Lettre de Londres n°3 - Les Sanctions Iraniennes : le Cauchemar du COVID-19

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« Ce n’est pas pire que le Kabous Mongol ! » Cette expression persane fait relativiser en comparant un évènement au Kabous (« cauchemar » en persan) mongol, qui n’est autre que l’invasion et la conquête de l’empire Khorazmien d’Iran par l’empire mongol au XIIIe siècle. L’Histoire nous révèle que le Shah de l’empire Khorazmien, Ala ad-Din, refusa d’accepter le traité d’amitié proposé par Genghis Khan, choisissant plutôt d’exécuter un diplomate Mongol, sans pour autant se préparer à la guerre de manière convenable. Le Khan, outré par la violation de l’immunité diplomatique, déclara la guerre et s’apprêta à faire payer au peuple iranien la condescendance et le manque de préparation du Shah. Lors de la guerre provoquée par cet acte, l’empire mongol décima un quart de la population iranienne en trois ans.

Nous sommes aujourd’hui aux portes d’un nouvelle menace pour la population iranienne, épidémiologique cette fois, et également appelée « Kabous ». Ayant été identifiée comme la source de cas dans au moins vingt-deux autres pays, l’Iran est désormais considérée comme un épicentre du coronavirus. De plus, le Ministère de la Santé iranien a indiqué le 27 mars que le nombre de personnes infectées est de 21 199, si l’on soustrait ceux prétendus guéris. Le nombre de morts est, lui, de 2 926. Ces tristes nombres placent l’Iran en cinquième place mondiale en termes de morts dues au virus et en sixième place en termes de nombres de cas détectés. Être aux côtés des Etats-Unis, de l’Espagne et de l’Italie n’est pour une fois pas source de fierté, mais si l’on en croit certains ténors de l’OMS, et même certains députés iraniens, la tristesse et l’inquiétude cèderaient leur place à l’outrage et l’alarme.

D’aucuns se souviendront de cette conférence de presse, datant du 24 février et tendant vers l’absurde, lors de laquelle le vice-ministre de la santé iranien, Iraj Harirchi, tentait tant bien que mal de rassurer le peuple iranien et de minimiser l’intensité de la crise, tout en toussant et essuyant la sueur qui dégoulinait sur son front. Au travers des dires de Harirchi, le gouvernement iranien cherchait à calmer les esprits. Cependant, il semblerait que les nombres communiqués par le gouvernement iranien ne reflètent pas la réalité. Le 17 mars, de retour d’une mission en Iran, le directeur régional des urgences de l’OMS Rick Brennan expliquait que le nombre de morts en Iran pourrait être cinq fois plus haut que celui communiqué par le gouvernement. De même, certains députés, de tous bords politiques, ont exprimé leurs doutes par rapport aux nombres de cas détectés que le gouvernement communique depuis la fin février. Ces nombres, vraisemblablement inférieurs, peuvent s’expliquer par une tentative du gouvernement de masquer la réalité, du moins pour le moment. Bien qu’il soit facile de condamner cette politique qui suggère une indécence et une ignominie la plus totale en ce temps de crise, il serait regrettable de mettre de côté une autre cause, indirecte, qui a eu un effet décisif sur la situation iranienne avant même que le COVID-19 ne soit identifié à Wuhan. 

Depuis la conférence de presse de Harirchi, un très grand nombre d’hommes politiques, de chefs religieux, de savants et de médecins iraniens ont été infectés, pour certains de manière fatale. En effet, après Harirchi, 10% des députés, deux vice-présidents, deux ministres et un des conseillers principaux du guide suprême Ali Khamenei ont testé positif au COVID-19. Parmi les défunts, nous comptons un grand ayatollah, un membre du conseil d’Etat et un général de brigade des Gardiens de la Révolution. Le décès de ces hauts responsables suggère une triste réalité puisque si le gouvernement en avait eu les moyens, il les auraient sûrement mieux protégés et soignés. Mais alors, qu’en est-il des personnes qui ne sont pas membres de la caste régnante ? Quid du Felan (« Monsieur Toutlemonde » en persan) ?

La population (ou populace), ne peut que se fier à ce que lui donne son gouvernement et n’a d’autre choix que de faire confiance au système de santé étatique. Or, les moyens ne sont pas au rendez-vous, et la confiance non-plus. Les plus de 500 iraniens qui ont trouvé la mort après avoir ingéré du méthanol, supposée cure du virus, en témoignent. Le système de santé iranien n’est pas celui de New York, de Milan, ou de Madrid. Si ceux-ci sont sur le point d’être débordés, qu’en sera-t-il des hôpitaux de Téhéran, Ispahan et Chiraz ? Le manque cruel de moyens et de matériel dont souffrent les hôpitaux iraniens sont une conséquence directe des sanctions imposées par les Etats-Unis, cela va sans dire. En 2003, à la suite d’un terrible séisme qui a provoqué la mort de 26 000 Iraniens, le président Georges W Bush a gelé les sanctions contre l’Iran pour envoyer plus de 68 000 kilos de matériel médical ainsi que 200 soignants pour aider l’Iran à se remettre de cette catastrophe. Comme l’ont exigé onze sénateurs américains et le ministre des affaires étrangères du Royaume-Uni, il semblerait qu’il soit temps de geler ces sanctions une fois de plus.

L’Union Européenne, elle, a l’opportunité de se montrer plus humaine que les Etats-Unis de Trump. Forte de sa solidité économique, de son influence diplomatique et de son excellence scientifique, l’Europe peut être le fer de lance d’une campagne de solidarité. Même en faisant fi de tout altruisme, il est dans l’intérêt de l’Europe de combattre le virus où qu’il soit. Si l’étude menée par l’Université Sharif de Téhéran (une des universités scientifiques les plus respectées du pays) est à croire, et que les morts se compteront par millions, les iraniens ne pourront que maudire l’Occident, resté passif. En effet, si l’Occident, qui a déjà tourné le dos à l’Iran en renonçant à l’accord sur le nucléaire, n’aide et ne lui permet pas de sortir de cette crise, il se pourrait que Téhéran ne fasse plus jamais confiance à l’Occident et se tourne définitivement vers l’Orient. Ainsi, cette crise sanitaire en Iran deviendrait le Kabous iranien des défenseurs de la démocratie.