Zemmour, actuel 2ème homme de la présidentielle : que cela signifie pour la France ?

Éric Zemmour, candidat non déclaré à l’élection présidentielle de 2022, est crédité entre 17 % et 18 %[1] par l’institut de sondage Harris Interactive dans sa dernière enquête en date du 6 octobre 2021. Cette ascension sondagière vertigineuse du polémiste à partir d’un départ de 7 % d’intentions de vote le 8 septembre [2] décrit un phénomène électoral qu’il est utile de relever sans forcément se méprendre et tomber dans le fantasme politique sondagier pernicieux. Pour cause, l’outil sondagier représente une photographie à un moment arrêté et qu’il sert davantage comme arme de campagne électorale pour les candidats qu’à dégager des tendances claires et infaillibles pour l’élection présidentielle. Comme l’explique le centre de recherche de Sciences Po dans son étude « sondages d’opinions et communication politique », les sondages servent à créer une sélection entre les candidats qui prétendent à la présidentielle et à exercer « un effet de clôture intellectuelle sur la perception des scénarios possibles »[3]. Stratégiquement pour le polémiste, les sondages lui permettent de construire la crédibilité de sa candidature, de reprendre l’héritage napoléonien et gaullien d’un appel du peuple à sa candidature et de devenir l’option prioritaire de ralliement à droite dans un échiquier politique largement effrité et morcelé. Diffusant avec ardeur depuis des années sur tous les plateaux de télévision en tant que polémiste les prétendus maux qui gangrènent la France, il tente de réussir le pari présidentiel de s’imposer comme porteur de solutions crédibles à ces faits sociaux auxquels ils donnent une résonance politique en donnant l’impression à tort ou à raison que le destin politique peut être contrôle de bout en bout. En prenant en compte ses tendances sondagières au moment présent, qu’est-ce que la candidature non déclarée et déjà appréciée du polémiste dit de l’état de la société française actuelle et du paysage politique ? 

Un discours populo-nationaliste installé au sein de la société française

Le discours populo-nationaliste du journaliste trouve écho auprès d’une frange de la population française. Le journaliste essaye de surfer sur la vague populiste qui perdure depuis quelques années dans l’océan français, depuis l’accession de Jean Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002, et surtout mondial. Eric Zemmour revendique d’ailleurs ouvertement son admiration pour la campagne présidentielle de Donald Trump allant même jusqu’à s’en inspirer pour la parution de son livre « la France n’a pas dit son dernier mot ». Il n’hésite pas à se déplacer pour rencontrer Viktor Orban en Hongrie affichant sa sympathie pour sa politique. Cette stratégie reflète l’ovni Eric Zemmour qui emprunte des caractéristiques à la pensée populiste et nationaliste. Cet assemblage, dans sa délimitation positive et négative, permet de saisir le succès discursif du polémiste. En examinant les caractéristiques du populisme énoncées par le sociologue Pierre Rosanvallon[4], il est aisé de dégager qu’Eric Zemmour est la personnification du populisme basé sur le discours anti-élite, le penchant pour la démocratie plébiscitaire dans sa dimension napoléonienne et sa préférence nationale dans un élan protectionniste dont il ne s’interdit pas d’user. L’ensemble de son discours se fond sur l’idée d’Ernest Renan de la nation[5] qu’il manipule et déforme parfois. Dans ce maelstrom d’idées, il se présente dans son discours comme un libéral retenant mémorablement les leçons du succès électoral de Boris Johnson outre-manche pour pouvoir réaliser la « synthèse gaullienne » de son électorat entre une partie de la classe populaire et de la bourgeoisie patriote.

 

La préoccupation prioritaire de l’insécurité pour les français 

Le polémiste a réussi à persuader que l’insécurité était le problème prioritaire des Français dans les médias. Après la multiplication des crises vécues dont la COVID-19 lors de ces dernières années, il met en évidence, dans son registre populiste bien connu, l’insécurité dans cette campagne électorale pour jouer des émotions sur une thématique d’ailleurs davantage assise sur le sentiment d’où l’expression du « sentiment de sécurité ». Il met en garde à propos de la décadence du peuple français sur un ton maurassien[6] et barressien qui n’est pas exempt de xénophobie et d’islamophobie. Eric Zemmour permet la résurgence de cette mouvance idéologique enfouie dans l’histoire en réhabilitant l’extrême droite française intellectuelle, ce que la famille Le Pen n’a pas réussi jusque-là.

Un peuple en perte de confiance à l’égard du personnel politique et de l’Etat de droit

 Éric Zemmour capitalise sur la perte de confiance de la population française à l’égard des professionnels de la politique et la désaffection pour l’Etat de droit. Bis repetita, le polémiste se targue de ne pas être un professionnel de la politique et qu’il ne le sera jamais. Il se dit[7] prêt à se débarrasser des contraintes du Conseil constitutionnel et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme sans qu’aucun journaliste ne tire la sonnette d’alarme sur ces propos. Cela démontre que la société actuelle éprouve une défiance pour l’environnement institutionnel. Une enquête[8] Opinion Way pour Sciences Po expose en février 2020 que 30 % de la population a confiance dans l’institution présidentielle, 36 % dans l’Union Européenne et 43 % dans le Conseil Constitutionnel. Hostile au « gouvernement des juges », aux médias et au système, Eric Zemmour arrive à capter environ 31% de l’électorat filloniste et 30 % de Marine Le Pen[9].

La détresse d’une partie des français de 50 ans ou plus

 Le succès sondagier d’Éric Zemmour traduit également le poids politique de la catégorie d’âge des 50 ans ou plus dans les élections présidentielles. Selon l’INSEE, la population âgée de 60 ou plus représente 26.9 % de la population française[10]. Parmi l’électorat d’Eric Zemmour, 56 % des électeurs ont au minimum 36 ans dont 40 % sont âgés de 50 ans ou plus selon un sondage d’Harris Interactive. Le vieillissement de la population que vit la France est une donnée électorale à considérer d’autant plus que cette catégorie d’âge, socle électoral du polémiste, se mobilise massivement[11] lors des élections et qu’elle peut peser dans l’élection, faute de solutions à leurs difficultés quotidiennes.

 

La crise du rôle des partis politiques dans l’élection présidentielle

Une fois n’est pas coutume, le journaliste avance ses pions dans cette élection présidentielle tout comme Emmanuel Macron en 2017 sans parti politique restant fidèle à la conception gaullienne de l’élection présidentielle qui se veut comme une rencontre entre un homme et le peuple. Cette démarche ne porte pas préjudice à la côte de popularité d’Eric Zemmour qui reste haut placé. Bien au contraire, cet aspect apartisan du polémiste séduit et le conforte dans sa posture de non professionnel de la politique. A ce titre, il n’a pas été le seul à opter pour cette démarche puisque Xavier Bertrand et Valérie Pécresse se sont également mis en retrait de leur famille politique. Cette démarche a un précédent historique avec la création de l’UDF en 1978 pour soutenir la candidature de Valérie Giscard d’Estaing. Jamais dans l’histoire de la Vème République, deux élections présidentielles successives ont donné raison à un candidat sans parti politique. Un éventuel scénario d’un nouveau chef d’Etat sans parti en 2022 entérinerait définitivement la crise des partis politiques dans l’élection présidentielle. Le politiste Remi Lefebvre[12] relève cette crise des partis politiques dans l’élection présidentielle uniquement puisque le duopole PS-LR se maintient brillamment lors des élections locales. Il constate une individualisation de l’élection présidentielle où le candidat doit trouver le juste milieu entre dépassement des partis politiques et bénéfice des ressources politiques du parti dont le financement.

 

Bibliographie :

-       Michel Winock « Charles Maurras et le nationalisme intégral », Dans Le XXe siècle idéologique et politique (2013), pages 233 à 252

-       Pantazopoulos, A. (2020, 4 février). Le populisme a-t-il une idéologie ? Revue Politique et Parlementaire. https://www.revuepolitique.fr/le-populisme-a-t-il-une-ideologie/

-       Wikipedia contributors. (2021, 21 mars). Qu’est-ce qu’une nation ? Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Qu%27est-ce_qu%27une_nation_%3F

-       Lionel Marquis, « Sondages d’opinion et communication politique » dans les cahier du CEVIPOF (Janvier 2005)

-       Harris Interactive, Baromètre d’intentions de vote à l’élection présidentielle de 2022 Vague 15, Semaine du 29 septembre 2021

-       Rémi Lefebvre, « Les partis politiques comptent-ils encore ? » Élection présidentielle 2022, Dans Études 2021/10 (N° 4286), pages 55 à 66

-       Sciences Po CEVIPOF, « En qu(o)i les Français ont-ils confiance aujourd’hui ? », Le baromètre de la confiance politique - Février 2020