Les banlieues françaises : une partition, un apartheid culturel ?
Selon le Ministère de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les Collectivités Territoriales, les banlieues françaises, ou les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont estimés à près de 1500 en métropole et territoires d'outre-mer. Cela recouvre près de 702 communes (dont 147 pour la seule région d'Île de France). Ces territoires réunissent plus de 5 millions d'habitants et sont caractérisés par des chiffres accablants : un taux de chômage qui peut parfois atteindre plus de 40 % et une part considérable d’habitants vivant sous le seuil de pauvreté.
Par ailleurs, ces quartiers prioritaires constituent l’un des terreaux des islamistes radicaux, lesquels surfent opportunément sur la misère existante et la quête identitaire de populations en rupture de la communauté nationale pour « recruter » les potentiels candidats au jihad.
La récente actualité autour de la ville de Trappes témoigne de la tension liée à cette problématique. Ce serait ainsi près d’une soixantaine de personnes qui seraient parties en Syrie ou en Irak. Selon le professeur Bernard Rougier, qui a dirigé l’ouvrage collectif Les territoires conquis de l’islamisme, il y aurait une véritable montée de l’intégrisme religieux dans les banlieues.
Enfin, les quartiers prioritaires demeurent la scène de faits divers récurrents tels que les règlements de compte liés au grand banditisme, les émeutes et la délinquance du quotidien (vol, agressions, etc.).
1. Le spectre de territoires mis à la marge
Il est à déplorer que les banlieues se résument trop souvent dans le débat public aux différentes émeutes qui ont secoué la France ces vingt dernières années (Grenoble, Argenteuil, Clichy, Villeneuve-la-Garenne…).
Cette présence palpable de la violence, du danger islamiste, ainsi que l’accumulation des maux que l’on retrouve dans la société française (chômage, échec scolaire, abandon des familles, recul des services publics…) rend difficile la gestion de ces quartiers parfois qualifiés de « territoires perdus de la République » selon l’ouvrage bien connu de Georges Bensoussan. Aussi, la concentration d’une population majoritairement issue de l’immigration ne favorise en rien l’intégration des habitants à la communauté nationale.
Face à ces constats, il apparaît que les banlieues françaises se présentent comme une autre France, où des populations confrontées à elles-mêmes se replient et tendent à se désolidariser de la République, en s’identifiant davantage à des communautés ethniques d’appartenance, ou en se rapprochant de groupuscules islamistes radicaux.
Il est à noter que ces mouvements de dissociation de la communauté nationale ne sauraient toutefois se limiter à des considérations ethnico-religieuses. Ainsi Christophe Guilluy, dans son ouvrage La France Périphérique : Comment on a sacrifié les classes populaires, témoigne-t-il d’un véritable séparatisme entre ce qui relève du centre urbain d’une part et des banlieues et de la ruralité d’autre part.
Selon le Ministère de la Cohésion des Territoires, la politique de la ville s’articule autour de trois axes prioritaires que sont :
1. l’emploi ;
2. l’éducation ;
3. le renouvellement urbain.
Le budget alloué à la réduction des écarts entre les quartiers prioritaires et les autres est de 10 milliards d’euros par an. Ces moyens, engagés au service d’une noble cause, ne peuvent pas masquer l’échec de l’Etat sur la politique de la ville. Comme évoqué dans l’ouvrage Les territoires conquis de l’islamisme précité, certains quartiers ressemblent de plus en plus à des enclaves « en rupture avec la société française ». Il s’agit de ce séparatisme culturel où la France n’est plus portée comme un idéal, un espoir et une garantie des libertés, mais plutôt comme un élément vide de sens – quand il ne s’agit pas d’un ennemi.
Comprendre la complexité des quartiers prioritaires et le séparatisme qui se cache derrière le mot banlieue passe nécessairement par une définition claire et objective des maux de ces lieux.
La loi confortant les principes républicains, adoptée en première lecture à l’Assemblée Nationale le 16 février dernier, s’inscrit comme la dernière réponse gouvernementale à une problématique ancienne qui a notamment pris forme dans ces quartiers prioritaires.
2. Un séparatisme culturel résultat de l’hyper-concentration de tous les maux de la société
La criminalité, la violence et la sur-délinquance semblent être au cœur de cette partition. Pour rappel, selon un rapport, publié fin décembre 2020, du service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), on comptabilise entre trois et quatre fois plus de personnes mises en causes dans des vols violents, avec ou sans arme, dans les quartiers prioritaires de la ville qu’ailleurs. Cette insécurité latente, cette incapacité de l’Etat à lutter contre la criminalité et la délinquance, laisse des populations locales confrontées à leur propre sort et qui ne croient plus en la capacité de l’Etat à faire respecter la loi sur l’intégralité du territoire.
Ensuite, les quartiers prioritaires vivent une montée en puissance des mouvances islamistes extrémistes. L’actualité récente de la ville de Trappes, réputée pour avoir fourni un contingent important de candidats au jihad, témoigne de ce glissement de certains quartiers d’une pratique de l’Islam « sans histoire » vers un islamisme radical. Le séparatisme intervient dès lors qu’une minorité d'habitants en vient à convaincre l’ensemble des autres du bien-fondé d’une idéologie de rupture avec l’Etat, voire à imposer cette idéologie. Il est dès lors à craindre une disparition progressive de l’identité nationale, de la liberté et de la sécurité au profit d’idéologies extrémistes.
Par ailleurs, la concentration d’une population majoritairement issue de l’immigration favorise le repli communautaire et met en tension désir de se retrouver entre groupes ethniques et volonté de vivre en France au sein de la communauté nationale. En 2011, l’Observatoire Nationale des Zones Urbaines Sensibles (ZUS) publiait un rapport dans lequel il précisait que 52,6 % des personnes vivant dans les quartiers prioritaires étaient issues de l’immigration. Cette hyper concentration d’hommes et de femmes issus de l’immigration, parfois qualifiée de « ghettoïsation », rend ostentatoire cette partition qui se cache derrière le mot banlieue. La concentration importante de commerces communautaires ne fait que renforcer cette scission culturelle.
Arme de la liberté et garantie de l’unité nationale, l’école devrait être un espace géographique et temporel privilégié permettant le cantonnement des différences à la sphère privée. Les difficultés de l’Etat à réduire les inégalités dans l’enseignement ne font que renforcer les difficultés scolaires dans les quartiers prioritaires.
L’incapacité des élèves à s’exprimer correctement en langue française au collège et la crainte de certains enseignants de travailler dans ces quartiers prioritaires témoignent une nouvelle fois de ce séparatisme, de ce double échec de l’Etat et des familles.
Illustrant ces inégalités, le rapport 2018 du Conseil National d’Evaluation du Système Scolaire (CNESCO) annonce que pour 4 heures de cours de français par semaine annoncées en classe de 3ème, le temps d’enseignement effectif ne serait que de 2h30 en éducation prioritaire. Par ailleurs, les jeunes quittant le système scolaire évoluent fréquemment dans un milieu familial complexe où ils sont totalement laissés pour compte, ce qui les conduit à toutes les dérives (vol, agressions, trafic de stupéfiant…). L’abandon des familles ne fait qu’alimenter ce séparatisme culturel et laisse également les plus jeunes à la merci des prêcheurs de haine.
Vient enfin la précarité économique. Également à l’origine d’une partie de la délinquance du quotidien, cette précarité se traduit par des taux de chômage allant jusqu’à 40 % de la population de ces quartiers prioritaires. Ceci s’explique notamment par la crainte des entreprises à s’installer dans des zones où l’insécurité est élevée. Le nombre de foyers vivant sous le seuil de pauvreté étant considérable, les difficultés économiques ne font qu’amplifier l’ensemble des problèmes cités précédemment.
La partition entre les banlieues françaises et le reste de la France s’opère donc à plusieurs niveaux. Du fait des éléments cités précédemment, les populations des banlieues se détachent presque naturellement de tous liens possibles avec le reste de la communauté nationale. Ce qui constitue la culture française (sa langue, ses valeurs, son patrimoine) est très nettement bousculé – voire en péril – dans les quartiers dits prioritaires.
Le politique devrait donc s’attacher à traiter ces principaux problèmes de fond qui conduisent au repli de ces territoires sur eux-mêmes et donc à une forme de séparatisme identitaire et culturel.
3. L’échec du politique
Ce sont près de quatre décennies de plans à destination des banlieues. Le dernier en date : le rapport Borloo, remis en avril 2018 au Président de la République.
Ce nouveau plan pour les quartiers prioritaires s’attache effectivement à accorder des moyens à destination de l’emploi, de l’urbanisme, de la petite enfance, du numérique, de la solidarité ou encore du sport.
Des propositions fortes composent ce plan, telles que :
la volonté de faire respecter la loi du 1er janvier 2015 qui contraint les entreprises de plus de 250 salariés à respecter un quota d’alternants de 5 % ;
la mise en place d’un grand plan contre l’illettrisme en vue de diviser par deux les personnes en situation d’illettrisme d’ici 2025 ;
la création de campus numériques au sein de 200 quartiers afin notamment de favoriser la formation, la création d’entreprise, l’ouverture à la culture et la lutte contre l’isolement médical par la mise en place de cabines de télémédecine ; et
la mise en place de campagnes médiatiques de sensibilisation pour lutter contre les discriminations de la vie quotidienne et l’accès à l’emploi.
Le rapport balaye des thématiques tout à fait cruciales pour réconcilier ces quartiers prioritaires avec la République et favoriser leur désenclavement. Cependant, il fait fi d’éléments fondamentaux qui justifient précisément que les banlieues soient devenues des quartiers prioritaires. Il a en outre fait l’objet d’un revirement spectaculaire du gouvernement qui l’avait lui-même pourtant commandé, infligeant au passage un camouflet fortement médiatisé en direction de son auteur.
Quoiqu’il en soit, l’absence de mesures fortes contre l’insécurité, la lutte contre le trafic de stupéfiants, l’islamisme radical et la concentration des populations précaires, fragiles et issues de l’immigration témoigne de l’incapacité du politique à traiter des problèmes de fond. Il ne suffit donc pas de se contenter de quelques ravalements de façades pour s’assurer du plein retour des banlieues dans le giron républicain mais plutôt de décider d’actes forts et responsables.
4. Nos recommandations : faire vivre « l’espoir banlieue »
Les questions d’insécurité et de lutte contre l’islamisme et ses ramifications doivent être prioritaires. Quelques mesures de bon sens constitueraient un premier pas encourageant, par exemple :
Suspendre les allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire des enfants (suspension anciennement permise par la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010, abrogée en 2013) ;
Appliquer strictement les peines infligées aux délinquants du quotidien et aux trafiquants de stupéfiant, sans remises ou adoucissement systématiques des peines ;
Effectuer des contrôles inopinés par des agents de police spécialistes des prêches ;
Interdire tout financement étranger d’une association cultuelle ;
Instaurer la déchéance de nationalité pour les binationaux auteurs d’attentat, tentative d’attentat, complicité d’acte de terrorisme, apologie et provocation au terrorisme ;
Interdire le retour des candidats au jihad.
Il apparaît ainsi prioritaire de mettre en œuvre des mesures de nature à améliorer la sécurité et de faire en sorte que l’école redevienne un lieu de socialisation et de savoir incontournable. Se donner les moyens de retrouver un espace sécurisé constitue également un préalable en vue d’inciter les entreprises à s’installer et à développer leurs activités.
S’il s’agit de mener une politique efficace à destination des quartiers prioritaires de la ville, il ne faut toutefois pas laisser de côté les autres territoires enclavés – au premier rang desquels certains territoires ruraux.