au cœur de sa démarche entrepreneuriale. Il a souligné en outre le hasard et la chance d’avoir rencontré son cofondateur en 2017, alors qu’il était étudiant en année de césure à Sciences Po.
Samy Merad a indiqué rejoindre Romain Renard sur l’importance des rencontres en France mais aussi à l’étranger dans son cas. En effet, docteur en pharmacie, il a complété sa formation à l’INSEEC puis à l’ESSEC et à Centrale pour un mastère en entrepreneuriat, ce qui l’a conduit a rencontré notamment des entrepreneurs à San Francisco qui lui ont transmis la volonté d’entreprendre. Il savait en outre préférer travailler dans le commerce et dans l’innovation plutôt qu’en officine, autre voie ouverte aux pharmaciens.
Vous travaillez tous deux dans des entreprises qui ont levé des fonds, récemment pour Posos, comment est-ce arrivé ? (Loreley Mac Donald)
Les étapes qui ont précédé la levée de fonds pour Meditech ont été de constituer le noyau dur d’une équipe de qualité, puis de se positionner de manière commerciale sur un bon marché. Après cela, Romain Renard n’a pas trouvé difficile de lever des fonds. Sa société a réalisé deux levées et il peut constater l’abondance de liquidités dans la tech.
Pour Samy Merad, l’événement dans le développement d’une startup n’est pas tant la levée de fonds que le fait d’avoir identifié un vrai problème pour le client et que celui-ci est prêt à payer pour la solution. La levée n’est donc pas l’étape la plus dure bien qu’essentielle pour des entreprises technologiques qui souhaitent se développer à grande échelle. Posos, lancée à l’été 2020 a depuis de plus en plus d’utilisateurs très satisfaits de la solution. Le fait de voir que Posos répond à des problèmes concrets du quotidien est la véritable satisfaction pour Samy Merad.
Est-ce vraiment si facile de lever des fonds (Alexis Fontana) ?
La levée n’est pas une fin en soi pour Romain Renard. Elle est très facile en « early stage » (ie au début du développement de la société) car les investisseurs regardent surtout deux choses : la qualité et la vision de l’équipe, il est donc trop tôt pour mesurer de vrais objectifs. Il est alors assez facile pour les entrepreneurs de vendre du rêve aux investisseurs. Les levées sont plus difficiles par la suite (série A notamment).
Comment a été exposée la solution pour convaincre les premiers clients (Loreley Mac Donald) ?
Meditech faisant du « B2B2C » (B2B + B2C), Romain Renard a indiqué que le « B2B » (s’adresser aux entreprises) était assez compliqué en raison du peu de maturité technologique dans l’industrie pharmaceutique qui est extrêmement réglementée. Le « B2C » (s’adresser directement aux clients à savoir les praticiens) est en revanche plus facile.
Pour Samy Merad, le « B2C » opéré par Posos est en effet plus facile, la solution étant en outre gratuite pour les praticiens à ce jour. Toutefois, le payeur n’est pas toujours l’utilisateur final. Posos réfléchit à s’adresser à d’autres clients que les praticiens : l’hôpital, les assureurs et les éditeurs de logiciel pourraient être intéressés par la solustion.
Vous avez un discours très mature. Toutefois, si vous proposez la solution gratuitement, la profitabilité n’est pas acquise, alors comment allez-vous durer (Alexis Fontana) ?
Selon Romain Renard, l’objectif poursuivi est avant tout de construire un asset stratégique qui va s’intégrer au sein de l’écosystème health tech, plutôt que de faire payer les praticiens. Mais il est vrai qu’une minorité de startups réussit, celles qui échouent n’ayant pas atteint la profitabilité.
Comptez-vous vous étendre à l’international (Vanja Misevic) ?
Samy Merad a expliqué que Posos utilise le NLP (« Natural Language Processing »), ce qui permet d’entraîner leurs algorithmes pour récupérer des données certifiées dans chaque pays. Tous les pays ont des bases de données certifiées par les agences réglementaires.
Envisagez-vous des partenariats avec des gros acteurs du NLP ? (Alexis Capelle)
Samy Merad a répondu qu’il s’agissait d’une possibilité pour Posos mais que ce n’était pas la priorité à ce jour.
Est-ce que l’entrée de nouveaux actionnaires peut fermer des portes en termes d’opportunités de marché ? (Alexis Fontana)
Pour Samy Merad, l’actionnaire a en effet un impact sur les opportunités de marché, l’arrivée d’un nouvel actionnaire peut ouvrir ou fermer des portes. La santé est un secteur complexe, Posos espère que son board puisse apporter un réseau ou une expertise à l’entreprise.
Quelles sont les différences entre les termes « medtech », « biotech » et « e- santé » ? (Loreley Mac Donald)
Selon Romain Renard, le terme par “health tech” on englobe tous ces termes. La « e-santé » correspond à comment l’on traite l’information qui concerne le parcours de soin. La « medtech » renvoie à la production d’outils à haute valeur ajoutée (comme la robotique).
Pour SamyMerad, la «biotech» correspond aux technologies du vivant et s’adresse davantage aux laboratoires. On parle de « e-santé » dès lors qu’un outil numérique branché à internet est utilisé dans la santé, la meilleure illustration étant la télémédecine. On cherche à digitaliser ou créer un usage.
Romain Renard a ajouté que le secteur le plus porteur était celui de la donnée patient, qu’il fallait chercher à la récupérer et à savoir la traiter. Samy Merad poursuit en indiquant que le plus précieux serait la donnée spécialisée, que l’on allait vers des modèles de santé personnalisée. L’enjeu est de structurer la donnée.
Quels acteurs sont les plus en mesure de récupérer et traiter la donnée ? Les acteurs publics ? Les startups ? L’industrie ? (Loreley Mac Donald)
La tendance est au secteur public selon Romain Renard. Quant à l’industrie, celle-ci n’a pas les compétences nécessaires. Si on parle de récupération de données, les GAFA sont les mieux positionnées. Apple voudrait à terme réaliser 30 à 40% de son chiffre d’affaires Apple Watch avec la donnée médicale.
Samy Merad a rappelé que la donnée appartient au patient juridiquement. Il importe donc, pour faciliter la récupération et le traitement des données de responsabiliser les patients sur la donnée, de leur montrer que partager leurs données peut leur être bénéfique.
Comment se positionne la France sur le secteur ? (Loreley Mac Donald)
La France, a indiqué Samy Merad, a les meilleurs ingénieurs du monde. La France bénéficie aussi de subventions extraordinaires notamment grâce à la Banque Publique d’Investissement (BPI France). Toutefois on a toujours moins de gros montants investis dans l’écosystème qu’aux Etats-Unis, en Angleterre ou en Chine.
Pour Romain Renard la difficulté est de passer au stade de la très grosse entreprise. La France arrive à créer des sociétés rachetées à 100-150 millions de dollars par des entreprises américaines, mais pas à créer d’aussi grosses entreprises qu’aux Etats-Unis.
Quels sont les obstacles à la création d’un champion numérique ? (Vanja Misevic)
Cela est très compliqué dans la santé selon Romain Renard. Il est très difficile voire interdit d’accéder à la donnée en France, tandis qu'aux Etats-Unis la donnée s’achète.
D’après Samy Merad, cette difficulté réside d’abord dans la différence de la taille de marché : 68 millions d’habitants en France contre 320 millions aux Etats-Unis. Une startup française doit viser l’échelle européenne, ce qui est complexe en raison des différences de législations entre pays.
Romain Renard ajoute ne pas croire à la création d’un champion européen. Les GAFA défient toutes les règles concurrentielles. Les entreprises chinoises représentent aussi une nouvelle menace concurrentielle. La France peut plutôt se positionner sur les technologies de pointe.
On constate une externalisation des fonctions régaliennes, l’Etat compte sur le privé, sur les entrepreneurs. Mais est-ce que la BPI n’est pas trop laxiste, en soutenant des entreprises au potentiel incertain ? (Alexis Fontana)
Cela est vrai pour Samy Merad, mais la BPI a les moyens financiers pour se le permettre. Romain Renard poursuit en précisant que la BPI a de très bonnes équipes et est volontairement laxiste. C’est la volonté de l’Etat de soutenir, même irrationnellement, l’entrepreneuriat technologique.
Pour l’Etat, la BPI est-elle un outil indirect pour lutter contre le chômage ? (Vanja Misevic)
Selon Romain Renard, les investissements de la BPI permettent de réinjecter de l’argent dans l’économie. C’est un dommage collatéral de maintenir artificiellement en vie certaines entreprises.
Samy Merad ne croit pas que cela soit un moyen de lutter contre le chômage car les entreprises soutenues ont des petites équipes, souvent de trois ou quatre personnes. Et parfois, même quand une entreprise n’est pas viable, certaines choses comme sa technologie sont à garder.
A quels enjeux réglementaires êtes-vous confrontés ? (Loreley Mac Donald)
D’après Samy Merad, Posos n’est pas mise en difficulté réglementairement pour les référencements car l’entreprise ne reformule pas le texte mais classe des sources fiables. In fine c’est toujours au praticien de choisir.
Romain Renard conçoit à terme le rôle du praticien comme celui d’une «ceinture de sécurité ». Il vérifie après le travail de la machine. Mais le praticien n’est pas remplacé par la machine car les corporations sont préservées et puissantes. Sinon cela ferait longtemps que l’on achèterait plus le doliprane en officine mais sur internet.
Samy Merad ajoute que depuis quatre ans les machines sont supérieures à l’homme pour reconnaître un mélanome. Toutefois, les patients n’acceptent pas que tout soit fait par la machine. Ils veulent un médecin pour les accompagner.
Quel est l’impact de la crise de la covid-19 sur l’écosystème ? (Loreley Mac Donald)
Selon Romain Renard, cela a permis une grosse expansion de l’écosystème car on a favorisé le digital. Toutefois Meditech a été peu impacté puisque l’entreprise œuvre en Afrique de l’ouest francophone, peu touchée par le covid.
Samy Merad constate aussi des impacts positifs, les médecins sont par exemple plus favorables à la télémédecine. On est passé de 40 000 consultations en télémédecine en février à 600 000 en mars 2020. Pour Posos, la différence a moins été constatée car la solution a été lancée l’été dernier. Mais le covid a fait que l’accès à l’information est devenu primordial.