"Next Generation EU : un plan de relance entre tensions et compromis"

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 « Nous devons continuer à protéger les travailleurs et les entreprises et coordonner étroitement nos politiques au niveau de l’UE afin de garantir que nous sortirons plus forts et unis de cette crise »[1] a déclaré Valdis Dombrovskis, Commissaire européen au Commerce. L’ambition des dirigeants européens était donc à la solidarité et à la concordance. Toutefois, ce plan de relance commun s’est heurté au principe de réalité : celui des intérêts nationaux. En effet, les pays dits « frugaux », c’est-à-dire peu enclins à accorder des subventions aux pays les plus en difficulté, se sont opposés dans un premier temps au plan porté par la France et l’Allemagne. Après ce premier désaccord, les pays membres conviennent finalement d’un plan de relance nommé Next Generation EU doté d’une enveloppe de 750 milliards d’euros avec un renforcement du budget 2021-2027 de l’UE. Cependant, c’est la Hongrie et la Pologne qui s’opposent cette fois- ci à ce dernier en raison de la règle du respect de l’État de droit conditionné au plan de relance. 

Un plan de relance ambitieux pour pallier les difficultés sociales et économiques engendrées par la crise sanitaire et économique. 

L’Europe a été durement frappée par l’épidémie du coronavirus tant sur le plan sanitaire que sur le plan économique. Le produit intérieur brut de la zone euro a baissé de 12,1% par rapport au dernier semestre selon le dernier rapport[2] publié par Eurostat. En réponse à cette crise, les pays européens ont décidé de se concerter afin de mettre en place un plan de relance commun. Ainsi, environ un mois après la proposition de la Commission européenne le 27 mai 2020, le conseil européen a trouvé un accord sur le plan de relance européen. Alors que les pays dits « frugaux » à savoir le Pays-Bas, la Suède, le Danemark, l’Autriche et la Finlande, étaient sceptiques à l’accord, ils ont finalement pu concevoir un plan commun après quatre jours de négociation. Ce dernier est pensé en deux temps : 750 milliards d’euros seront débloqués pour faire face à l’urgence économique et 1 074 milliards seront accordés sur un temps plus long de 2021 à 2027. Les fonds alloués seront répartis entre des subventions pour les pays les plus fragiles économiquement ou des prêts. 

Un plan européen de relance inédit 

« Next Generation EU » est inédit tant par son fond que par sa forme et ce, en plusieurs points. En effet, pour la toute première fois, l’Union européenne emprunte en son nom sur les marchés. Les pays membres ont pris la voie de la dette mutualisée. Une décision prise après un long sommet de quatre journées de négociations intensives. Cet accord renforce l’intégration européenne et est une marque importante de solidarité à l’heure où le Vieux Continent traverse une récession importante. 

Parmi les 750 milliards, 390 milliards seront accordés sous forme de subventions ainsi que 320 milliards consacrés aux prêts afin de faciliter la relance. Chaque pays membre pourra emprunter une somme qui peut aller jusqu’à 4,7% de son revenu national brut. Par ailleurs, plus de la moitié du budget pluriannuel sera dédiée à la recherche et l’innovation, la transition numérique et climatique ainsi qu’à la mise en place du plan « L’EU pour la santé » afin de repenser nos systèmes de santé et se prémunir contre de futures menaces sanitaires.  

Un plan mis à mal par des enjeux politiques 

Alors que le sommet arrive à son terme, la Hongrie, qui devait recevoir 5 milliards ainsi que 6 milliards, s’est opposée au plan de relance. Après, elle, c’est la Pologne qui l’a suivie. Pourtant cette dernière a plus à perdre que la Hongrie. 14 milliards d’euros lui étaient destinés ainsi que 23 milliards sur le budget pluriannuel. Tous deux bloquent le plan en raison de l’article 7 du plan.

En effet, celui-ci conditionne l’accès au plan de relance au respect de l’État de droit. Une notion jugée trop vague par Viktor Orban, premier ministre de Hongrie. Dès lors, les fonds européens sont bloqués malgré la gravité de la crise et l’urgence de la situation. Les deux pays risquent d’être exclus du plan de relance ainsi que du budget mais cette menace ne semble pas les adoucir dans leur position comme en témoigne la déclaration suivante de Viktor Orban : « La Hongrie est catégorique sur le fait que les deux sujets doivent être séparés » en faisant allusion aux sujets économique et politique. 

Un compromis final entre les pays membres 

Bien que les deux « camps » semblassent résolus à ne pas céder, ils ont finalement trouvé un accord le jeudi 10 décembre. Afin de garantir l’application de l’État de droit par tous les pays membres de l’Union, la condition de l’article 7 du plan demeure. Cependant, une déclaration accompagnera le plan et permettrait de saisir la Cour de justice européenne afin d’examiner sa légalité. Un accord qui fut initié par l’Allemagne et qui a permis de concilier les différents intérêts après des semaines de négociations et le véto de la Hongrie et la Pologne. 

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Les difficultés rencontrées par les pays membres ainsi que l'issue de cet accord démontrent plusieurs enseignements. Tout d’abord, l’issue de l’accord symbolise une victoire sur l’égoïsme des intérêts nationaux et la primauté de l’intérêt général de l’Europe. De plus, à travers le processus de dette mutualisée, on note une fois de plus dans l’histoire de l’Union le rôle fondamental de l’économie dans l’intégration européenne. Le plan de relance nous prouve également que l’on doit être exigeant concernant le respect de l’État de droit. Son application étant une condition sine qua non à une intégration politique mais également économique de l’Union. 

Par ailleurs, sur le plan économique, l’urgence d’agir est primordiale afin de soutenir les économies nationales au plus vite. Au-delà de la nécessité d’agir de façon ponctuelle, il est essentiel de réaliser des investissements structurels afin d’avoir un réel impact sur le long terme au sein des économies européennes. Un besoin décrié par la Banque européenne d'investissement. Dans son rapport pour la période 2019-2020[3], cette dernière déplore notamment une baisse des investissements publics depuis 20 ans. En réponse à cette baisse, elle appelle à investir dans les neuf thèmes suivants : la croissance et cohésion sociale, l’appui des infrastructures, l’investissement incorporel, l’innovation et la transition numérique, le système financier, les jeunes pousses et entreprises à potentiel de croissance, atteindre la frontière européenne de la productivité ainsi que dans les compétences à des fins de compétitivité et d’inclusion. En effet, ces prêts colossaux représentent une véritable opportunité pour les pays membres de définir une vision plus globale sur l’intégration économique de l’Union. 

Enfin, le plan de relance européen, de par son envergure, incite à poser des pistes de réflexion sur la gestion de la dette sur le plan national et européen. Une dette qui ne cesse d’être en hausse en raison des mesures coûteuses visant à limiter les conséquences sanitaires, économiques et sociales des pays membres. En devenant emprunteur de premier plan sur les marchés, l’Union européenne a la responsabilité d’accompagner son plan de relance à une gouvernance commune en termes de politique économique et budgétaire avec des mécanismes de sanctions économiques et non plus seulement politiques. 

[1] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_20_1269

[2] https://fr.statista.com/infographie/22592/ampleur-recession-economique-pays-europe-evolution-trimestrielle-pib

[3] https://op.europa.eu/fr/publication-detail/-/publication/59ccf6d3-3cc5-11ea-ba6e-01aa75ed71a1