Compte rendu - Soirée de restitution Orion 2022 - Partie Comité Institutions & Vie Politique
La soirée de restitution du programme institutions et vie politique du Cercle Orion, avec comme invités Bruno Lasserre – Vice-Président du Conseil d’État – et Bernard Stirn – ancien président de la section du contentieux – a donné lieu à des échanges nourris et enrichissants qui ont permis d’établir un constat lucide de la situation actuelle.
Après avoir félicité les participants pour leur engagement en faveur de la chose publique, le vice-président commença son propos introductif en présentant dans un premier temps les missions du Conseil d’État et de la complémentarité de ses fonctions, puis s’est attardé, dans un premier temps, sur les maux que traversent la France selon lui :
- Premièrement, la France éprouve de la difficulté à produire de la confiance : la multiplication des textes de loi sur la « confiance » (voire une loi visant à « rétablir la confiance ») souligne l’existence d’une telle difficulté.
- Deuxièmement : Il manque en France une culture du compromis, à réfléchir en dehors de cadres idéologiques, au-delà des origines de tout un chacun : il fut notamment donné l’exemple des juges en Suisse, lesquels sont affiliés à leur parti politique, nommés, par celui-ci et à qui ils lui reversent une partie de leur salaire (tout en sachant que leurs délibérations étaient publiques afin que tout le monde puisse constater le positionnement d’un tel en fonction d’une ligne politique). Quelque chose qui serait inacceptable en France mais qui ne l’est pas en Suisse en raison de cette culture du compromis.
- Enfin, il existe une ambiguïté de la relation entre l’État et la norme : La crise sanitaire a plutôt été bien gérée par rapport à d’autres pays. Cependant, l’Etat ne sachant plus ou n’ayant plus les moyens de tout faire, tend à se tourner vers la norme. Ce recours de plus en plus soutenu à la norme tend à rendre la loi instable voire à susciter de la défiance en conséquence. Ultérieurement dans les échanges, Bruno Lasserre est également revenu sur une politique pénale qui devient illisible tant elle deviendrait la traduction de ce que « l’on souhaiterait et l’on ne souhaiterait pas ». Sur le même sujet d’une pénalisation excessive, en ayant en tête les récentes perquisitions des ministres, il appelle tout particulièrement à une distinction, pour l’engagement de la responsabilité des acteurs politiques, entre l’absence de prise de décisions et les décisions qui sont prises. Ce surdéveloppement est aussi la traduction d’une société qui cherche des coupables à travers la procédure pénale (du reste stigmatisante, médiatique et très longue). Enfin, l’augmentation de la mise en cause de la responsabilité des personnes morales aux dépens des individus privés (notamment concernant les A.A.I.) fait poser la question d’une différence de traitement entre les serviteurs de l’État et serviteurs de ces autorités administratives indépendantes. Surtout, une telle situation tend à inhiber les comportements entrepreneuriaux et la prise de risque.
Ces enjeux en tête, la discussion s’est ensuite orientée sur les thèmes majeurs de la partie Institutions et vie politique du rapport-programme Orion 2022 : la laïcité, la démocratie locale, l’action de l’État et l’intégration et le droit européens, au regard notamment de la dernière décision du Tribunal constitutionnel polonais.
Du point de vue de la laïcité, réagissant à la proposition du Cercle Orion de constitutionnaliser une définition de celle-ci ainsi que de l’étendre à la sphère publique, les invités indiquèrent leur point de vue que cette notion a suffisamment été définie par le juge administratif, judiciaire et constitutionnel et que par ailleurs elle est déjà présente dans la constitution (article 1er). Une nouvelle loi (loi confortant le respect des principes de la République) a de surcroît été récemment votée. Ils soulignent le risque que poserait une telle démarche, notamment en ce qu’elle diviserait la société. Par ailleurs, la loi de 1905 garantit avant tout la liberté de croire et de ne pas croire, l’État se portant garant de ce choix tandis que les juges ont eu de toute manière tendance à interpréter de manière libérale cette loi (sous l’impulsion notamment d’Aristide Briand). La loi demeure certes indécise et n’a notamment pas prévu l’inclusion du religieux dans la sphère publique, cependant cette indécision est bénéfique en ce qu’elle permet une certaine souplesse jurisprudentielle. Il faut d’ailleurs faire confiance au juge dans l’interprétation de la loi, juge qui permet d’apaiser la société (voir avec l’affaire du Burkini qui avait déchiré la France et la décision du juge des référés qui avait permis de faire redescendre l’affaire). Par ailleurs en ce qui concerne l’aspect public de la religion, il fut relevé que la religion n’était sans doute pas qu’une croyance et pratique intime et donc privée : malgré les termes du ministre de l’Intérieur, pendant le confinement, selon lesquels les prières pouvaient se faire à domicile, l’émoi suscité par la fermeture des églises a ainsi pu rappeler que derrière la religion existent des rites, pratiques communes. La loi de 1905 est une loi d’équilibre même si les abus, notamment de prosélytisme, doivent être sanctionnés (et c’est une jurisprudence constante du C.E. : crèche notamment, sauf si tradition ancrée, cf. CE, 2016, Fédé. départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne). Il faut surtout faire confiance au juge et surtout chercher également à créer de la confiance en co-construisant le droit avec les acteurs concernés (voir les travaux récents de conception d’une Charte de la laïcité dans le sport).
Évoquant ensuite l’action de l’Etat au niveau local, Alexandre Mancino a rappelé les orientations du cercle : favoriser le rapprochement des élus avec les citoyens (notamment par la création d’un réseau social dédié) et stimuler la participation aux élections en faisant entre autres coïncider les élections locales.
Le constat des invités est que le mille-feuille territorial s’avère trop complexe et rend les citoyens incapables de savoir qui décide de quoi et qui prend les décisions qui affectent leur vie tout en engendrant des coûts de fonctionnement et d’articulation élevé (même si la réforme des communautés d’agglomérations a permis d’améliorer les choses). Un participant souleva notamment la question des grandes régions qui avaient tendance à effrayer, à l’image de la région Grand Est qui a vu récemment la montée de courants régionalistes alsaciens. Le département semble être l’échelon le plus rassurant pour les Français même si tous notent la difficulté politique d’engager des réformes à ce niveau-là. Une réforme du calendrier électoral serait également difficile à mettre en œuvre. Pour recréer de la confiance et le lien entre les décideurs, aller à la rencontre des citoyens est une idée intéressante (pour définir notamment les horaires des services publics, leur accueil) de même que l’idée d’une plate-forme pour rassembler élus et citoyens. Il est notamment donné comme exemple celui de la police espagnole qui a créé un réseau social sur lequel citoyens et policiers échangent de manière plus informelle ce qui permet de former des relations plus apaisées, ce qui semble plutôt bien fonctionner même si le risque de créer un réseau social dédié serait de retrouver des comportements néfastes analogues à ceux qui existent actuellement sur les services actuels tout public.
Par ailleurs, quant à la question de savoir si « plus d’État était nécessaire », M. Lasserre rappela son expérience au Commissariat général aux plans, à l’heure où s’organisait le développement de l’informatisation, et il se posa alors la question : est-ce à l’État de déterminer l’usage ou bien l’usager qui doit le faire ? Il souleva qu’il était légitime de s’interroger si plus de réponse étatique était nécessaire ou s’il fallait la réformer. La présence de l’État s’est ainsi rétrécie au cours des dernières années, diminuant l’accès aux informations relatives aux démarches, décisions administratives ou à un interlocuteur par les citoyens. Cela s’est traduit au niveau des recours devant les tribunaux administratifs : en l’absence de renseignements complémentaires quant aux décisions administratives prises (notamment en ce qui concerne le calcul des montants trop perçus et celui à rembourser), le recours administratif est le seul moyen pour le citoyen de demander des explications, d’autant plus car il est souvent indiqué en bas du document de ladite décision.
Toujours au niveau institutionnel, le Cercle propose également un retour au septennat. À cet égard, M. Lasserre note que si personne n’avait envisagé les conséquences du passage du septennat au quinquennat avec notamment l’inversion des élections qui ont affaibli le rôle du Premier ministre ; quelles seraient les conséquences d’un passage du quinquennat au septennat. Par ailleurs, un tel retour pourrait provoquer une cohabitation. Certes, les Français ne l’ont pas beaucoup détestée mais est-ce un bon système qui donne les moyens au gouvernement de gouverner ? Surtout, se pose la question de l’acceptation sociale et démocratique : le passage d’un quinquennat au septennat n’engendrerait-il pas des réactions épidermiques (critiques quant à la supposée installation d’une dictature ?) ?
Pour ce qui est du renforcement de la démocratie représentative et du rôle du parlement que le Cercle porte dans son programme, les invités notent que les « conventions citoyennes », à l’occasion desquelles un certain nombre de citoyens sont sélectionnés (sur quels critères sont-ils sélectionnés et quelle représentativité) ne sont pour autant pas aussi légitimes que la représentation nationale. En outre, le vice-président du Conseil d’Etat souhaite nuancer l’idée que le Parlement serait une chambre d’enregistrement : le coefficient de modification des textes proposés par le gouvernement et soumis au parlement est de 3,3 (la part du législatif dans la production législative est la plus forte d’Europe). Cependant, la vraie difficulté repose dans une surproduction de normes et une absence de contrôle suffisant ex ante et ex post des politiques publiques. M. Lasserre propose que soient associés à ce travail d’analyse des politiques publiques, des institutions publiques (à l’image du futur INSP, la Cour des comptes) avec des groupes de réflexion et fondations privées par exemple, comme le fait la Commission européenne : avant chaque livre blanc et vert, un appel d’offres est lancé pour des études en amont.
Enfin, la discussion s’est terminée sur les défis actuels que rencontre l’Union - notamment en ce qui concerne la cohabitation des ordres juridiques conventionnel, communautaire et national. Bruno Lasserre souligne la nécessité pour les cours suprêmes de concilier ces trois ordres juridiques et dont la récente décision French Data Network du Conseil d’État en constitue un exemple. Dans le cas de la Pologne et de sa décision remettant en question les fondements du droit européen, il s’agit surtout de son attitude provocatrice qui est en cause et une réponse forte des autorités européennes est attendue. Toujours s’agissant de l’intégration européenne, M. Lasserre met en exergue également une trop grande précision et la force de détails dans les normes européennes édictées, résultant également d’une croyance excessive dans la norme, soulignant que l’Europe d’Erasmus a plus intégré et rassemblé que l’Europe juridique, avec l’adoption de normes communes pour des domaines précis, à l’instar de la chasse traditionnelle (tout en notant que cet excès de juridisme fut sans doute une partie des explications du Brexit). Il note que l’approche de la Cour européenne des droits de l’homme est plus raisonnable en ce qu’elle laisse plus de marge de liberté aux États pour légiférer.