Développement et enjeux de la répression de la fraude fiscale

Les fraudeurs fiscaux sont de plus en plus vilipendés par l’opinion publique. L’impunité, réelle ou supposée, qui semblait les tenir éloignés des enceintes judiciaires n’est plus.

L’impact économique de la fraude fiscale sur les finances de l’État est significatif, bien que le chiffre habituellement avancé de 60 à 80 milliards de gains manqués pour la collectivité ne soit fondé que sur le Rapport du Syndicat national Solidaires Finances Publiques, chiffre comprenant  la fraude à la TVA. Un chiffrage étatique se fait attendre pour mesurer avec précision l’efficacité de la répression et adapter les mesures de poursuites en conséquence.

Les affaires Thévenoud et Balkany ainsi que la mise en examen de Thierry Solère, sont autant d’exemples qui illustrent que la Justice semble désormais frapper de toute sa force les indélicats fiscaux.

Ce constat d’une sévérité accrue marque l’aboutissement d’un tournant législatif initié il y a quelques années. Conscients de la réprobation sociale croissante, le pouvoir exécutif et législatif se sont emparés de la fuite des deniers publics et les résultats sont aujourd’hui bien constatés.

Le législateur a augmenté les sanctions prévues pour le délit de fraude fiscale en moyenne tous les deux ans dans la décennie de 2010, délit trouvant son siège à l’article 1742 du Code général des impôts. Cette gesticulation législative est, à elle seule, inefficace pour enrayer la fraude aux deniers publics.

En la matière, l’évènement le plus marquant de la décennie est sans conteste la création du Parquet national financier en 2013 et qui, malgré des moyens insuffisants avec 18 magistrats, place sur le devant de la scène judiciaire la répression pénale des infracteurs fiscaux. 

Serait-ce l’âge d’or de la répression pénale de la fraude fiscale, son point d’orgue étant le placement en détention par mandat de dépôt d’un fraudeur fiscal ?

L’histoire de la répression relativise ce propos : dès le XIIIème siècle, des peines privatives de liberté frappaient les fraudeurs. Les sanctions pécuniaires n’étaient toutefois pas prévues. Plusieurs siècles plus tard, la période révolutionnaire marquera une rupture nette par la promulgation du décret du 21 mars 1790, abolissant toutes les peines attachées à la fraude fiscale.

La trêve ne dura qu’un an et le Code pénal de 1791 renoua avec la répression pénale : l’opposition violente à contrôle fiscal et le vol de deniers publics y furent incriminés. Le Code pénal de 1810 poursuivit cette logique avec l’édiction de l’infraction de rébellion contre les fonctionnaires chargés de percevoir l’impôt.

Il fallut finalement attendre le XXème siècle pour que le droit pénal fiscal s’attaque frontalement à la fraude à l’impôt. La loi du 1er juillet 1916 fut promulguée pour frapper les profiteurs de guerre. Quatre ans plus tard, la loi du 25 juin 1920 généralisa quant à elle le délit et l’article 1741 du Code général des impôts pris forme.

Ce n’est donc pas tant la volonté de réprimer les fraudeurs qui conduit à l’élaboration de ce texte, mais plutôt une logique budgétaire permettant de recouvrer les deniers publics.

L’application actuelle de l’article 1741 du Code général des impôts renoue désormais avec sa dynamique pénale initiale du XIIIème siècle. L’ambition législative est claire : les « affaires »  politico-financières, au premier rang desquelles l’affaire Cahuzac, ont durablement altéré la confiance des citoyens en leurs dirigeants. Les largesses et passe-droits ne sont plus tolérés.

La rupture de ce lien de confiance est encore plus prégnante dans un contexte de marasme économique. Les contestations sociales naissant en 2018 et se poursuivant en 2019 n’ont fait que réaffirmer le besoin de réponse pénale des contribuables. La justice pénale se fait alors, malgré elle, le prisme de la justice sociale.

Les magistrats doivent rester insensibles à la clameur publique réclamant justice et répression pour les fraudeurs fiscaux, ce qui n’empêche pas les citoyens de s’organiser pour s’emparer de ce sujet. C’est ainsi que les associations luttant pour la probité tentent d’investir les prétoires, avec plus ou moins de succès. Le législateur a cloisonné l’action de ces associations aux affaires de corruption, trafic d’influence et détournement de fonds publics, réduisant leur champ d’action. Elles doivent donc entrer par des portes détournées pour s’attaquer à la fraude fiscale. C’est ce qu’a fait l’association Anticor lorsqu’elle s’est constituée partie civile dans le procès des époux Balkany, poursuivis, entre autres, pour corruption.

Au-delà de cette initiative privée, l’État garde la main haute sur la répression de la fraude fiscale et ne souhaite manifestement pas perdre ce monopole. Toutefois le mécanisme du « verrou de Bercy », qui contraint à l’approbation par l’administration fiscale des poursuites pénales contre tous les fraudeurs fiscaux, a été assoupli. Depuis 2018, les dossiers où les droits fraudés sont supérieurs à 100 000 euros et 50 000 pour les personnes soumises à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique doivent être automatiquement transmis au procureur de la République.

Ce filtre étatique a contribué à l’exaspération des contribuables de par son opacité supposée et à faire prospérer le sentiment que les fraudeurs fiscaux pouvaient être mieux traités procéduralement que les délinquants de droit commun. Une tension apparaît alors entre le mécanisme de répression et la volonté des contribuables de s’assurer que l’État gère correctement ses finances, en ne leur faisant pas porter fiscalement le poids des fraudeurs.

Plus discrètement, la répression de la fraude fiscale ne se joue pas que devant les tribunaux, là où la clameur publique tonne et là où les médias se font l’écho des passes d’armes entre la défense et l’accusation. L’introduction en droit pénal français de plusieurs mesures alternatives aux poursuites a permis, en échange d’une réponse pénale plus rapide, d’éviter l’opprobre de la condamnation judiciaire sur place publique.

Il s’agit d’abord de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, initialement inapplicable à la fraude fiscale, qui s’ouvre à cette infraction depuis la loi du 24 octobre 2018.

C’est aussi, et surtout, la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), créée en 2016. Elle permet des négociations approfondies entre le procureur et la défense et vise à sanctionner, sans pour autant reconnaître la culpabilité, des faits de fraude fiscale commis par une personne morale. Encore une fois, la logique poursuivie est avant tout de recouvrer les sommes fraudées en un temps réduit. À cela peut éventuellement s’ajouter la mise en place d’un programme de conformité au sein de l’entreprise sujette à la CJIP.

Quel bilan retenir, fin 2019, de ces avancées en matière de répression ?

La volonté initiale de rétablir les finances de l’État a été couplée, voire supplantée, par l’ambition de sanctionner plus durement les fraudeurs fiscaux et de mettre fin au parfum d’impunité. La pratique du « Name & Shame », consistant à mettre sur place publique le nom des fraudeurs fiscaux, se développe et la condamnation morale semble plus dissuasive que la condamnation pécuniaire. L’alourdissement des peines et les coups d’éclat médiatique des personnalités se soustrayant à l’impôt braquent  le projecteur sur les fraudeurs et accélèrent la répression. La répression appelle alors à la répression et cette dynamique de sévérité pénale s’entretient d’elle-même.

Reste donc à savoir à quel moment le corps social et le législateur considéreront que la répression sera suffisante et proportionnée à la gravité de la fraude fiscale. Faudra-t-il attendre qu’elle soit entièrement résorbée pour stopper l’emballement des lois pénales la réprimant ?