La liberté d’expression de l’avocat : une nécessité démocratique, une protection multiple

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La liberté d’expression est l’un des droits les plus fondamentaux des sociétés démocratiques. Sans elle, pas de revendication ni de critique. Pourtant la liberté d’expression n’est pas, à l’instar des autres droits, sans restriction. L’outrage, l’injure et diffamation en sont les principales limites.

Comme l’énonce l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, l'exercice des droits naturels de l'homme, dont la liberté, est borné par la nécessité d'en garantir pareille jouissance aux autres membres de la société. C’est ainsi que la notion de “​contrat social​” prend tout son sens. Il gravite dans cette société un membre particulier dont l’office est justement de porter la voix des autres : l’avocat.

Sa mission de défense requiert qu’il puisse dire tout ce qui lui semble utile aux intérêts de son client face à la machine judiciaire. Dans cette défense seront discutées, analysées et critiquées les preuves recueillies, la procédure, mais également selon les cas, l’institution judiciaire.

Ces critiques, nécessaires au bon fonctionnement de la justice, ne peuvent toutefois être sans limite. Le pouvoir législatif a octroyé à l’avocat un régime spécifique de liberté pour s’exprimer, que la Cour européenne des droits de l’Homme a étendu.

L’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit l’immunité pénale de l’avocat lorsqu’il plaide devant une juridiction ou qu’il produit des écrits à sa destination. Dans ces situations, il ne pourra être poursuivi pour diffamation, injure ou outrage, si les propos tenus sont relatifs à l’affaire en passe d’être jugée.

Cette “​immunité de robe​” permet donc à la défense de pouvoir s’exercer pleinement sans crainte d'une action en représailles contre des propos qui auraient été tenus à l’audience. Il pourra s’agir de critiquer avec force les conditions dans lesquelles le client de l’avocat a été entendu, le déroulement d’une enquête réalisée avec précipitation ou encore l’exercice autoritaire de la police d’audience menée par le Président du tribunal.

Cette faculté de critique est l’un des corollaires du droit à la sûreté et de la garantie des droits des citoyens, protégés par les articles 2 et 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

La critique, la discussion des arguments et l’opposition aux attitudes parfois injustifiées des magistrats permettent à l’avocat de protéger son client du risque de l’arbitraire du juge. Ce rôle incombe à l’avocat et à nul autre : si lui ne se lève pas pour contester le traitement dont fait l’objet son client, personne d’autre ne le fera. Les protestations de l’avocat sont ainsi un moyen de forcer les magistrats à motiver leurs décisions et à se justifier, notamment s’ils n’accueillent pas les arguments de la défense.

Ces arguments peuvent être présentés, si l’affaire et les circonstances le justifient, dans un système de défense virulent ou tout du moins énergique. L’immunité de robe révèle son intérêt à ce moment précis : quand l’avocat doit prendre le risque de s’attaquer frontalement au tribunal pour dénoncer son comportement.

L’immunité deviendrait un privilège si elle n’était pas assortie d’une réserve : les propos de l’avocat ne sont protégés que s’ils se rapportent à l’affaire qu’il a à plaider. Il ne s’agit donc pas d’un passe-droit permettant d’outrager quiconque se trouverait dans la salle d’audience. Ce subtil équilibre est parfois difficile à trouver. En effet, l’avocat fait face à un dilemme : faut-il hausser le ton face à un tribunal négligent ou qui fait preuve de légèreté dans le traitement du dossier, au risque de contrarier la juridiction, ou faut-il ne pas s’en plaindre et laisser passer de tels comportements ?

L’avocat qui choisit la première voie peut, en plus de l’immunité prévue par l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881, se prévaloir de la jurisprudence de la Convention européenne des droits de l’homme pour se permettre des critiques sur les magistrats qu’il a en face de lui. Celle-ci a reconnu à l'avocat la faculté, pendant l'audience, de pouvoir émettre de larges critiques sur l'attitude d'un procureur dans l'exercice de ses fonctions judiciaires lors de l'enquête.

Bien qu’aucune règle de droit français ne vienne encadrer spécifiquement l’expression de l’avocat en dehors des tribunaux, hormis règles de déontologie de l’avocat, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a également étendu la protection de la liberté d’expression de l’avocat à des situations dans lesquelles il n’était pas dans l’enceinte d’un tribunal.

La CEDH a en effet affirmé, dans l’arrêt Cosado Coca c/ Espagne de 1994, que l’avocat jouit d’un statut spécifique le plaçant dans une « ​position centrale dans l'administration de la justice comme intermédiaire entre les justiciables et les tribunaux et lui conférant un rôle clé pour assurer la confiance du public dans l'action de la justice sans laquelle il n'y aurait ni État de droit ni démocratie ».

Il s’agit alors de garantir un droit de critique plus large que celui octroyé par l’immunité prévue en droit français. Si l’avocat est un acteur majeur de la justice, il ne lui est pas pour autant subordonné et ne lui doit pas déférence : son indépendance est le gage d’une défense efficace et sans compromis.

Il est ainsi permis à l’avocat de critiquer le système judiciaire dans sa globalité et de prendre position sur des éléments de procédures dans lesquelles ses clients sont impliqués, si des circonstances le justifient, à l’extérieur du tribunal.

Plusieurs décisions de la CEDH ont en effet conduit au constat d’une violation du droit à la liberté d’expression par les Etats-Parties à la Convention. Cela fut le cas lorsqu’un avocat a été sanctionné pour avoir critiqué le fonctionnement de la justice ou le comportement des des magistrats ou pour avoir évoqué des éléments d’une procédure en cours, couverte par le secret de l’instruction.

Dans l’arrêt Mor de 2011, une avocate française avait été condamnée pour avoir commenté dans la presse des informations contenues dans un rapport d’expertise médicale. Il s’agissait d’une affaire de droit pénal médical ayant conduit à la mort d’une personne. Ce rapport d’expertise avait été révélé par une source anonyme et repris dans plusieurs médias. L’avocate avait été contactée par la presse pour commenter cette affaire et être interviewée, affaire dont elle était à l’initiative en ayant porté plainte pour le compte de ses clients. Elle fut condamnée en première instance, confirmée en appel et en cassation, pour avoir violé le secret de l’instruction.

Même si l’avocate a été dispensée de peine, la Cour européenne a conclu au constat d’une violation par la France de son droit à la liberté d’expression. En effet, la Cour relève que s’agissant d’une information intéressant l’opinion publique, ici une question de santé relative à un vaccin de l’hépatite B, et dès lors que l’avocate n’avait pas elle même communiqué ce rapport, elle ne pouvait être sanctionnée pénalement pour avoir donné une interview à un journal national au sujet de cette affaire.

La reconnaissance de culpabilité de l’avocate au titre de la violation du secret de l’instruction, même si elle a été dispensée de peine, a constitué une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression. La CEDH se montre ici favorable à l’intervention des avocats en dehors du prétoire, en étendant leur liberté d’expression pour que ceux-ci puissent exercer leur défense et présenter des arguments, en cas de fuite de documents de la procédure.

Cette affaire illustre la latitude dont dispose l’avocat pour s’exprimer dans la presse sur les procédures qu’il a à traiter. L’exposition médiatique d’un dossier permet à l’avocat qui en a la charge une plus grande liberté d’expression, en restant proportionnée aux enjeux de l’affaire. Cette faculté d’expression élargie va de pair avec l’importance du caractère d’intérêt général de l’affaire qui justifie l’intervention publique de l’avocat.

Elle est également justifiée par le déséquilibre entre la déontologie de l’avocat, qui l’empêche en principe de communiquer sur des éléments de procédure en cours, et la libre propagation des informations dans les médias. La décision de la CEDH rééquilibre cette situation en permettant à l’avocat de défendre la position de son client face à la fuite d’informations parcellaires le concernant dans le débat public.

Dans tous les cas, si la liberté d’expression de l’avocat peut être étendue lorsque l’affaire le justifie, la Cour européenne rappelle, dans l’arrêt Prompt c/ France de 2015, que s’il veut bénéficier d’une telle liberté d’expression, il ne doit pas faire preuve de violence verbale ou d’animosité. Cette limite constitue la contrepartie d’une liberté d’expression étendue.

La stratégie de communication des avocats s’adapte en conséquence. Un nombre croissant d’avocats interviennent dans les médias pour raconter, expliquer ou commenter les procédures ou les audiences à venir. Si la pertinence de ces interventions dépend de l’affaire et doit être déterminée au cas par cas, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une deuxième tribune pour l’avocat, après celle du prétoire, pour défendre les intérêts de ses clients.

Toutefois, la quantité n’est pas qualité : faut-il réserver à la juridiction la primeur de ses déclarations ou les multiplier pour prendre à partie l’opinion publique ?