CR Webinaire Bertrand BADIE

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Ce vendredi 8 mai 2020, alors que la France s’apprête à être déconfinée, le Cercle Orion a reçu Bertrand Badie, expert en relations internationales et professeur émérite des universités à Sciences Po-Paris, pour un webinaire portant sur la recomposition de la puissance à l’ère du Covid-19.

Cette visioconférence inaugurale introduit une série d’interventions qui auront lieu dans cadre de la rédaction du « Manifeste pour le Monde d’Après », projet réunissant plus de 200 contributeurs et soutenu par un Comité de parrains prestigieux.

 Le Covid-19 bouleverse le monde. Il se traduit par un retrait des États de la mondialisation, largement décriée comme étant la source principale de cette crise. Conscients de ce destin partagé planétairement, la crise aurait pu être l’occasion d’un triomphe des institutions internationales. Pourtant, c’est le constat d’une impuissance générale qui prédomine.

Toutefois, pour Monsieur Badie, le multilatéralisme n’est pas impuissant. Les états le sont.

Une grande partie du multilatéralisme, grâce auquel nous pouvons prendre l’avion, avoir des prévisions météorologiques ou surfer sur Internet, fonctionne très bien. Seule l’incurie des états, qui choisissent de ne pas se porter vers le multilatéralisme au moment même où il est essentiel, est coupable.

Si l’architecture multilatérale est bien conçue, elle est de plus en plus en décalage avec le contexte de 1945 dans lequel elle s’est élevée. Car alors, la notion de « puissance » prédominait, la puissance militaire, celle des États-Unis et de l’URSS, qui étaient venus à bout du nazisme, et qui se sont ensuite affrontés dans la guerre froide.

Cependant, d’autres sources de puissance ont depuis émergé, et ont brouillé cette notion de puissance : la puissance technologique, celle de la religion, de la culture… demandant de trouver un juste équilibre entre soft power et hard power, équilibre qualifié par Suzanne Nossel de « Smart power ».

Ce phénomène a été doublé d’une inefficacité de la puissance militaire, lorsque l’hyperpuissance américaine issue de la chute de l’URSS a perdu toutes les guerres menées à son initiative. 

Cette même puissance a également été défiée, et ce à raison de trois évènements. D’abord la décolonisation, qui a opéré un décentrement du monde de l’Europe vers l’Afrique et le Moyen-Orient, et a donné naissance à des états qui refusent de se faire domestiquer par la puissance. Ensuite, la dépolarisation, à cause de laquelle la chute d’une puissance en a laissé une autre sans raison d’être, une puissance sans terrain d’affrontement n’étant plus une puissance. Enfin, la mondialisation.

 Monsieur Badie a souhaité insister sur le terme de « mondialisation », tant il est utilisé à mauvais escient, notamment en étant confondu avec le néo-libéralisme.

Le néo-libéralisme a conduit à deux effets pervers que sont la dilution du débat politique et la dissolution du social, à l’origine notamment des mouvement sociaux en France et des montées du populisme. Aujourd’hui, l’économie avance d’abord et le social se doit de la suivre, alors qu’à l’inverse l’économique devrait être un instrument pour servir le social.

La mondialisation quant à elle est un phénomène, une révolution technologique, un mode de communication simultané qui a aboli le temps et l’espace.

La mondialisation est fondamentalement une bonne chose, la base de la solidarité, qui a débouché sur trois nouvelles propriétés de la société. D’abord l’inclusion en un seul monde de l’essentiel de l’humanité, comprenant dès lors des inégalités très fortes de telle sorte que les enjeux sociaux sont devenus les enjeux internationaux essentiels ; l’interdépendance, ensuite, par laquelle les faibles dépendent des forts mais surtout les forts des faibles ; la mobilité généralisée, enfin, notamment des humains, créant des flux migratoires contre lesquels il est illusoire de lutter.

La mondialisation est donc irréversible, et sera bonne ou mauvaise selon ce que nous en ferons.

Par ailleurs, la puissance a perdu son objet principal qu’était la protection de la souveraineté, et doit se tourner vers sa nouvelle menace, celle d’un ennemi qui ne connait pas les frontières, et se battre pour la protection de la sécurité globale.

D’autres ennemis existent déjà, tels que la sous-alimentation, les catastrophes environnementales, ou d’autres maladies bien plus meurtrières, dont peu se soucient. Pourtant, là réside la vraie insécurité globale. La puissance est-elle adaptée à ces menaces ?

La réaction maladroite des puissances à ce virus laisse à penser que non. Elles se sont hâtées de convertir ce phénomène métapolitique qu’est le Covid-19, en des termes politiques, en lui donnant une personnalité, une nationalité, et donc en rétablissant les frontières. Naturellement, dans l’urgence, chacun utilise ce qu’il connait, et les leviers étatiques sont bien plus rapides à activer que les leviers mondiaux.  

Pour autant, le coronavirus n’est pas une crise de la mondialisation. C’est une crise du défaut d’accompagnement de la mondialisation. Aujourd’hui, c’est au contraire la mondialisation qui nous sauve. Il faut donc l’organiser, la réguler, et pour cela, lever les frontières vers un régime unique de protection, user du multilatéralisme et ne pas céder au repli sur soi.

Le défi de demain, somme toute, est de transformer la puissance en gouvernance.

La puissance d’après devra être la « méta-puissance », une conciliation entre la mondialisation et la puissance, avec la puissance comme fonction qui mobilise des ressources pour accomplir des besoins, et non comme instrument de coercition. Il faut que la mondialisation soit normée, par le droit ou autrement, notamment grâce à la soft Law.

Cette recomposition de la puissance devra posséder un fort rapport au mondial, de telle sorte que chaque acte n’ait de sens que s’il est finalisé en terme de mondialité, pour favoriser la gouvernance globale. Les ressources de la gouvernance devront être puisées dans la technologie, la science, qui ont largement fait leurs preuves pendant cette crise, et un nouveau management public devra être mis en place afin d’organiser rationnellement les ressources dont nous disposons. Enfin, elle devra avoir pour finalité la sécurité humaine.

Le Cercle Orion remercie chaleureusement Monsieur Bertrand Badie pour son intervention, et son soutien renouvelé.