Charte des principes pour l’Islam de France : un premier pas sur un long chemin de crête

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Suite à la demande du président de la République en octobre dernier, une charte dite « des principes pour l’Islam de France » a été rédigée par le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM).

Ce texte, né dans la douleur, est le résultat de négociations serrées conduites depuis plusieurs mois entre les neuf fédérations composant le CFCM. Ces dernières n’ont d’ailleurs pas fait mystère de leurs dissensions. Si cette charte ne fait pas consensus ab initio - quatre fédérations ne l’ont pas signée - elle peut au moins se prévaloir de consacrer l’accord d’une majorité du CFCM sur un point essentiel : le rejet sans équivoque de l’Islam politique et de sa promotion.

Révélée le 17 janvier 2021, la charte fait écho aux propos prêtés quelques jours plus tôt à Emmanuel Macron à l’occasion des traditionnels « vœux aux représentants des cultes » - non ouverts à la Presse. Le Président y aurait réaffirmé la volonté de l’Élysée de voir aboutir à court terme un autre projet directement lié à la Charte : la création d’un Conseil national des imams, projet récemment affaibli par le retrait de la grande Mosquée de Paris, laquelle compte pourtant parmi les fédérations signataires de la Charte.

La Charte semble ainsi devoir s’inscrire dans l’un des projets les plus ambitieux de la majorité : la construction d’un Islam « de France ». La Charte a vocation à encadrer les règles déontologiques du Conseil national des imams et « vise à tracer les valeurs à transmettre aux fidèles ». La primauté des principes républicains sur les convictions religieuses est réaffirmée d’emblée, ainsi que l’appartenance pleine et entière des musulmans de France à la communauté nationale. L’exécutif prend ses précautions et donne l’objectif premier de la Charte : celui de la paix civile et de la lutte contre la violence et la haine.

Toutefois, la France n’est pas la Maroc. Imposer un patronage politique laïc à une minorité religieuse semble a priori relever du pari. Les tentatives d’encadrement des religions et du culte ont connu dans l’Histoire de France des fortunes diverses, la réussite du Concordat ne suffisant pas à masquer l’échec retentissant des Révolutionnaires et de la Constitution civile du Clergé. Et c’est là un des risques majeurs d’une charte religieuse : ne parvenir à rassembler qu’une minorité consensuelle déjà convaincue et attiser les oppositions entre croyants « jureurs et réfractaires ». 

 En dépit de ces réserves de bon sens, la Charte est force de proposition intéressantes et novatrices, qu’il convient de saluer :

  • La supériorité hiérarchique des lois françaises sur les lois islamiques est affirmée ;

  • Le refus de toute stigmatisation de ceux qui ne croient pas ou ne croient plus et la liberté de renoncer librement à la foi islamique (article 3) ;

  • La réaffirmation claire de ce que les actes antimusulmans émanent d’une minorité et ne sauraient être assimilés au peuple français dans son ensemble (article 9) ;

  • La consécration, dans le prolongement du projet de loi confortant le respect des principes républicains dite loi anti-séparatisme, d’un strict contrôle des financements étrangers (article 6) et de la neutralité des agents des services publics (article 8)

Une interrogation légitime persiste toutefois : l’adhésion à la charte de l’ensemble des français de confession musulmane est-elle réellement envisageable ?

 Des ambiguïtés à lever

Certains points interloquent. En effet, l’article 4 sur le respect de l’égalité femme-homme dispose que « certaines pratiques culturelles prétendument musulmanes ne relèvent pas de l’Islam », sans en nommer aucune. 

L’article 5, pour sa part, incite à la fraternité et rappelle que toutes les formes de discriminations sont des délits pénalement condamnés, citant en exemple « les actes antimusulmans, les actes antisémites, l’homophobie et la misogynie ». Faisant montre d’un œcuménisme certain, la Charte ne fait pourtant pas mention des actes anti-chrétiens.

Une charte peu signée et peu coercitive : le risque d’un vœu pieux ?

Le caractère coercitif de la Charte découle de son article 10 : le non-respect de celle-ci entraîne « l’exclusion du contrevenant de toutes les instances représentatives de l’Islam de France ». On ne peut que s’étonner d’une telle mansuétude au regard du caractère fondamental des libertés transgressés. Cela d’autant plus au regard de l’actualité récente et de la volonté affirmée de l’exécutif de reprendre la main sur les associations contraires aux valeurs républicaines – quitte à prononcer leur dissolution. Surtout, cette charte n’a été signée que par 5 des 9 fédérations qui composent le CFCM. Une très courte majorité donc.

Il convient de préciser que la moitié des lieux de culte musulmans en France - il y aurait environ 2500 mosquées sur le territoire - ne relèvent pas de ce conseil. On peut donc s’interroger sur son impact et son application. Par ailleurs, on peut légitimement penser que les croyants les plus éloignés des principes républicains sont liés pour une forte proportion à des mosquées non affiliés au CFCM (créé en 2003 notamment sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy).

Selon un sondage IFOP de 2016, 68% des musulmans ne connaissent pas l’existence du CFCM et seuls 16% se sentaient représentés par Dalil Boubakeur, ancien Président du CFCM.

Enfin, la Charte semble proche de l’ambiguïté - sinon de la contradiction - concernant la question des financements étrangers. Elle entend lutter contre les ingérences étrangères en prenant « l’engagement d’assurer de plus en plus le financement de nos lieux de culte par des financements nationaux ». Toutefois, parmi les signataires figurent des fédérations directement liées à des pays étrangers, à commencer par la Grande Mosquée de Paris liée à l’Union des mosquées de France (elle-même liée au royaume marocain), mais aussi le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF, lié à la Turquie). De plus, d’après le ministère de l’intérieur, 301 imams seraient aujourd’hui payés par des pays étrangers pour exercer sur le sol français.

Les présentes réserves confirment en tout état de cause qu’il reste un long chemin à parcourir afin d’assurer la cohésion nationale de notre pays et la bonne intégration de sa composante musulmane. En effet, entre ceux qui défendent une expression religieuse discrète, restreinte à la sphère privée, et certains fidèles qui se mobilisent pour dénoncer cette charte qui prétend placer les lois de la République au-dessus des lois de l’Islam, un écart significatif demeure. 

Si la Charte nous paraît être une avancée majeure, tout du moins d’un point de vue symbolique, elle reste insuffisante d’un point de vue pratique car si certains éléments de son contenu vont dans le bon sens, son application semble hasardeuse du fait d’une coercition toute relative et, en l’état, d’une adhésion trop faible des fédérations représentantes du culte musulman en France.

Quelques propositions

Nous suggérons ainsi plusieurs amendements à la Charte, ainsi que plusieurs propositions concrètes :

  • Rendre sa signature obligatoire pour l’exercice du culte musulman par un imam ou l’ouverture d’un lieu de culte musulman. Tout exercice du culte musulman par des imams ou prédicateurs n’ayant pas signé cette Charte doit être interdit et les contrevenants pénalement réprimandés. S’ils sont étrangers, une expulsion du territoire national doit pouvoir être rapidement organisée ;

  • Rendre publiques les sources de financement de chaque lieu de culte annuellement auprès de la préfecture concernée ;

  • Subordonner la défiscalisation à hauteur de 66 % des dons, lorsque les bénéficiaires sont des associations religieuses, à la signature de la présente Charte (cette proposition pouvant être étendue à toutes les religions).

Ces propositions ont pour objectif d’assurer un meilleur respect de la Charte par le culte musulman, et surtout de la rendre impérative pour toute personne souhaitant être imam. En effet, si les moyens répressifs ne sont pas mis en œuvre pour contrôler les prédicateurs et, le cas échéant, expulser les contrevenants à la Charte s’ils sont étrangers ou les sanctionner s’ils sont français, alors la portée de ce texte ne restera que théorique et ne sera pas la rupture fondamentale nécessaire et attendue par nos concitoyens. 

Cette Charte pose de bonnes fondations : la création d’un Conseil national des imams et la soumission des lois coraniques aux lois de la République sont ainsi de belles avancées. Néanmoins, c’est à l’Etat de montrer sa puissance et d’utiliser la coercition pour assurer l’application de la Charte en n’autorisant que les institutions la respectant à perdurer sur le territoire français. Il y a plus d’un siècle, l’imposition des principes républicains au catholicisme ne s’est pas réalisée aisément, mais par le rapport de force, comme au moment de l’expulsion des congrégations religieuses au tournant du XIXe et du XXe siècle. Aujourd’hui, la République ne doit pas fuir ce rapport de force, par peur de froisser les sensibilités, si elle souhaite assurer le respect de ses principes.