CR conférence avec Pascal Perrineau - L'essoufflement démocratique
Le 21 octobre 2020, le Cercle Orion a eu le plaisir de recevoir Pascal PERRINEAU dans le cadre du cycle de rencontres organisées en partenariat avec le CEVIPOF.
Pascal PERRINEAU est agrégé de de science politique, professeur associé à Sciences Po ; directeur du CEVIPOF entre 1994 et 2013, M. PERRINEAU est politologue. Il a marqué le débat politique français, et a engagé le CEVIPOF en tant qu’observateur central de la vie politique française. En particulier, il incarne une science politique qui s’ouvre à d’autres disciplines. Il est l’auteur d’œuvres majeures, Désenchantement démocratique (2003) et du Syndrôme Le Pen (1997), et a fait entrer dans le débat public certaines notions d’envergure majeure, tels que le gaucho-lepénisme.
Il a été garant du Grand Débat National en 2019, et est Président de Sciences Po Alumni depuis 2016.
Alexandre MANCINO a rappelé l’ambition du Manifeste pour le monde d’après, dans l’héritage duquel s’inscrivent ces rencontres avec le CEVIPOF ; en particulier, il nous était proposé d’échanger avec Pascal PERRINEAU autour de la partie Politique, dense et centrale. Elle évoque des thématiques riches ; la crise de la démocratie représentative, l’implication citoyenne, ou la décentralisation. A ce titre, il a encore une fois remercié le CEVIPOF, et en particulier son Secrétaire général Florent PARMENTIER, présent ce soir, de cette collaboration fructueuse et passionnante.
En guise de propos liminaire, Pascal PERRINEAU a rappelé qu’il incombait aux jeunes générations de faire preuve d’imagination politique, pour dessiner l’avenir commun. En particulier, cette imagination doit s’inspirer de la créativité dont font preuve les territoires, au travers d’initiatives innovantes et originales. L’installation du Laboratoire d’innovations politiques au sein du Cercle Orion répond à cette exigence. M. PERRINEAU l’a d’ailleurs saluée.
M. PERRINEAU a d’abord montré comment un cycle que venait de traverser la démocratie venait de s’achever. Ce cycle, débuté après la Seconde guerre mondiale et pour rompre avec les atrocités commises au cours des années 1930 et de la Guerre, a permis d’optimiser les performances économiques et sociales des États notamment. Ce sens de l’Histoire, a commencé à osciller dès les années 1990, peu après la publication de La fin de l’histoire de F. Fukuyama (1989).
Depuis, nos démocraties sont atteintes d’un déficit de confiance, qui lui sont nuisibles. Notre avenir politique proche devra répondre au défi de la restauration de la confiance, qui subit une crise extrêmement sérieuse. Cette confiance est pourtant essentielle au fonctionnement de notre vie politique : pour reprendre l’abbé Sieyès, « si le pouvoir vient d’en haut, la confiance doit venir d’en bas ». En outre, la Cinquième République est un régime démocratique qui centralise les pouvoirs dans les mains de l’exécutif.
Le malaise démocratique que nous subissons se manifeste par différents symptômes. D’abord, l’abstention démocratique très élevée est le signe, outre d’un désintérêt de la chose publique, d’une perte de lien avec les décideurs. Par exemple, seuls 12% des Français déclarent avoir confiance dans les partis politiques.
Aussi, les Français ne se sentent plus représentés, par des corps intermédiaires en déclin. Si ce déclin a débuté avec la Révolution française, qui entendait y mettre fin, ce phénomène franco-français de désert entre les gouvernés et leurs dirigeants anesthésie l’action publique, devenue impuissante. Les partis ne sont plus qu’exsangues, et pareils à des clubs, seulement aptes à distribuer des investitures en temps d’élections. La disparition des corps intermédiaires ne se limite pas au champ politique mais atteint aussi le champ professionnel : seuls 8% des salariés sont aujourd’hui syndiqués.
De ce fait, les pouvoirs publics semblent impuissants à remplir leurs missions, et à protéger les citoyens contre les défis actuels ; le Gouvernement paraît impuissant à lutter contre le réchauffement climatique, à réguler les flux migratoires, ou à rassurer les citoyens contre l’insécurité. A ce titre, l’action publique peut sembler tel un théâtre d’ombres frappé d’impuissance.
Aussi, la boussole politique que représentait le clivage gauche-droite, inventé par la France s’estompe et souffre de désuétude alors que de nombreux enjeux le tiennent en échec. Par exemple, la position vis-à-vis de l’Union européenne.
Ainsi semble émerger et s’installer dans nos consciences une « Société de la défiance », que décrivait Yann Algan.
Cette défiance tourne au ressentiment, qui peut même aller jusqu’à conduire à la haine du politique. Par exemple, certains Gilets jaunes écrivaient en guise de slogan « Nous refusons la discussion et la représentation ».
Dès lors, notre système politique souffre d’une fragmentation démocratique, alors que les démocraties représentatives, participatives, et directes ne se retrouvent plus. Les orientations dessinées par les pouvoirs exécutif et législatif, la Convention citoyenne sur le climat, ou les Gilets jaunes semblent antinomyques.
Alors, trois perspectives semblent se dessiner.
La pire nous conduirait vers « un hiver de la démocratie », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Guy Hermet publié en 2007. Si l’on a toujours adopté une ambition positive de la démocratie, celle-là pourrait aussi sombrer. Par exemple, entre 30 et 40% des Français demandent un homme fort dont les prérogatives dépasseraient le Parlement et les élections. De nombreux signaux faibles sont révélateurs de poussées dangereuses.
La France pourrait aussi potentialiser ses racines saint-simoniennes, et privilégier ainsi « l’administration des choses au Gouvernement des hommes ». La technocratie travaille une culture française en mal d’experts. Toutefois, la crise sanitaire pourrait démontrer que le recours aux administrations ne constitue en rien la panacée.
Enfin, sur une touche plus optimiste, nous devrions tendre à démocratiser la démocratie, en s’inspirant notamment de la « démocratie continue » chère à Dominique Rousseau.
Ainsi, un contrepoids parlementaire à la puissance de l’exécutif devrait être considérée. Une nouvelle vague de décentralisation doit être inaugurée, afin de garantir davantage de confiance aux territoires et à leur agilité démocratique, que la crise sanitaire a prouvée.
Il nous appartient aussi de repenser les articulations entre les différents exercices qu’appelle la démocratie. Si la démocratie participative n’a pas à être substituée à la démocratie représentative, elles doivent davantage converger, et être complémentaires, la seconde éclairant la première. Le rôle du Conseil économique, social et environnemental (CESE) doit être approfondi, mais il n’est peut-être pas la seule clé de résolution.
Aussi, nous devons renouer avec l’exercice référendaire qui permet l’expression de la démocratie directe. L’usage plébiscitaire doit être exclu, tant il fausse les desseins du référendum ; c’est pourtant une dérive habituelle de ces pratiques.
Ainsi, si des menaces pèsent sur la confiance que l’on porte au système démocratique, il nous appartient d’inventer cet avenir collectif, et d’inventer un nouveau souffle démocratique.