CR Webinaire - Bénédicte FAIVRE-TAVIGNOT
Le 26 mai, le Cercle Orion eu le plaisir de recevoir Bénédicte Faivre-Tavignot, professeur affiliée à HEC Paris autour d’une conférence orientée sur le thème de l’économie inclusive, et du rôle capital qu’elle jouera dans le monde d’après. Ce wébinaire – le quatrième et dernier – tenu dans le cadre des travaux de préparation du Manifeste pour le monde d’après, a été l’occasion d’évoquer la dynamique exponentielle que prennent ces travaux.
Notre invitée, Mme Faivre-Tavignot est diplômée d’HEC Paris en 1988, et titulaire d’un doctorat en sciences du management obtenu à l’université de Lyon-3 en 2012. Avant sa carrière universitaire, elle a travaillé pendant une quinzaine d’années en tant que consultante, notamment chez Eurequip Group. Elle est actuellement directrice exécutive du Centre Society & Organizations(SNO) dont le rôle est d’intégrer l’innovation sociétale et environnementale dans l’enseignement et la recherche à HEC. Bénédicte Faivre-Tavignot a aussi co-fondé le master « Management du développement durable » (2003) ainsi que la chaire « Social business, entreprise et pauvreté », en 2009, devenue en 2016 Movement for Social*BusinessImpact(MB*SI). Ce mouvement est soutenu par Martin Hirsch, Directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Pairs, ainsi que par Emmanuel Faber, P-DG de Danone, et rassemble des chefs d’entreprise engagés.
Le propos de Mme Faivre-Tavignot s’articule autour de l’économie inclusive, qu’elle défend être l’une des solutions à approfondir pour une société plus durable et équitable. Grâce à une démonstration passionnante, elle est parvenue à définir cette notion complexe, qui inspire les recherches du Manifeste, comme Alexandre Mancino l’a rappelé.
Cette discipline a d’abord été définie par Mohamed Yunnus, « le banquier des pauvres », prix Nobel de la paix en 2006, dans son ouvrage A world without poverty(2008). L’économie inclusive désigne un modèle hybride, cherchant à concilier la loi du marché avec l’efficacité sociale, « doing both well and good ». Elle est un procédé innovant à même de résoudre des problématiques transversales, touchant aux inégalités sociales ou à la transition écologique en parvenant à une finalité impactante et vertueuse. Si des bénéfices doivent bien entendu être dégagés de ce business, ceux-là doivent être réinvestis, pour pérenniser les effets positifs sur la société et faire vivre l’esprit de communauté. Chacun peut, et doit alors devenir acteur de l’économie inclusive, une société fondée sur l’interdépendance entre ses individus. Si l’on contribue au bien-être de la société, on reçoit aussi ses bienfaits, dans une relation symbiotique. Mme Faivre-Tavignot a tenu à préciser que l’économie inclusive s’inscrit dans l’héritage de procédés qui existent depuis longtemps : en effet, les coopérations mutualistes, vieilles du XIX° siècle, ou l’économie sociale et solidaire, établie par la loi du 31 juillet 2014, partagent les mêmes ambitions.
Elle a salué les initiatives prises par des grands groupes français, dès décembre 2018. Treize dirigeants d’entreprise ont constitué un collectif et se sont engagés à mettre au service de la cause sociale et sociétale la puissance économique de leurs entreprises (lien : https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/18/treize-entreprises-en-faveur-d-une-economie-plus-inclusive_5399072_3232.html). Ce mouvement spontané a été complété et enrichi en février 2020. Plus de 35 entreprises qui font partie de ce collectif, qui a adopté un plan d’action orienté autour de trois axes : investir dans la formation professionnelle, offrir des biens et services aux personnes en situation de handicap, des politiques d’achat au service d’une économie inclusive.
Mme Faivre-Tavignot nous a ensuite démontré en quoi l’économie inclusive est outil efficace et adapté à la lutte contre des inégalités intenables.
Depuis les années 1990, la pauvreté a certes diminué : près d’un milliard de personnes sont sorties de l’extrême pauvreté, notamment grâce à l’impressionnant développement économique de l’Asie du Sud et de l’Est.
Malgré ces progrès, les inégalités demeurent et ne sont plus supportables. Selon des données fournies par l’ONG Oxfam, 26 milliardaires détiennent autant d’argent que 3,8 milliards de personnes. Au sein de l’OCDE, les 10% des ménages les plus riches se partagent 52% du patrimoine total, alors que les 60% des ménages les plus pauvres se partagent 12% des richesses. Même si ces chiffres sont souvent contestés, le constat est frappant.
La lutte contre ces inégalités, déjà accablantes, est mise à l’épreuve par de nouvelles contraintes. L’explosion démographique risque d’abord d’aggraver le chômage et la paupérisation de millions d’individus. La population africaine va doubler d’ici 2050 : 10 millions de jeunes arrivant sur le marché du travail chaque année risquent de se retrouver au chômage.
Aussi, le changement climatique va affecter de nombreuses zones géographiques, devenant trop chaudes et donc invivables. Les migrations climatiques qui en découleront seront alarmantes.
Le progrès technologique, s’il crée des opportunités, va toutefois continuer d’accroître les inégalités. Chacun n’a pas les moyens d’y avoir accès, et l’intelligence artificielle détruira autant d’emplois qu’elle n’en créera. La digitalisation risque de laisser sur le côté des pans entiers de la société.
Enfin, et de façon plus conjoncturelle, la crise sanitaire va faire perdre les moyens de subsistance à la moitié de la classe active, et détruira 900 000 emplois en France d’ici 2020, selon l’Organisation internationale du travail.
Alors, et par une formule de style percutante, Mme Faivre-Tavignot nous a prouvé l’urgence de recourir à l’économie inclusive. Si certains la concevaient comme une utopie, il est justement utopique de croire que l’on peut laisser filer les inégalités sociales et les pressions environnementales de la sorte, au risque de plonger dans une dystopie… La gravité de ces enjeux nous appelle à agir ensemble, et ce de façon massive : l’économie inclusive est un outil passionnant dont nous disposons.
À ce titre, Mme Faivre-Tavignot a souligné que l’économie inclusive est devenue une priorité que les chefs d’État et de Gouvernement ainsi que les organisations internationales ont saisie. Le président Macron l’a inscrit à l’ordre du jour des négociations du G7 de Biarritz en 2019, orienté autour de la lutte contre les inégalités. Y a d’ailleurs été formée l’initiative Business for inclusive growth(B4IG), coalition de grandes entreprises internationales, coordonnée par l’OCDE, et conduite par Danone. L’économie inclusive répond au dix-septième but du développement durable, « partnerships for the goals » : depuis le rapport Brundtland de 1987, le développement durable est un objectif de la communauté internationale.
Afin de donner un nouvel élan à l’économie inclusive, Mme Faivre-Tavignot a appelé de ses vœux un changement d’échelle qui nécessite un changement de paradigme culturel. Il est essentiel que chaque acteur économique s’intéresse non plus à sa simple consommation mais à l’impact qu’il produit dans la société. Le concours de chacun est inévitable, tant les défis que l’économie inclusive affrontent sont interdépendants.
Ainsi, les États seront amenés à légiférer, et à flécher les investissements, publics et privés, en direction de la transition écologique ou de la lutte contre les discriminations, par exemple. Mais l’action publique ne peut pas tout à elle seule.
Le monde financier devra aussi répondre présent et jouer un rôle de levier, pour encourager l’investissement. La philanthropie occupera un rôle essentiel pour retisser une solidarité profitable. Le monde de l’entreprise sera un acteur de poids de ce changement, dont l’engagement sincère devra être au rendez-vous. Mme Faivre-Tavignot a mis en garde contre le greenwashing, donnant une fausse image écologique à des entreprises, dans le cadre d’un marketing trompeur. Enfin, chaque citoyen devra adopter des comportements responsables, et prendre conscience de la gravité des inégalités qui sévissent. Nos esprits devront être sensibilisés à l’économie inclusive : l’éducation devra prendre sa place, pour former des décideurs conscients de leur effet. On pourra envisager d’augmenter la rémunération de salariés participant au bien commun, ou d’inclure les externalités négatives créées par les entreprises dans les prix des biens et services. Mme Faivre-Tavignot reprend ici un argument proposé par Briann Hill, professeur à HEC (lien : https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/05/26/brian-hill-il-faut-informer-les-consommateurs-du-cout-social-des-biens-et-services-proposes_5467395_3232.html).
Nous devons aussi nous féliciter de l’évolution rapide des comportements en la matière : si la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE) apparaissait comme un frein au développement de l’entreprise il y a dix ans, elle est un outil de développement à part entière à son service aujourd’hui. Les perspectives offertes par l’économie inclusive sont très encourageantes et doivent être poursuivies.
Pour conclure, Bénédicte Faivre-Tavignot a cité Mohamed Yunnus, et dessiné le visage de l’économie dans une société inclusive : elle n’est pas une finalité en soi, mais un levier puissant pour atteindre le projet de société dont nous rêvons tous, fondé autour de la durabilité, de la croissance et de l’égalité.
Cette tâche est immense. Mme Faivre-Tavignot a rappelé son soutien à l’initiative du Manifeste, remplie d’espoir, en montrant que si des orientations en faveur de l’économie inclusive ont été prises, aucun problème n’a encore été réglé. L’implication des forces de chacun est décisive. Résolument, « time is now ».