Quelles lignes et quelles stratégies derrière le nouveau parti d’Édouard Philippe ?

En cette rentrée politique, ponctuée par les déclarations de candidatures et les débats en tout genre, la nouvelle de son retour au premier plan politique est presque passée inaperçue. Édouard Philippe en annonçant le lancement imminent de son parti, compte pourtant bien entrer de nouveau dans l’arène politique. Se cantonnant à un modeste rôle de maire du Havre depuis son renvoi de l’Élysée, il a officiellement lancé son mouvement politique, samedi 9 octobre 2021, dans la cité Océane, sous le nom “ Horizons”. La stratégie de l’ex-premier ministre serait de rassembler des électeurs de la droite et du centre et s'articule autour de trois grands axes :

·       Réaffirmer la puissance de la France 

·       Renforcer la cohésion sociale et celle de la cohésion de la société

·       Faire croître la compétitivité de l’économie française

 A priori, ses axes de conquête politique revêtent l’apparence des idées de la droite traditionnelle. Fidèle à sa tradition juppéiste, il se donne pour mission de participer à la construction d’une offre politique nouvelle, à la manière de LREM, tournée vers l'avenir, dotée d’une vision long-terme en disruption avec la vision “quinquennale” qui auréole les présidents français du 21ème siècle. La formation a vocation à proposer des solutions innovantes aux défis que la France devra relever au cours du siècle prochain.

Se voulant porteur d’une nouvelle offre politique, l'ancien premier ministre a cependant affirmé avec véhémence qu'il soutiendrait l’actuel président Macron en 2022. Le nouveau parti d’Édouard Philippe semble bien plus s'apparenter à un satellite “macronien” qu'à un réel mouvement de changement. Mais là où l’ex-Premier ministre fait preuve d’une réelle ingéniosité, c’est qu’il sait s’appuyer sur sa relation privilégiée avec les Français qui le désignent comme leur homme politique préféré dans les enquêtes d'opinion. Pourtant, personne ne sait très bien qui est-il, ni concrètement quelles sont ses opinions politiques. L’ex-premier ministre a, en effet, toujours fait preuve de discrétion ainsi que de fidélité absolue à la ligne politique des trois premières années du quinquennat Macron. 

Le rôle du premier ministre, dans les institutions de la cinquième République, a largement favorisé cette stratégie de mutisme politique. Pour rappel, selon l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre[1] :

·       Dirige l'action du Gouvernement, 

·       Est responsable de la défense nationale ;

·       Assure l’exécution des lois et exerce le pouvoir réglementaire

·       Assure la coordination de l’action gouvernementale


Au service d’Emmanuel Macron, Édouard Philippe a donc toujours laissé un flou politique sur ses positions dans les dossiers clivants du quinquennat (sanctions contre la Russie, conflit vis-à-vis la Turquie, pandémie du Covid, immigration). Ses positions et sa ligne sont par conséquent, jusqu’ici, relativement ambiguës. Certains en viennent même à s'interroger sur les capacités d’Édouard Philippe a représenté une droite dont le vote est relativement épars, lui dont le programme pourrait largement se rattacher à celui d’un Xavier Bertrand ou d’une Valérie Pécresse.

L’écriture de son livre Impressions et lignes claires, revient sur ses trois années passées en tant que premier ministre et permet pourtant d’esquisser une réelle pensée profonde sur nos institutions mais garde son flou traditionnel sur des sujets jugés relativement importants pour l'électorat LR et leurs analogues comme l'islamisme, l'immigration ou l’école. Il manque donc cruellement d’informations sur ses positions personnelles sur les sujets clivants et régaliens.                                                                           

Une chose est sûre, Édouard Philippe cherche à se montrer, tout au long du livre, comme radicalement différent d’Emmanuel Macron d’où la possibilité d'être assez circonspect devant son soutien éminemment assumé envers ce dernier pour les présidentielles 2022. Pourtant, l’idée est simple : l’un veut la réélection, l'autre sa succession. En se déclarant soutien inconditionnel de Macron pour sa campagne de 2022, en restant sous l’aileron LREM, Édouard Philippe étaye une stratégie ainsi qu’une vision à long terme en ayant à visée, l'élection présidentielle de 2027. La manœuvre est habile. Elle pourrait potentiellement lui assurer d’étioler l’ensemble de ses rivaux potentiels à la succession de du chef de LREM. Mais la contrepartie est tout autant importante, Édouard Philippe se rangerait définitivement dans la case centriste ce qui ternirait son image à droite et pourrait l'empêcher de réaliser cette synthèse ambitieuse entre les centristes et une partie de la droite (Ex UMP).

Autre chose, si l’objectif final est lié à 2027, pourquoi lancer si tôt son parti ? Il s’affiche d’abord comme soutien à Macron pour pouvoir potentiellement mieux s’afficher comme son successeur par la suite. Il peut, par conséquent, attirer vers son propre parti un électorat potentiel de 25% de fidèles (selon sondage actuel)[2]. Il se laisse également le temps de préparer son parti aux prochaines échéances électorales : législative, municipale, régionale. Par ce soutien assumé, il s’assure de manière hypothétique la fidélité de Macron en 2027, si ce dernier doit désigner un successeur, tout en restant en retrait du parti de LREM pour attirer un électorat potentiel quelque peu plus à droite qu’un traditionnel fidèle du parti macroniste. Beaucoup d’ailleurs se questionnent, à juste titre, sur l’avenir de LREM dès lors que la présidence d’Emmanuel Macron prendra fin. Il a été possible de l’observer aux dernières élections, le parti de la majorité ne s'agrège qu’autour de la personne du chef de l’État et connaît de nombreuses difficultés pour s’imposer en ville, en région ou en Europe. Pour conserver cette ligne centriste et moderne, mélange savant qui a su conquérir les suffrages, Macron ne pourra que se référer a très peu de monde dont l’ex-premier ministre fait partie.

Après avoir essayé de rendre compte de la stratégie qu’Édouard Philippe a choisie en créant son nouveau parti, examinons désormais les divers axes de son programme pour éventuellement parvenir à le situer sur l'échiquier politique. Il va d’abord de soi de spécifier que l’ex-premier ministre est un fidèle juppéiste dans ses prises de position. Les deux possèdent d’ailleurs un parcours relativement similaire par le fait d’avoir appartenu à des parties se présentant parfois comme aux antipodes de leurs idées propres (Philippe à LR, Juppé au RPR), par le fait d’avoir été premier ministre, par le fait d’avoir créé un parti politique (Juppé a conçu l’UMP, Philippe a suivi en octobre 2021). Voici une esquisse de propositions qui pourraient être colligées pour la ligne politique du nouveau parti d’Édouard Philippe.

 

1.     Réaffirmer la puissance diplomatique et militaire de la France

La puissance de la France doit se réaffirmer à l'extérieur de ses frontières. Pour cela, Édouard Philippe pourrait, dans un premier temps, augmenter le budget de la défense de 2% (environ 7 milliards d'euros). Européiste convaincu, il militera sans doute pour le projet d’Europe de la défense mais pour la fin de l’élargissement, dans l’idée de satisfaire également un électorat plus réticent à la construction européenne. Il pourrait toutefois envisager un renforcement des relations entre les pays européens pour poursuivre la construction d’une “troisième voie”, dans l’idée de sortir de la domination sino-américaine.

Enfin, afin d’apaiser certaines tensions relatives à l'économie, la zone euro pourrait harmoniser ses politiques fiscales notamment pour les entreprises internationales qui élisent souvent le pays européen aux contraintes fiscales les plus avantageuses.

2.     Renforcer la cohésion sociale la cohésion de la société

Au sujet de la cohésion sociale, il est assez difficile d’estimer un ensemble de réformes plausibles qu’Édouard Philippe pourrait engager. Cependant, ce dernier apparaîtra sans aucun doute dans la droite ligne de son prédécesseur, Emmanuel Macron. Dans une logique de s’attirer les faveurs de l'électorat de droite, il est susceptible d’amplifier la lutte contre la fraude aux prestations sociales (évaluée à 50 milliards d’euros selon le magistrat Charles Prats)[3].

Des mesures possibles pourraient être : un contrôle renforcé des situations, plus de transparence autour de l’attribution des logements sociaux avec des critères objectifs (taille de la famille, niveau des ressources, lieu de recherche) ; la suspension des prestations lorsqu’une fraude grave est détectée. En effet, de nombreux français s’estiment aujourd'hui lésés par un processus très opaque qui ternit le modèle social français. Concernant la cohésion de la société que beaucoup voient comme perturbée par une arrivée massive de nouvelles populations issues de l’immigration, voici quelles pourraient être les mesures d’Édouard Philippe à ce sujet. En tant que fervent défenseur européen, il pourrait se poser en avocat d’une politique européenne de l'immigration qui se chargerait de l'accueil des étrangers ainsi que de leur répartition au sein des membres de l’UE. Il verrait cette stratégie comme réellement efficace dans la lutte contre l'immigration clandestine. Concernant le débat très actuel opposant l’intégration à l'assimilation, ce dernier ne tiendrait aucune ligne rigoriste en prônant un droit à la différence, en s’appropriant le mot de son maître à penser Juppé : « identité heureuse ».

Cependant, s’il souhaite réaliser la synthèse ambitieuse de deux électorats et s’attirer une partie de l'électorat de droite, il lui faudra raidir ses positions sur certains sujets clivants liés à l’immigration. Il peut proposer par exemple de définir des quotas de migrants par nationalité, supprimer l’accès à l'aide médicale d'État ou encore durcir certaines filières déguisées de l’immigration (étudiants). Enfin, il pourrait également suspendre partiellement le regroupement familial pour une durée définie au préalable.

3. Faire croître la compétitivité de l’économie française

Édouard Philippe pourrait, comme de nombreux politiques de droite, s’atteler à la suppression d’un certain nombre de postes de fonctionnaires pour diminuer le coût de la masse salariale, jugée dantesque par de nombreux sympathisants de droite (278 milliards d'euros en 2014. Elle équivaut à 13% du PIB.) [4]

Sur une ligne libérale, Édouard Philippe pourrait par exemple proposer la suppression de 300 000 postes de fonctionnaire; il est à même de s’atteler à dynamiter l’économie française et sa compétitivité en travaillant sur un retour progressif aux 39 heures. Il s'attardera sans aucun doute à une réforme des retraites, sujet déjà en traitement lorsqu’il était premier ministre, il pourrait par exemple se déclarer en faveur d’un allongement progressif de la retraite à 64 ans. Dans une idée de compétitivité, il avancera une baisse de l'impôt sur les sociétés pour augmenter leurs bénéfices. Les idées avancées ne sont que peu neuves mais suivent une ligne fidèle dans la tradition du centre-droit libéral auquel se rattache Édouard Philippe. Autre mesure possible, il est susceptible de poursuivre la baisse de charges, entamée sous la présidence d’Emmanuel Macron, en procédant à un nouvel allègement de charges sociales et d’impôts de production. Enfin, dans une logique entrepreneuriale, le fait d’alléger les normes et les contraintes qui pèsent sur les PME, en les alignant sur les normes européennes, me semble être une proposition intéressante pour soutenir le tissu des PME françaises, si la stratégie de la “startup nation” est poursuivie.

4. Améliorer la vie de l’ensemble des citoyens français

Le programme pourrait se découper en un ensemble de volets :

·       Pour les jeunes : mettre en place, dès le collège, des modules de formation professionnelle pour préparer les jeunes dans leurs choix d’orientation, introduire dans les programmes davantage de contenu qui soit en lien avec la vie professionnelle future des élèves, avec par exemple un stage obligatoire de 8 semaines répartissable sur l’ensemble du cycle du secondaire.

·       Pour la famille : rétablir l’universalité́ des allocations familiales, pour refaire une politique française nataliste, relever le plafond du quotient familial pour réduire l’impôt sur le revenu des familles.

·       Droit des enfants : la gestation pour autrui restera strictement interdite à tous et les sanctions pénales seront renforcées.

·       Pour les femmes : favoriser l’accès prioritaire aux crèches et aux logements sociaux pour les femmes isolées, encourager les femmes à porter plainte et mettre en place un cadre sécurisant avec réfèrent formé dans chaque commissariat de police 

·       Fracture sociale : poursuivre la rénovation urbaine des quartiers dits “sensibles”, garantir un déploiement du numérique en très haut débit à tous les Français, améliorer la desserte des territoires ruraux et peu denses dans une logique d’aménagement du territoire


En conclusion, bien qu’Édouard Philippe ait semé un flou relatif sur les questionnements autour de son parti, il est soutenable d’esquisser les grandes lignes sur lesquelles il s’appuiera pour s’assurer un soutien conséquent. Cependant, sa place n’est pas jouée ; d’autres personnages clés, qui entourent Macron, pourraient très bien se lancer dans la course à la présidentielle comme Gérald Darmanin voire Bruno Le Maire. La course à la succession promet d'être palpitante et rien n’est encore définitivement joué bien qu’Édouard Philippe possède, pour le moment, une avance importante. Mais comme le dit le vieil adage populaire : “La politique, ce n'est pas de l'arithmétique, c'est une dynamique” et la dynamique peut, à tout moment, changer de côté. Autre chose, bien que l’ex-premier ministre avance une formation “révolutionnaire” dans l’offre politique, il est, pour le moment, difficile de rendre compte de quelconque proposition en rupture complète avec ses prédécesseurs sur la même ligne idéologique Sa conférence de lancement officiel du 9 octobre a rendu compte de son orientation qui est un concentré entre une politique fidèle au juppéiste qu’il est, tout en étant éprise de principes macroniens; il reste à savoir si cette ligne incarne réellement les attentes d’une grande partie des Français.

 

Sources :

https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-comment-edouard-philippe-ambitionne-de-se-construire-un-avenir-national-avec-son-nouveau-parti_4789833.html

https://www.ouest-france.fr/normandie/le-havre-76600/edouard-philippe-lancera-son-parti-politique-au-havre-le-9-octobre-49fb8d6a-1f92-11ec-8af0-329508a32afd

https://www.lepoint.fr/politique/edouard-philippe-toujours-un-coup-d-avance-11-09-2021-2442660_20.php

https://www.francebleu.fr/infos/politique/presidentielle-2022-mon-soutien-sera-complet-a-emmanuel-macron-annonce-edouard-philippe-1631471630

https://www.ouest-france.fr/politique/edouard-philippe/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Édouard_Philippe

https://edouardphilippe.fr

https://www.ouest-france.fr/normandie/autour-d-edouard-philippe-des-personnalites-politiques-de-tous-horizons-110c8e40-29ca-11ec-94f9-03a7744671fb

 

 

[1] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527485/

[2] https://www.lci.fr/politique/presidentielle-2022-la-gauche-au-plus-bas-dans-les-sondages-anne-hidalgo-yannick-jadot-jean-luc-melenchon-arnaud-montebourg-2198111.html

[3] https://www.touscontribuables.org/les-combats-de-contribuables-associes/depenses-sociales/fraudes-sociales/fraudes-sociales-une-indignation-argumentee-cartel-des-fraudes-de-charles-prats

[4] https://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/dessous-chiffres/2015/09/09/29006-20150909ARTFIG00379-les-10-chiffres-qui-revelent-le-cout-des-fonctionnaires.php