Pour que l’Union ne meure pas du COVID-19

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La C.E.C.A., fondée en 1951 et la genèse du projet européen ont résulté d’une volonté juste et transcendante de la part de ses pères fondateurs, suite à un des plus grands malheurs du XXème siècle, la Seconde Guerre mondiale, et ce, afin de garantir dans l’espace européen paix et prospérité.

Si Jean Monnet formulait avec gravité que « l’Europe se ferait dans les crises », et « qu’elle serait la somme des solutions apportées », nul doute que l’occasion lui est donnée, aujourd’hui, de s’affirmer, et de se montrer à la hauteur, la crise du coronavirus étant cruciale pour son avenir.

Monnet présente le visage d’une Europe résiliente, que l’Union, plus que jamais, se doit d’arborer, avec fierté, et sang-froid.

La crise sanitaire que nous traversons, la plus grave depuis l’épidémie de la grippe espagnole en 1919, semble avoir déclenché des réponses sporadiques de la part des États membres, et non pas un large mouvement de solidarité et de coopération, comme il aurait été souhaitable.

La présidente de la Commission européenne, Ursula Van der Leyen, plaide justement pour une réponse généreuse dévoilant le cœur de l’Union : « L’amour est contagieux comme la compassion, un cœur débordant vaut mieux que vingt-sept petits cœurs », a-t-elle d’ailleurs déclaré.

On entend filer la métaphore guerrière de tous bords. L’Union doit remporter ce combat pour voir rejaillir l’idée de solidarité, et réinventer une idée commune qui lui sont inhérentes. 

La propagation du COVID-19 risque de voir renaître les pires volontés isolationnistes des États-Unis, qui n’hésitent pas à fermer unilatéralement leurs frontières, ni à instrumentaliser le virus dans le cadre de la guerre commerciale qu’ils mènent contre la Chine. On voudrait aussi voir l’Union se désunir, alors même qu’elle devient une cible de prédation appétissante. Le pire serait d’y céder. Récemment, nous avons eu affaire à des moments rude, des menaces à notre solidité et à notre fraternité.

Dans les années 2010, la crise des dettes souveraines a fait trembler l’Europe, avec le spectre du départ prématuré d’un parent pauvre ; la crise migratoire s’éveiller les pires relents anti-immigration ; et le Brexit concrétiser ce qu’une dystopie voulait nommer Grexit, six ans plus tôt. 

Même si Emmanuel Macron aura résolument orienté son mandat au son de l’Hymne à la joie, et tenté de sacraliser les relations entretenues avec la chancelière Merkel, il n’en demeure pas moins des dissidences au sein du couple franco-allemand, minant une avancée sereine de la construction du projet européen.

Le péril que nous affrontons fait courir un risque de désordre, et de querelles puériles entre des États parfois chamailleurs. La République tchèque, patrie du président-philosophe Havel, a détourné des masques destinés à l’Italie, envoyés par la Croix-Rouge chinoise, et l’Allemagne, avant de faire marche arrière, en a dérouté d’autres…

À cela, regrettons que les réponses européennes à cette pandémie aient manqué d’anticipation et de clairvoyance ; si le virus n’a pas de frontières, l’Europe se pensait toutefois immunisée.

Ces controverses nourrissent un relent populiste alimenté ici-et-là, dès lors que le ciel et l’avenir commun s’assombrissent.  

Tirons-en avec froideur des conclusions. Le début de la gestion de cette crise n’aura pas élevé l’affirmation de la puissance européenne, traduction de l’esprit de communauté si cher à Monnet et Schuman, et du besoin nécessaire de solidarité. On ne peut pas, on ne peut plus, refuser « une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens ». L’union des peuples européens, ayant décidé de partager leur destin, est consubstantielle à l’idée de puissance de l’Union. Unis, les peuples européens seront capables, avec ténacité et résilience d’affronter la crise sanitaire du COVID-19. Les capacités que l’Union pourra démontrer augureront de son avenir. La période difficile que nous traversons constitue l’opportunité pour l’Union de réinventer sa solidarité, et son idée.

Si certaines données ont pu nous donner l’impression que l’Union se délitait, il ne faut pas négliger les dynamiques que les institutions, et les chefs d’État et de gouvernement tentent d’insuffler en ce temps d’épidémie. Bien au contraire, celles-ci doivent nourrir un optimisme nécessaire à la vitalité de l’Union.

La Banque centrale européenne (BCE) s’implique sincèrement dans ce nouveau combat. On se souvient du célèbre « whatever it takes », prononcé par l’ancien président de la BCE Mario Draghi, annonçant qu’il serait prêt à déployer toutes les mesures de circonstance afin de lutter contre la crise des dettes souveraines.

Aujourd’hui, et pour répondre à l’épidémie, la banque de Francfort a décidé d’intervenir à hauteur de 1 000 milliards d’euros, presque 10% de la richesse européenne, la moitié du PIB français.

La BCE a accepté de transiger sur le sacro-saint sérieux budgétaire ; on pourra, afin de lutter contre le COVID-19, déroger au Pacte de stabilité et de croissance, qui fixe le fameux principe des 3%...

Peut-on même aller plus loin, en mutualisant la dette européenne par exemple ? Le gouverneur de la Banque centrale du Portugal a alerté de la survenance possible d’une deuxième crise des dettes souveraines, suite à la catastrophe sanitaire. Ainsi, certains promeuvent l’émission par la Banque centrale européenne de coronabonds, des obligations européennes visant à financer les dépenses liées à l’épidémie. Les pays les plus endettés, y sont largement favorables : ils pourraient profiter des taux avantageux des États les plus compétitifs, comme l’Allemagne, et rembourser leur dette à des taux plus intéressants. Mme Merkel s’y oppose fermement : le montant du Mécanisme européen de stabilité, de 410 milliards d’euros est bien suffisant ! Ainsi, la mise en place d’une solidarité financière européenne accrue ne semble pas encore à l’ordre du jour.

Mais l’épidémie touche à des vies humaines, et décime des familles entières. La réponse financière est-elle suffisante ? D’autres initiatives, plus discrètes, sont entreprises depuis le début de la crise. Elles nourrissent des aspirations remplies d’espoir.   

La Commission s’engage résolument au profit de la recherche scientifique. Ella a alloué 80 millions d’euros à un laboratoire qui met au point des vaccins prometteurs, et dont le président Trump voulait s’approprier, de façon exclusive, les résultats. Aussi, plus de 140 millions d’euros ont été investis dans 17 projets de recherche.

Une coopération médicale se met en place entre des États-membres limitrophes. Aussi, des patients ont été transférés, en Europe, vers des zones et hôpitaux moins engorgés. Le 24 mars, six patients italiens transférés vers l’hôpital de Leipzig, et celui de Bade-Wurtemberg accueille douze patients français.

La Commission européenne a créé une réserve stratégique, rescEU, pour fournir masques et respirateurs artificiels, financée à hauteur de 50 millions d’euros ; l’Allemagne, la France, et l’Italie, s’échangent des millions de masques et tenues médicales.

Nous devons déjà préparer « l’après », et envisager dès à présent le futur d’une union souveraine, résiliente, et nouvelle.

Certains prédisent qu’au lendemain de la crise, la mondialisation heureuse et hyperactive dans laquelle nous vivons fera l’objet d’une remise en question. On repensera ce village devenu de plus en plus global, où la souveraineté et la puissance européenne se sont retrouvées diluées, au prix d’interdépendances de toutes sortes toujours plus prononcées.

La catastrophe qui nous déchire appellera à une revue de nos grilles de lecture, et à un bilan sévère, sombre, mené sans angélisme, afin que de tels bouleversements ne fassent plus partie de notre destin commun. Nous aurons à affronter les contradictions que cette crise aura mises en exergue.

L’Europe doit résolument saisir sa place au sein du nouveau monde qui émergera, et le marquer de son empreinte.

Nous devrons revoir la place d’un capitalisme parfois devenu débordant, et incontrôlable, en replaçant, au centre, des prestations profitant au bien public, et conservées en dehors des lois du marché. Aujourd’hui, les systèmes de santé demeurent la compétence exclusive des États. Pourrons-nous imaginer, demain, une coopération européenne à ce sujet ? Ou alors devrons-nous nous contraindre à encaisser, avec retard et douleur les répercussions de manques d’anticipation que la crise du COVID-19 aura démontrés ?

La Seconde guerre mondiale a inauguré l’avènement des Trente glorieuses, en Europe, et le triomphe de l’État-providence. Le moment d’une Europe providentielle est ici, résolument.

Ce nouveau départ devra aussi être marqué par une ambition écologique profonde. On s’étonne avec légèreté que les émissions de dioxyde de carbone n’aient jamais été aussi faibles que lors d’une telle crise. Mais, c’est en permanence que notre mode de vie devra tenir compte de ce second souffle vert. L’agriculture et les transports devront répondre à de nouvelles difficultés, tout comme l’économie et l’industrie. Comment, toutefois, convaincre la Chine et l’Inde que de telles mutations sont essentielles ? De nouvelles tensions apparaîtront sur l’agenda diplomatique.

L’Europe, et ses individus, partageant résolument un destin commun devront accompagner ce mouvement, afin de ne pas sombrer dans les projections dystopiques de Bruno Latour, qui entrevoit un confinement total de la population pour protéger l’environnement de sa menace première… ses habitants.

Surmonter la crise inédite provoquée par ce virus sera une étape, pour l’Europe, de prouver que les souverainetés nationales ne peuvent s’émanciper, à l’échelle mondiale, que par une union des peuples européens, solidaire et puissante.

La force de l’Union européenne, ne doit pas être ponctuelle, ni réveillée par un ennemi microbien, mais figurer de l’avènement d’une conjugaison renouvelée, et concevoir une communauté de destin.

La fortune d’une Europe unie, permettant de concrétiser, ensemble les souverainetés nationales, ne peut s’accomplir que si elle rencontre les préoccupations de ses citoyens. Ils sont les mêmes en temps de crise et doivent le demeurer.