Les Investissements Socialement Responsables (ISR) : à la recherche d'une performance environnementale et sociale au détriment de la performance financière des entreprises ?

 

Selon la définition de l’Autorité des Marchés Financiers, les Investissements Socialement Responsables (ISR) permettent d’investir dans des fonds qui prennent en compte, en plus des critères financiers, des critères extra-financiers de type ESG (Environnementaux, Sociaux, et de Gouvernance). Les actifs gérés de manière responsable par le fonds vont généralement concerner les actions et obligations cotées mais aussi, selon des modalités spécifiques, l’immobilier ou le capital investissement. Ainsi, investir dans ce type de fonds est une manière de participer au financement d’entreprises et d’entités publiques contribuant au développement durable quels que soient leurs secteurs d’activité. Ce type de placements allie performance économique et impact social et environnemental.[1] Bien que les critères de responsabilité sociale soient applicables à l’ensemble de l’économie, cet article traite principalement des grandes entreprises, c’est-à-dire les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d'euros.

Les ISR sont en constante évolution depuis les années 90, notamment au travers de produits visant à générer une performance environnementale ou sociale en plus de la performance financière. Bien que graduelles, l’évolution et la définition des critères ont connu des étapes marquantes. A titre d’exemple, Sycomore Eco Solutions est un produit né dans le sillage de la conférence de Paris sur le climat en 2015 (la COP21). Il s’agit d’un fonds d’actions européennes qui concentre ses investissements sur des entreprises apportant des solutions aux problématiques environnementales, comme les énergies renouvelables, ou encore les transports propres.[2] En outre, il existe deux labels pour identifier les fonds ISR : le Label Investissement Socialement Responsable créé en 2015 par le Ministère de l’Économie et des Finances, qui est attribué aux fonds investissant dans des entreprises aux pratiques responsables en matière environnementale, sociale et de gouvernance. Et le Label Greenfin (ancien label TEEC), créé par le Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer en 2015 : il est attribué aux fonds investissant dans l’économie verte et excluant les entreprises opérant dans le secteur nucléaire et les énergies fossiles. Ces labels concernent des fonds présents principalement en France et en Europe, mais également dans certains pays tiers. 

Cependant, si ces labels sont une manière de s’assurer que les fonds dans lesquels il est possible d’investir respectent des critères ESG, ces derniers ne garantissent pas la performance financière du fonds. Ainsi, la question qui vient naturellement est la suivante : les ISR sont-ils à la recherche d’une performance environnementale et sociale au détriment d’une performance financière des entreprises ?

La réponse à cette question est nuancée et connaît une évolution importante au cours des dernières années. Une vision globale de l’impact des pratiques écologiques sur la performance financière des entreprises a été présentée dans l’article « Green practices and Financial performance : A global outlook » publié en 2017[3]. Les entreprises cherchent à réduire leur impact environnemental et à améliorer leurs performances financières via l’adoption de pratiques écologiques. Si la mise en place de telles mesures permet de répondre aux attentes de plus en plus exigeantes des différents acteurs économiques, elle est également source de légitimité et d’innovation technologique à l’origine de nouveaux avantages concurrentiels pour les entreprises. A travers l’étude de 3490 entreprises cotées en bourse issues de 58 pays, les auteurs de l’article montrent que les pratiques écologiques dites « internes » (prévention de la pollution et gestion de la chaîne d'approvisionnement) sont les principaux facteurs environnementaux de la performance financière, alors que les pratiques écologiques dites « externes » (développement de produits verts) jouent un rôle secondaire sur la performance financière. Ainsi, la performance environnementale d’une entreprise a bien un impact positif sur sa performance financière. Cet impact est par ailleurs amplifié en cas de cohérence entre les trois dimensions ESG (environnementale, sociale et gouvernance).

Prenons maintenant deux exemples concrets de ces fonds « verts » labélisés ISR. Le fonds Amundi Actions Euro ISR (groupe Crédit Agricole) est présenté comme ayant un risque potentiellement plus fort et donc un rendement plus fort en investissant dans les entreprises cotées de la zone euro selon un processus de gestion socialement responsable[4]. Le fonds LBP AM ISR Actions France (Groupe La Banque Postale), également labélisé ISR, indique aussi un risque plus élevé avec un rendement potentiellement plus élevé en investissant sur le marché des actions françaises selon les mêmes critères de responsabilité sociale[5]. Ces deux exemples confortent l’idée que le fait d’investir dans un fonds ISR semble assurer un certain rendement potentiel, donc une performance financière pour l’entreprise. Cette constatation est confirmée par Stéphanie Turquin, économiste à l’Institut National de la Consommation et membre du comité du Label ISR[6]. Selon elle, les fonds labellisés ISR rapporteraient autant que les autres placements avec sur le plan du rendement, une performance comparable à celle des autres produits financiers. Des études académiques démontrent depuis plusieurs années une performance comparable à celles des autres produits financiers. De plus, l’investissement socialement responsable peut contribuer plus que d’autres à assurer un rendement de long terme. En choisissant les entreprises les plus respectueuses des critères ESG, les fonds labellisés ISR ciblent des sociétés performantes qui souhaitent contribuer à la finance solidaire et durable. En plus de renforcer leur image, elles anticipent et préviennent d’éventuels risques susceptibles de compromettre à terme leur santé financière. Ainsi, en adoptant cette approche respectueuse de l’environnement naturel et social, les entreprises dans lesquelles investissent les fonds labellisés ISR font le pari d’une meilleure rentabilité à long terme.

Investir dans des fonds ISR semble donc assurer une performance financière pour les entreprises qui, dans le même temps, respectent des critères ESG. Rechercher une performance environnementale et sociale ne va pas au détriment de la recherche d’une performance financière de l’entreprise, bien au contraire. Et cette recherche d’une performance autre que simplement financière pour les entreprises est d’autant plus critique aujourd’hui que les préoccupations sur le changement climatique se font grandissantes. Mais concrètement, si nous prenons l’exemple d’une grande entreprise française, qu’a-t-elle réussi à mettre en place en se finançant via ces fonds ISR ? 

Un fonds ISR peut prendre différentes formes, dont la sélection ESG ou l’approche « Best in class » en France. Les sociétés de gestion de portefeuille (SGP) sélectionnent des entreprises pour leurs bonnes pratiques environnementales, sociales et de gouvernance. Cette approche favorise donc les entreprises qui ont les meilleures notes d’un point de vue extra-financier[7]. Depuis la loi Pacte de 2019, pour la transformation et la croissance des entreprises en France, élaborée en coopération avec les entreprises, les parlementaires, les syndicats et la société civile, chaque entreprise doit prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité et les statuts de l’entreprise peuvent préciser une « raison d’être » pas seulement un objet social. En outre, le rapport annuel des grandes entreprises du CAC 40 inclut maintenant une section entière dédiée à la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE), et certaines entreprises produisent un rapport RSE en plus de leur rapport annuel pour assurer une meilleure communication autour des critères ESG. Par exemple, Société Générale, une des premières banques françaises, membre du CAC 40, participe aux enjeux des Objectifs de Développement Durable (ODD) définis par l’ONU, et se concentre notamment à contribuer de façon positive à la transition énergétique ou encore à renforcer la culture du Groupe, la conduite et la gouvernance. Ainsi, la banque a pris des engagements très clairs dans la sortie du charbon, en 2030 dans les pays de l’OCDE et dans l’UE, et en 2040 ailleurs. Les agences de notation extra-financière Sustainalytics[8] et Vigeo Eiris[9] lui attribuent respectivement une note de 71/100 et de 66/100, ce qui place la banque en très bonne position par rapport à ces principaux concurrents.[10]

En termes d’avancées récentes, en mars 2020, l’AMF a publié un rapport sur les informations à fournir par les placements collectifs (fonds ou sociétés) intégrant des approches extra-financières. L’institution préconise notamment que « la moyenne d’un indicateur extra-financier calculée au niveau du portefeuille doit être meilleure d’au moins 20 % par rapport à celle calculée sur l’univers investissable », afin que les placements collectifs puissent être en mesure de faire des caractéristiques extra-financières un élément central de leur communication[11]. En d’autres termes, il faut être meilleur que la moyenne des investisseurs pour pouvoir communiquer sur les critères extra-financiers. 

En termes de performance, nous observons déjà parmi les leaders du secteur que la performance des fonds ISR est supérieure à celle des investissements traditionnels. C’est le cas du géant d’actifs Amundi et de son fonds Amundi Actions EUROPE ISR - I qui affiche une performance de 25,59% au 31/12/2020[12]. En comparaison, son fonds Amundi CAP FUTUR - I, principalement investi en actions, affiche une performance de « seulement » 8,66% depuis le 31/12/2020[13]. Par ailleurs, l’indice d’Euronext rassemblant les sociétés aux meilleurs scores ESG, Euronext Vigeo World 120 Index réalise un performance annuelle positive dans un marché en baisse. 

C’est donc à la fois en tenant compte de ces critères ESG chiffrables et mesurables fournis par les entreprises ainsi que par leurs notes extra-financières attribuées par des agences de notation spécialisées que les SGP peuvent faire leur choix. Les banques prennent toutes le pas des ISR : en décembre 2020, la Banque Postale Asset Management (LBP AM) a finalisé sa bascule 100% ISR avec 17 nouveaux fonds labellisés ISR. Certains de ses fonds ont été transférés à Ostrum AM dans le cadre de l’opération de rapprochement finalisée le 31 octobre 2020. LBP AM est le 1er gérant d’actifs généraliste en France à proposer une gamme de fonds ouverts 100% labellisés « Label ISR » avec 25 milliards d’euros d’encours de fonds labellisés pour LBP AM. .[14]Carmignac, une société de gestion, avec 35 milliards d’euros d’actifs sous gestion dont le siège social est basé à Paris mais qui est implanté dans plusieurs pays européens a obtenu le label ISR du gouvernement français pour trois de ses Fonds en 2019[15] et a fait officiellement de sa gamme de produits « durables » son axe de communication pour compenser la performance moins robuste de certains fonds dits traditionnels.

L'Europe constitue la région du monde la plus active et dynamique en matière d'innovation et d’investissement responsable. Selon Eurosif, réseau européen de promotion de l'ISR, l’impact investing a connu une croissance record de 385% entre 2013 et 2015, portant ainsi les encours à près de 100 Mds€ à fin 2015 (contre 20Mds€ en 2013)[16]. Eurosif comptabilise dans l’impact investing à la fois les investissements à impact social mais aussi les investissements en obligations vertes. Les Pays-Bas et la Suisse sont les fers de lance dans ce domaine suivis par le Royaume-Uni, la France, l’Italie, l’Allemagne et la Suède. Cependant, d'un pays à l'autre, les pratiques de prise en compte des critères ESG sont variées et les labels différents dans la mesure où ce développement s'est fait dans des contextes différents. Ainsi, nous préconisons la création d’un label européen composé d’actifs labélisés qui permettrait une forme de consensus au niveau européen sur une définition de ce qu’est l’ISR ainsi qu’une meilleure lisibilité pour les investisseurs particuliers dans le cadre d’un marché de l’investissement plus efficient pour les acteurs.

En conclusion, nous avons pu voir que performance environnementale et sociale et performance financière se conjuguent l’une et l’autre grâce notamment à l’utilisation de plus en plus massive des fonds ISR. Il s’agit d’une pratique en matière de finance verte mais il en existe bien d’autres. La finance verte a pour objectif, via un ensemble d’instruments financiers, de favoriser l’accélération de la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique. Les green bonds (obligations vertes) sont également un des principaux outils de la finance verte. Les green bonds sont des émissions obligataires sur les marchés financiers par des entreprises, des États ou entités publiques (collectivités, villes, etc.) visant à financer des projets favorisant la transition écologique. Investir dans ces fonds dédiés à la transition énergétique et à la lutte contre le réchauffement climatique, c’est être à la recherche d’un placement qui combine bénéfice financier et environnemental. Afin de promouvoir un capitalisme responsable, la finance d’aujourd’hui qui est au service de l’économie, et encore plus celle de demain, sera nécessairement verte et durable.

[1] Site internet de l’AMF : https://www.amf-france.org/fr/espace-epargnants/comprendre-les-produits-financiers/finance-durable/comprendre-linvestissement-socialement-responsable-isr

[2] Article Le Monde, mai 2017 : http://www.lemonde.fr/argent/article/2017/05/13/les-habitsneufs-de-l-investissement-responsable_5127294_1657007.html

[3] BARONTINI Roberto; MIROSHNYCHENKO Ivan; TESTA Francesco. Green Practices and Financial Performance: A Global Outlook (2017). Journal of Cleaner Production

[4] Données décembre 2020 : https://www.amundi.fr/fr_instit/product/view/FR0010458745

[5] Données décembre 2020 : https://www.labanquepostale-am.fr/nos-fonds/detail-fonds/id/1116?fund=AMF&isin=FR0000003592

[6] Interview Stéphanie Turquin, site Label ISR : https://www.lelabelisr.fr/anstyq/isr-rapporte-autant-autres-placements/

[7] Site internet de Novethic : https://www.novethic.fr/lexique/detail/isr.html

[8] Site internet de Sustainalytics : https://www.sustainalytics.com

[9] Site internet de Vigeo Eiris : https://vigeo-eiris.com/fr/

[10] Rapport annuel 2019 Société Générale : http://investors.societegenerale.com/sites/default/files/documents/2020-08/Rapport_Integre_2019-2020.pdf

[11] Position-recommandation DOC-2020-03 de l’AMF : https://www.amf-france.org/sites/default/files/doctrine/Position/Informations%20a%20fournir%20par%20les%20placements%20collectifs%20integrant%20des%20approches%20extra-financieres.pdf

[12] Reporting mensuel Amundi Actions Europe ISR – I: https://www.amundi.fr/fr_instit/Fonds/Fonds

[13] Reporting mensuel Amundi CAP futur – I: https://www.amundi.fr/fr_instit/Fonds/Fonds

[14] Site internet de La Banque Postale : https://www.labanquepostale.com/legroupe/actualites-publications/actualites/2020/asset-management-isr-leader-finance-durable.html

[15] Site internet de Carmignac : https://www.carmignac.fr/fr_FR/analyses-marche/focus-fonds/investissement-socialement-responsable-3-fonds-carmignac-labellises-2638

[16] Site internet de Novethic : https://www.novethic.fr/finance-durable/comprendre-linvestissement-responsable/lisr-dans-le-monde/lisr-en-europe.html