L’humanité face au coronavirus – Le premier bilan d’un dualisme attendu

Bienvenue en 2020 ! Après les incendies démesurés en Australie qui auraient causé directement et indirectement la mort de plus de 400 personnes, après le conflit américano-iranien qui a fait craindre un embrasement géopolitique global, voici venue une crise sanitaire mondiale provoquée par une pandémie aux conséquences aussi nombreuses que dramatiques. Aucun pan de l’activité humaine n’est épargné, et pour cause, c’est l’humain qui est cette fois directement touché. Alors que nos sociétés dénoncent avec toujours plus de force toute forme de discrimination, notre ennemi semble être au diapason, agissant sans considération géographique, ethnique, religieuse ou sexuelle.

Comme toujours, et contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, cette crise n’a pas pour origine un obscure complot ourdi par un pangolin et une chauve-souris mais est bien la résultante de l’irrespect le plus total de l’humanité vis-à-vis de la nature, matérialisé ici par la destruction inconsciente et illimitée de l’habitat naturel de ces animaux dont les chemins se sont involontairement croisés. Plutôt que d’accuser le pangolin, déjà victime d’un intense trafic en Afrique et en Asie, une remise en question de notre mode de consommation et de son impact sur l’environnement s’impose donc à nouveau, l’avantage étant cette fois que, étant pour la plupart confinés chez nous, nous avons davantage de temps à consacrer à notre introspection.

Face à cet « ennemi invisible », l’humanité réagit, organisant conjointement la résistance et combinant tous ses moyens économiques, industriels et intellectuels avec pour seuls mots d’ordre la protection du collectif et le rejet de l’individualisme. Où tout du moins ainsi en irait-il dans un monde que ne rejetterait pas Saint-Exupéry, mais l’humanité, bien que disposant de toutes les lettres pour former l’unité, a du fil à retordre et l’individualisme ne saurait baisser les armes si facilement face à la dictature du bien commun.

Force est de reconnaître néanmoins que, malgré de nombreux comportements choquants à déplorer, l’altruisme et la solidarité ont rarement été si présents, et ce aussi bien dans la réalité que dans les médias.

Au titre des comportements fortement critiquables, nous pouvons citer en premier lieu le non-respect du confinement par de nombreux Français. A ce jour, la règle est claire : en vertu de la loi du 23 mars 2020 et du décret du 28 mars 2020, le non-respect des mesures de confinement (notamment le déplacement à l’extérieur sans attestation dérogatoire ou la participation à un rassemblement de plus de 100 personnes) est puni d’une amende de 135 euros, qui passe à 200 euros en cas de récidive dans les 15 jours. Pourtant, 10 jours seulement après le début du confinement, le Ministère de l’Intérieur comptabilisait déjà 225.000 procès-verbaux dressés par des policiers et gendarmes chargés de faire respecter la réglementation sanitaire. Ce chiffre ne prend bien entendu pas en compte les amendes prononcées par les faux gendarmes qui tentent, parfois avec succès, d’extorquer frauduleusement de l’argent aux passants et automobilistes en infraction avec les mesures de confinement…[1] En revanche, cette statistique inclut probablement les verbalisations de plusieurs sans-domicile fixe qui ont eu lieu à Paris, Lyon et Bayonne et dont s’indignent à juste titre de nombreuses associations de lutte contre la pauvreté. Même en occultant cet excès de zèle des forces de l’ordre, l’importance du non-respect du confinement reste indiscutable et seules la pédagogie et les mesures coercitives paraissent pouvoir endiguer cette forme d’individualisme. Imaginer la mise en place d’un dispositif de délation des contrevenants comme il en existe en Nouvelle-Zélande[2] semble néanmoins à la fois précoce et excessif, en plus que de rappeler certaines heures sombres de notre Histoire.

Plus révoltant encore, de nombreux vols de masques chirurgicaux ont été constatés dans plusieurs établissements hospitaliers et auprès du personnel soignant. Ainsi, le 3 mars dernier, 2 000 masques ont été volés à l’hôpital de la Conception de Marseille et plus de 12 000 masques chirurgicaux ont été dérobés le 19 mars à l’hôpital de Montpellier. Pour rester dans la surenchère, ce sont près de 40 000 masques chirurgicaux stockés au centre spatial guyanais (CSG) de Kourou en Guyane qui ont été volés le 23 mars. La détention de masques en telle quantité n’est évidemment pas une fin en soi mais constitue un moyen de profiter financièrement de la crise actuelle en se servant de la peur de la population, ce que n’ont pas manqué de comprendre plusieurs commerçants véreux. Le 19 mars, quelque 15 349 masques chirurgicaux et 267 flacons de gel hydroalcoolique ont ainsi été saisis par la police dans l’arrière-boutique d’une épicerie bio du XIXe arrondissement de Paris. De même, le 21 mars, la police a eu la surprise de découvrir un stock de plus de 20 000 masques détenu par la gérante d’une agence de voyage à Paris. Enfin, un homme a été mis en examen le 28 mars après la découverte de 23 000 masques dans sa camionnette stationnée dans le XVIe arrondissement de Paris, qu’il revendait illégalement (notez ici l’originalité du détournement du concept de « food truck »). Comble de l’hypocrisie, certains de ces commerçants se défendent de toute cupidité en avançant agir pour les besoins de tous les Français !

L’altruisme semble cependant avoir un prix puisqu’une parapharmacie du XVIe arrondissement a été prise en flagrant délit en proposant des masques à… 10 euros l’unité. La bassesse et l’individualisme n’étant pas l’apanage des individus, les États semblent également entrer dans la partie, en prenant soin de respecter les proportions : le 20 mars dernier, ce sont ainsi près de 650 000 masques envoyés par la Chine qui ne sont jamais arrivés en Italie, détournés par la République Tchèque avec l’accord des autorités. Cette anecdote, toute scandaleuse qu’elle soit, a au moins eu le mérite de nous faire esquisser un léger sourire lorsque, 4 jours plus tard, nous pouvions entendre Christine Lagarde affirmer, au cours d’une réunion avec les ministres des finances de la zone euro, que : « La solidarité [entre Européens] peut être aussi contagieuse que le virus ».

A tous ces comportements, nous pouvons ajouter la décision de maintenir le premier tour des élections municipales qui, pour des raisons purement politiques, a fait courir un risque démesuré de contamination à des milliers de personnes, au premier rang desquels les assesseurs.

Cependant, s’il était nécessaire de rappeler tous ces faits d’actualité regrettables, il serait critiquable, voire dolosif, de ne pas également souligner la multiplicité des initiatives solidaires qui ont émergé de toutes parts dès l’annonce des premiers cas de contamination.

D’une part, dès que l’ampleur de la crise sanitaire à suivre s’est faite ressentir, de nombreuses associations caritatives se sont mobilisées, notamment dans le cadre de leur lutte contre l’exclusion à destination des plus précaires, tels que les sans-abri et les personnes âgées vivant seules. Depuis le confinement, plusieurs associations, face à l’impossibilité de se rendre directement auprès des personnes isolées, se proposent néanmoins de les appeler pour les sortir de leur solitude et rendre leur confinement plus supportable. De même, avec la fermeture des écoles, de nombreuses associations et particuliers offrent des cours à distance ou fournissent du matériel informatique aux familles démunies pour que les enfants puissent suivre leurs cours à distance. Par ailleurs, confinement oblige, les relations entre voisins n’ont probablement jamais pris autant d’ampleur. Dans les immeubles, des petits mots manuscrits sont ainsi apparus pour proposer différents services, de la garde d'enfants aux courses, notamment pour les personnes âgées. L’association Voisins Solidaires propose également un kit d’entraide nommé « Coronavirus : et si on s’organisait entre voisins ? » ayant pour objectif d’aider à organiser l’entraide au moyen d’affiches, d’un annuaire des voisins et d’un panneau des voisins. Les personnes jugées les plus sensibles à l’isolement ne sont toutefois pas les seules à bénéficier d’initiative solidaires ; le personnel soignant a en effet rarement été aussi remercié et admiré qu’en cette période de crise sanitaire. Ils bénéficient ainsi, avec les pompiers et les forces de l’ordre, d’aides octroyées par les communes, notamment la garderie gratuite de leurs enfants, et de nombreux particuliers mettent gratuitement des logements à leur disposition. Plus symbolique, partout en France leur dévouement et leur courage sont applaudis à 20 heures précises. Nous ne pouvons désormais qu’espérer que cette reconnaissance collective persiste après la crise et devienne l’élément déclencheur d’une réforme de grande ampleur pour améliorer leurs conditions de travail.

D’autre part, plusieurs entreprises de toutes tailles ont affirmé haut et fort leur responsabilité sociétale, ce qui ne saurait déplaire aux défenseurs de la loi Pacte qui a créé le statut de société à mission et la possibilité pour les sociétés de se doter d’une raison d’être. De grands groupes de l’alimentaire, tels que Pernod-Ricard ou Tereos, ont annoncé vouloir contribuer à la production de gels et LVMH a promis la livraison en France de 10 millions de masques FFP2. JCDecaux affiche pour sa part sur ses mobiliers urbains une campagne de soutien aux personnels soignants et un rappel des informations sanitaires, notamment des gestes barrière. Sur le plan éducatif, la MAIF a renforcé son dispositif de soutien scolaire et la chaîne de télévision Arte a mis à disposition de tous sa plateforme éducative. La solidarité des entreprises s’opère également à l’échelle internationale : Alibaba, le géant chinois de l’e-commerce, et Xiaomi, acteur technologique majeur de la téléphonie mobile, ont fait don de centaines de milliers de masques et de kits de dépistage à plusieurs pays européens. Petite attention particulière, sur chaque palette contenant les masques fournis à l’institut Pasteur, Xiaomi a fait apposer les mots de l’écrivain Victor Hugo : « La fraternité n’est qu’une idée humaine, la solidarité est une idée universelle ». Si certains amateurs de la théorie du complot, irréfragablement convaincus de l’ignominie patente des banquiers et des grands patrons, crieront toujours au « coup de pub », gageons que les bénéficiaires de ces dons ne seront pas du même avis.

Le tableau est donc très loin d’être tout noir et il est bon, en ces temps difficiles, de constater que pour une fois c’est la bonté humaine et la mobilisation solidaire qui font les gros titres. Il ne résultera peut-être pas de cette épreuve une refonte globale et immédiate de notre mode de consommation et de notre perception des « métiers essentiels », mais assurons-nous au moins que toutes les leçons économiques, environnementales et sociétales en soient tirées. En attendant, et sauf si le devoir ou le dévouement vous appellent ailleurs, « sauvez des vies, restez chez vous ».

[1] https://actu.fr/occitanie/castanet-tolosan_31113/coronavirus-attestations-sortie-faux-gendarmes-dressent-amendes-castanet-tolosan_32623528.html

[2] https://www.dna.fr/france-monde/2020/03/30/non-respect-du-confinement-un-site-de-delation-victime-de-son-succes