Le rapport THIRIEZ, enjeux d’une réforme de la haute fonction publique

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Le 25 avril 2019, le Président de la République a annoncé la suppression de l’Ecole nationale d’administration (ENA), voie royale pour tout jeune diplômé de Sciences Po ou de l’Ecole normale supérieure qui souhaite embrasser la haute fonction publique d’Etat. Critiqués pour leur déconnexion supposée avec la réalité du terrain, les hauts fonctionnaires sont ainsi parmi les victimes collatérales des gilets jaunes, mouvement de fond de la société française comme elle n’en avait pas connu depuis mai 1968.

Chargé par le Président MACRON de repenser dans sa globalité la sélection et la formation des futurs hauts dirigeants publics, l’ancien président de la Ligue de Football professionnel, avocat au Conseil d’Etat, Frédéric THIRIEZ devrait, dans quelques jours, rendre public son rapport après qu’il a déjà été renvoyé par deux fois à son rédacteur par un exécutif qui souhaite garder la main sur des conclusions qui feront date.

Même si les intentions initiales sont discutables, cette réforme est absolument nécessaire pour trois raisons.

Tout d’abord parce que la haute fonction publique n’est plus à l’image de la France. Si l’on se doit de protéger l’exigence méritocratique s’agissant du recrutement des cadres publics, la haute fonction publique ne peut se faire l’économie d’une réflexion sur l’absence de diversité dans ses rangs, alors que seulement 6 % des élèves de l’ENA étaient fils ou filles d’ouvriers au sein de la promotion 2019. Cette diversité n’est pas une question d’affichage. Elle est avant tout indispensable pour bâtir demain des politiques publiques innovantes qui dessineront une France compétitive et porteuse d’avenir qui n’oublie pas les exigences de justice sociale. Par ailleurs, la haute fonction publique est de moins en moins attractive, surtout pour les jeunes à haut potentiel, en témoigne la diminution du nombre de candidats qui présentent ces concours. Cette diminution se fait au détriment de la diversité et de la qualité des profils recrutés.

En second lieu, cette réforme est nécessaire parce qu’aujourd’hui, la formation de certains hauts fonctionnaires, notamment ceux de l’ENA, n’est plus adaptée aux enjeux de notre pays. Alors que celui-ci souffre d’une hypertrophie normative préjudiciable à l’économie et à la société, cette formation ignore trop fortement les problématiques concrètes de mise en œuvre de politiques publiques sur le terrain. Six mois de stage en préfecture et trois mois en ambassade ne sont pas suffisants pour que de futurs conseillers d’Etat appréhendent les conséquences concrètes des politiques qu’ils préconiseront. La future formation des hauts fonctionnaires devra donc inciter ceux-ci à mieux appréhender la réalité de ce que vivent les citoyens et les administrations déconcentrées ainsi que les collectivités territoriales, lorsqu’ils conçoivent les politiques publiques. Cet impératif appelle donc de facto à supprimer l’accès direct des meilleurs élèves de l’ENA aux grands corps de l’Etat afin que ces futurs hauts fonctionnaires se confrontent aux terrains avant d’accéder aux postes les plus prestigieux et les plus exigeants.

Enfin, cette réforme doit être menée à terme parce qu’elle est voulue par les Français. Il n’est pas de coutume de considérer que les citoyens ont toujours raison ; toutefois, leurs revendications doivent être écoutées, dans leur entièreté et avec beaucoup d’humilité. Nier les critiques contre la haute fonction publique et les repousser d’un revers de la main serait une erreur qui accentuerait la fracture entre le peuple, ses représentants et son administration. Ainsi, la réforme de la haute administration est avant tout nécessaire pour réconcilier les Français et leur administration.

L’attente est donc forte pour une réforme maintes fois évoquée ces dernières années mais jamais engagée, afin de bâtir une administration plus attractive, plus ouverte et toujours plus performante et attentive aux préoccupations des Français.

Toutefois,  si elle se doit d’être ambitieuse, cette réforme ne doit pas ébranler des fondamentaux qui fondent l’excellence et l’indépendance de notre administration, tant en matière de recrutement que de formation des futurs hauts fonctionnaires.

Si imparfait soit-il, le recrutement par concours doit être préservé. Il permet de mesurer l’excellence académique des candidats retenus et garantit le respect de l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Toutefois, la nécessité de diversifier le recrutement de la haute fonction publique et celle d’augmenter le nombre de candidats au concours externe, en chute ces vingt dernières années, appelle à repenser certaines épreuves, dans la droite lignée de la première réforme du concours de l’ENA en 2015 ; ainsi, en supprimant certaines épreuves techniques à l’oral d’admission et en rapprochant les standards du grand oral d’un entretien de recrutement professionnel plutôt qu’un oral de culture générale, cette première réforme du concours a permis de minimiser les biais liés aux épreuves dites « socialement discriminantes ». La future réforme devra poursuivre dans cette voie, en revoyant un concours qui favorise aujourd’hui les élèves des instituts d’études politiques (IEP), notamment celui de Paris, alors même que la fonction publique pourrait s’enrichir de talents venus d’autres filières. Il s’agira donc de placer correctement le curseur entre l’ouverture de ces concours à de nouvelles filières par l’intermédiaire d’épreuves à option (histoire, philosophie, informatique…) et le maintien d’un socle commun de connaissances dans les matières fondamentales (droit public, économie, questions sociales, finances publiques). Ainsi, la haute fonction publique s’enrichira de nouveaux talents sans pour autant diminuer la qualité de son recrutement.

Enfin, si le développement d’une culture commune aux trois fonctions publiques semble être une exigence absolue, selon la lettre de cadrage du Premier Ministre, l’introduction d’un tronc commun de formation avant l’entrée à proprement parler dans les différentes écoles (ENA, INET, EHESP…) ne devra se faire au détriment de la spécificité de chaque formation. A nouveau, il s’agira pour la future réforme de correctement placer le curseur afin d’inculquer aux élèves des valeurs et une culture commune, sans pour autant nuire à la qualité et à la durée de chacune des formations. Ainsi, les administrateurs territoriaux (INET) appelés à prendre des postes de direction dans les collectivités locales, en contact direct avec les élus locaux, doivent conserver une formation spécifique sur une durée suffisamment longue, tant les différences de métier avec un administrateur civil (ENA) sont grandes. Plus la durée du tronc commun sera longue, plus celle consacrée à l’apprentissage des aspects spécifiques du poste auquel accèdera à sa sortie d’école sera courte. S’il est retenu dans les préconisations, le tronc commun devra donc être d’une durée relativement courte afin de permettre aux étudiants d’être plus rapidement confrontés aux particularités de leur futur métier. La réforme doit donc maintenir un haut niveau de qualité dans les différentes formations, sans céder à la volonté sincère mais naïve de partage d’une culture commune, aujourd’hui encore mal définie au sein des fonctions publiques.

La haute fonction publique a donc le devoir de se réformer afin de s’ouvrir, de mieux prendre en compte les réalités du terrain et de rester attractive auprès des potentiels candidats, en conservant comme fil rouge deux nécessités absolues : exigence et excellence du recrutement et des formations.