L’incertitude : frein ou levier en santé ?

La France, fait face à une crise sanitaire sans précédent. Ce virus, le Sars Cov-2, responsable de la maladie COVID-19, est très contagieux, et 10 à 20 fois plus mortel que la grippe. Ce n’est pas la première fois que le monde affronte une pandémie, mais aujourd’hui le monde affronte une période inédite de crise sanitaire mais également et par ricochet, économique, sociale, et à court terme probablement : politique.

Ici plus que jamais, la progression de la maladie modifie nos paradigmes, modifie nos comportements, modifie nos certitudes, et force est de constater qu’au-delà des conséquences de la seule contamination virale, l’incertitude générée se révèle être un poison également redoutable pour l’humanité.

Si aucun traitement spécifique curatif ne semble clairement validé à l’heure où est publié cet édito, le fantasme d’une médecine 4P (prédictive, préventive, personnalisée et participative) est bien mort. Aucune intelligence artificielle n’a pu prédire et trouvé d’échos pour inciter à se préparer de manière efficace afin d’affronter le cataclysme. Aucun stock préventif stratégique ne semble suffisant pour pallier le déficit de lits de réanimation, de respirateurs, de déficit de médicament, et même du déficit de masques si essentiels pour protéger les plus exposés et les plus fragiles. Aucun robot, aucun objet connecté ne supplée nos soignants. Aucune usine ne dispose de la réactivité pour satisfaire la demande colossale pour certains produits, alors que paradoxalement des millions de personnes se retrouvent sans activité. Quant à la médecine personnalisée, l’accès à des soins de réanimation seule possibilité théorique d’assurer la survie des plus atteints dépend finalement plus des ressources effectivement disponibles que des besoins de chacun.

Non, force est de constater : notre système de santé ne peut se prévaloir d’être serein, préparé et adapté pour faire face à l’inattendu. La seule solution actuelle, nécessaire et indispensable au demeurant, est de confiner la population. Aucune autre alternative dans l’urgence n’est envisageable.

Au-delà de l’impact sanitaire qu’affronte en première ligne l’ensemble des soignants, et ici il convient de rappeler que plus de la moitié des médecins contaminés sont des médecins libéraux, notamment médecins généralistes qui ne disposaient début mars d’aucune protection spécifique, peut-on mesurer ou évaluer l’incertitude qui pèse sur nos vies du seul fait de cette impréparation ?

Que sait-on des effets de cette incertitude ? Est-elle un frein, ou peut–elle être un levier pour résoudre notre conviction inébranlable que le monde de demain sera différent, sera mieux armé pour faire face aux terribles aléas sanitaires, c’est à dire non seulement épidémiologiques, mais également environnementaux, économiques, sociaux et politiques du futur ?

L’idée de progrès qui nous anime, ne peut exister sans la foi absolue en notre capacité de transformer et d’améliorer les choses. Cet idéal ne sera une chance pour nos sociétés qu’à condition que le projet soit partagé, car sans réalité partagée, pas de vivre ensemble, pas de société.

Ainsi réfléchir à demain impose une concertation afin de définir non seulement un objectif commun mais avant tout, il me semble nécessaire de définir une méthode.

Si l’incertitude a fondé la recherche de vérité depuis Socrate, celle ci est de tout temps allée de paire avec un certain nombre de mythes, de“fake news“ , dont soit dit en passant, beaucoup continuent de s’accomoder en négligeant la vérité du moment que l’histoire reste plausible.

Oui, c‘est bien la remise en cause de nos certitudes qui a été le préalable de bon nombre de découvertes scientifiques, notamment médicales. La théorie des humeurs d‘Hippocrate a remplacé les explications divines dans l‘interprétation de la maladie, la découverte du monde microbiologique par Koch et Pasteur a révolutionné la compréhension des infections, la génétique avec Watson et Crick, bouleverse encore actuellement la compréhension de nombreuses maladies notamment cancéreuses, et révèle au final, petit à petit des opportunités de traitements non imaginées il y a seulement 20 ans...

Si l’incertitude reste une zone au sein de laquelle se trouve des contre-vérités, il ne faut pas oublier qu’on y trouve également : la vérité ! Cela nous amène à introduire :“petit p“...

Bien connue des scientifiques, l’incertitude peut être abordée par la variable « petit p » laquelle exprime la probabilité que le résultat attendu d’une étude soit le fruit du hasard... Dans le cadre d‘une étude comparative A versus B,“petit p“ traduit si la différence entre deux deux traitements ( un médicament A versus un médicament B) est significatif ou non... Plus“petit p“ est petit plus l’étude est puissante. Plus “petit p“ est grand, plus l’incertitude quant à l’interprétation du résultat obtenu est importante !

Ici l‘incertitude sert à valider ou pas, l’interprétation des résultats obtenus, et donc à faire avancer le progrés, progressivement mais plus robustement.

Prudence est encore une fois mère de toute les vertus. Le paradoxe de Pharmakon bien connu de tout thérapeute (le remède peut également se révéler poison), nous le rappelle tous les jours : seule une évaluation scientifique, impartiale, méthodique, pourra tirer les leçons des différentes expériences menées actuellement dans cette période de tatonnement. Et celà s‘applique également à nos prescriptions politiques, car ici également, la crise peut être le prétexte d‘administration curatrice idéalisée mais sans efficacité démontrée.

Faut-il nationaliser les entreprises pour éviter les faillites ou miser sur la destruction créatrice chère à Schumpeter ? Faut il prôner un endettement massif et dépenser sans limite pour relancer l‘économie ou faut-il une rationalisation des dépenses pour developper un modèle résilient et efficient ? Faut-il au nom de l‘état d‘urgence sanitaire contrôler chaque individus suspect de diffuser le virus, ou engager chacun à contrôler ses contacts en se protégeant au mieux que possible ? Faut-il confiner le maximum de personnes , ou se reposer sur un système de santé résilient disposant de suffisamment de lits de réanimation pour accueillir tout un chacun sans désorganisation ni angoisse liées au manque de ressources humaines, ou matérielles ? Qui peut sans recul prétendre disposer de la meilleure réponse face au fléau ? Qui peut négliger ces incertitudes ?

Hors du champ médical, reconnaître l’incertitude peut avoir d’autres intérêts.

En économie, Nicholas Bloom, Professeur d’économie à l’Université de Stanford a travaillé sur les incertitudes économiques. (Le poids de l’incertitude). Car cette crise sanitaire inédite, mettant à l’arrêt la production des biens et des services, mais également la demande des consommateurs, le cycle économique sera, à n’en pas douter , marqué par l’incertitude économique.

Avec Bloom, plusieurs paramètres macro et microéconomiques ont été agrégés afin de déterminer un indicateur “d’incertitude économique”. Ses travaux font ressortir que quelle que soit la manière dont peut être mesurée ou évaluée l’incertitude, certains faits peuvent être établis.

D’abord dans le temps : Au travers des différentes crises, du premier choc pétrolier de 1973 à la crise actuelle, en passant par la crise des sub-primes de 2008, l’impact des crises économiques a eu de plus en plus d’impact sur les incertitudes... Et plus l’incertitude augmente, plus il est difficile de sortir de la période de récession qui l’accompagne. Car pour sortir de cette spirale infernale, il convient de comprendre que lorsque le futur est incertain voir inconnu, la manière de réfléchir, de planifier, voir de chercher la réponse aux problèmes à affronter doit s’adapter, et doit reposer sur la définition de principes de base.

Ainsi allons au-delà de l’incertitude.

Reconnaissons d’abord avec humilité que l’incertitude existe. L‘incertitude peut être pesante, mais de l’incertitude, du doute, nait l’interrogation, nait la remise en cause d’anciennes vérités, nait une autre forme de savoir...

N‘acceptons jamais comme un fait établi une prescription miraculeuse que celà soit dans le domaine médical, économique, social ou politique, sans une solide argumentation scientifique. Sachons également, comme en médecine réevaluer nos préconisations, tant dans la recherche de ses effets secondaires, que dans leur efficacité finale. Cela est fondamental.

Acceptons ensuite la variable incertitude, en imposant une méthode pour communiquer et débattre de manière transparente, en imposant un travail collaboratif, en obligeant à faire circuler l‘information.

Sachons que l’incertitude modifie nos comportements, et qu’au final le stress induit par l’incertitude peut être plus paralysant sur le moyen terme que la douleur à laquelle nous devons faire face dans l’immédiateté.

Alors militons d’abord pour que cette période si singulière ouvre la voie à un changement de méthode dans l’élaboration de nos projets politiques. Refusons les idéologies partisanes, et hasardeuses.

Notre système de santé est un système complexe où l’ensemble des acteurs concernés : les patients, les professionnels de santé, les financeurs, interagissent en permanence ; il faut continuer de le revendiquer dans notre pays, librement.

Si le rôle de l’Etat est de servir et d’établir des règles de fonctionnement communes, l’Etat doit permettre à l’ensemble de ces acteurs de s’exprimer pour définir ce bien commun. L’Etat doit être au service de l’économie et non l’inverse. L’Etat doit veiller au respect de nos valeurs constitutionnelles à commencer par la liberté, sans négliger la précaution.

L’émergence du numérique nous montre comment repenser le futur des organisations humaines pour plus d’efficience. Savoir s’adapter au gré des circonstances, des facteurs économiques, sociologiques, technologiques mais également politiques est un impératif.

L’instabilité, l’incertitude, l’ignorance, l’idéologie, figent certaines organisations publiques ou privées notamment celles issues de la vieille économie industrielle, dans une inertie paralysante, ennemie redoutable d’une adaptation vitale.

Le système complexe impose d’être adaptatif.

Dans ce contexte réaffirmons sans préjugé idéologique, notre liberté comme base de fonctionnement des systèmes complexes adaptatifs, en posant comme simple exigence le profit du bien commun.

Ainsi, rejoignez-nous pour faire émerger un système de santé adaptatif en posant comme socle méthodologique trois piliers fondamentaux : compétence, autonomie et communication.

1-Compétences : La compétence c’est le savoir mis en action, c’est aussi la base de la prévention : on ne peut prévenir un risque que lorsque qu’il est identifié. Cela impose de vectoriser les compétences de tous horizons vers ceux qui sont capables de les valoriser de la manière la plus efficace. Développons des outils, pour améliorer les capabilités de chaque individus. Donnons-nous les moyens d’être compétents et développons une force sanitaire réactive, au nom du principe constitutionnel de précaution.

2-Assurons l’autonomie de chacun, en luttant par exemple contre les réseaux captifs et/ou exclusifs en laissant et assurant le libre choix de l’ensemble des acteurs de santé, lesquels auront naturellement tendance à trouver des solutions optimales, car sans cesse ré-évaluées , sans cesse ré-ajustées.

3-Installons enfin une communication efficace entre les usagers, les professionnels, les organismes de régulation, les financeurs du système de soins. L’information, la « data », sont les carburants du XXIéme siècle. L’information ne doit plus être pensée comme outil de pouvoir, d’asservissement, de contrôle. L’information doit être le moteur de l’émancipation.

Communiquer c’est d’abord échanger, c’est partager, c’est trouver des points communs pour convaincre, pour préserver notre vivre ensemble, et finalement pour satisfaire le seul besoin légitime et admis de tous : vivre mieux et plus longtemps !

“Sauvez la liberté, la liberté sauvera le reste ...” ( V. HUGO)