CR Webinaire Florent PARMENTIER

Le 19 mai 2020, le Cercle Orion a eu le plaisir de recevoir pour son troisième wébinaire dans le cadre de la préparation du Manifeste pour le monde d’après Florent Parmentier, secrétaire général du CEVIPOF qu’il nous fait l’honneur de préfacer et parrainer.

Florent Parmentier est diplômé de Sciences Po, et docteur en science politique, après des recherches menées sur la politique européenne de voisinage. Il est spécialiste de l’Europe orientale, en témoigne son ouvrage publié en 2014 aux Presses de Sciences Po Les chemins de l’État de droit. La voie étroite des pays entre Europe et Russie. En plus de ses fonctions au CEVIPOF, il enseigne la prospective à l’école d’affaires publiques de Sciences Po. 

Il est Secrétaire général du CEVIPOF, le centre de recherches politiques de Sciences Po depuis décembre 2019. Ce centre, aussi important que le Centre de recherche internationale (CERI) a été créé en 1960 par Jean Touchard, auteur notamment d’une célèbre Histoire des idées politiques. Son institution est consubstantielle à l’émancipation progressive des sciences politiques de la tutelle du domaine juridique. Le CEVIPOF est rattaché au CNRS et est devenu au fil des décennies un acteur incontournable de la vie politique française. Les travaux du concentrent se concentrent vers deux orientations : l’étude du fait électoral et des comportements politiques, ainsi que l’étude des idées politiques.

Lors de la crise sanitaire, le CEVIPOF s’est engagé avec un consortium de recherche international afin d’étudier les décisions prises par les gouvernements de dix-huit pays, et leur impact sur les opinions publiques. Cette étude vise d’abord à poser la question de la confiance des citoyens dans leurs pouvoirs publics, et l’acceptation de mesures toujours plus contraignantes. La confiance dans les gouvernants est d’ailleurs un domaine d’étude privilégié du CEVIPOF : chaque année, le centre dresse son baromètre de la confiance politique, qui reçoit un écho médiatique certain. Ainsi, pendant la crise sanitaire, la confiance des Français dans leur système de santé était très haute, mais celle dans les pouvoirs publics et la police tendait à s’effriter. 

M. Parmentier a tenu à préciser le caractère exceptionnel de cette crise, ainsi qu’à discuter de son caractère fondateur pour nos civilisations. Il est essentiel de replacer cette crise au cœur de notre Histoire ; alors que chacun rappelle la grippe espagnole de 1919 mais semble oublier la pandémie de grippe de Hong-Kong de 1968. L’analyse de M. Parmentier cherche à décrypter ce que cache l’expression de « monde d’après ». La rupture que nous envisageons n’est en rien évidente. La crise sanitaire a défié notre imagination pour M. Parmentier, nous rappelant des inspirations post-apocalyptiques et dystopiques.

Un consensus et une volonté politiques suffisante doivent émerger et accompagner ce monde d’après : ainsi, le futur est ouvert et nous nous trouvons dans un moment de choix, qui cristallise les volontés et les intérêts de chacun.  En matière de science politique, ce moment nous conduit à un exercice de prospective, et il nous incombe de respecter une méthodologie particulière. M. Parmentier considère cette étude prospective comme un impératif démocratique, afin de permettre de renouer avec un futur collectif, serein et de long-terme.

Dès lors, il apparaît essentiel de prévoir l’avenir – non pas de le prédire ni de le connaître – et d’envisager une futures literacy, pour reprendre les mots de Riels Miller, qui dirige la prospective de l’UNESCO. Les scénarii prospectifs doivent inspirer le politique et la société toute entière. Les perspectives imaginées permettent la préparation de l’avenir, ce qui est essentiel. En effet, ce sont ceux qui se préparent et qui répandent au mieux leurs idées qui parviennent à esquisser le monde d’après. En ce sens, M. Parmentier a salué l’initiative du Manifeste, qui y contribue. Il a souhaité présenter les grands déterminants d’une étude prospective pour le monde d’après la crise sanitaire. 

D’abord, les tendances de fond contraignent le monde d’après. Celles-ci désignent des déterminent d’envergure. Un rapport de la CIA Le monde en 2035, les paradoxes du progrès en présente de nombreuses. Toutefois, M. Parmentier alerte en particulier sur la confiance des sociétés dans leurs gouvernants, les inégalités de richesse et les interconnexions entre les santés humaine et animales, que la crise aura soulevés.

Aussi, il faut se méfier des signaux faibles et atypiques que nos sociétés révèlent en ces temps. Si la fin de l’utilisation des plastiques à usage unique était devenue le cheval de bataille de l’Union européenne, étonnons-nous aujourd’hui de retrouver des masques dans nos rues ; la crise sanitaire risque par exemple d’occulter l’urgence écologique. Aussi, la liberté d’aller et de venir a été soumise à rude épreuve pendant la période de confinement, comme M. Stirn a pu le montrer lors du propos qu’il nous accordait le 12 mai dernier. 

Enfin, pour M. Parmentier, deux paradigmes peuvent justement émerger à l’occasion de cette crise. 

Dans l’héritage de Léonard de Vinci, l’expérience unique du vivant que nos sociétés comprennent de mieux en mieux, devrait davantage nous inspirer. En effet, la nature produit des écosystèmes naturels et résilients, liés par une coopération large, qui pourrait donner naissance à davantage de circuits courts. M. Parmentier a récemment écrit un article sur le biomimétisme (lien : https://www.frequenceterre.com/2020/05/11/sinspirer-du-biomimetisme-pour-repenser-lorganisation-de-nos-societes/). 

Il a aussi plaidé pour une esquisse précautionniste du monde d’après. Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC, et parrain du Manifeste défend l’émergence d’une telle idée. Populaire dans l’étude du commerce international, le précautionnisme pourrait permettre de dépasser le clivage entre le mondialisme et le souverainisme, et en particulier concernant les industries stratégiques, comme les masques dans le domaine sanitaire. 

Dans un échange plus informel, Florent Parmentier a envisagé plusieurs pistes de réflexion, dont le Manifeste pourrait s’inspirer.

Il a par exemple rappelé les ambitions de Paul Ribeyre qui avait envisagé dans les années 1950 une Communauté européenne de santé. La construction européenne a finalement occulté ce projet. M. Parmentier s’est aussi prononcé pour une interdépendance européenne plus prononcée. Il s’est interrogé sur le rapport au temps qu’entretiennent nos démocraties, et sur l’héritage jacobin français. 

Le président du Cercle Orion, Alexandre Mancino a tenu à remercier Florent Parmentier de la richesse de ses analyses, complètes et transversales, qui auront un rôle essentiel dans les travaux du Manifeste.  

Emmanuel BENAMOU