Préface Bertrand Badie - Manifeste pour le Monde d'après - Y a-t-il une vie après le coronavirus ?

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                   La question lancinante de « l’après », si souvent formulée tout au long de la crise sanitaire que nous traversons, a tout de la question-piège. D’abord, parce que rien n’indique de façon certaine que cette crise, pourtant éprouvante, bouleversera nos structures présentes. Ensuite, parce qu’aucun changement n’est possible sans une volonté politique de l’entreprendre : il n’est pas sûr que cette volonté anime les acteurs politiques contemporains, ni surtout qu’ils aient les ressources de confiance nécessaires pour entreprendre ce « new deal ». Enfin, l’aspérité est évidente : le changement attendu ne se limite plus aujourd’hui au cadre national, comme c’était le cas jadis quand il importait de concevoir une nouvelle étape politique ou sociale : la rupture dont on a besoin est, cette fois-ci, internationale et suppose donc une improbable harmonie, mobilisant, dans un même cortège de réformes, Donald Trump, Jair Bolsonaro, Xi Jin Ping et Vladimir Poutine : on croit rêver s’il ne s’agit pas tout simplement d’un des cauchemars les plus épais jamais produits par la science-fiction !

                     Partons tout de même d’une évidence : si notre monde ne change pas, si ce « new deal » n’est pas élaboré, nous pouvons tenir pour certain que le XXI éme siècle enchaînera les malheurs et les tragédies. La peur et l’utilité ont déjà accompli un beau travail dans l’histoire : elles ont forcé à agir ceux qui, à l’époque, se seraient volontiers contentés de paresser dans le statu quo. Sans l’une et l’autre de ces vestales, nous n’aurions jamais connu ni la construction européenne, ni les Nations unies, ni la décolonisation, ni peut-être même la démocratie… La peur, cette fois, fut forte, puisqu’instillée, presque en même temps, dans la chair de chaque habitant, ou presque, de la planète. L’utilité peut paraître manifeste, tant l’échec des politiques publiques d’Etat fut manifeste, au moins dans la prévention du cataclysme !

Dans ces conditions, les directions d’un vrai changement sont, elles au moins, faciles à définir : j’en suggérerai trois. La première amène logiquement à repenser l’idée même de sécurité, pierre angulaire de toute construction politique. On a clairement découvert que celle-ci ne se construisait plus désormais en termes de sécurité nationale, mais bel et bien en termes de sécurité globale. La menace ne vient plus d’un ennemi, elle n’est plus le fait d’un stratège et ne cible pas un territoire précis, mais l’humanité toute entière, solidaire et anonyme. La conséquence est claire : la nouvelle défense n’est plus principalement nationale ni militaire, mais mondiale, intégrée et sociale. La deuxième direction fait écho à cet appel unanime à la protection sociale, très audible tout au long de ces dernières années de mobilisation populaire, comme dans les chroniques de la crise du COVID 19. Alors que le néolibéralisme avait reléguée cette revendication au rang des gros mots, la vulnérabilité sociale des nations, quelles qu’elles soient, est devenue un fait indiscutable qui, loin d’être égoïste, conditionne directement la survie des Etats et de leur économie. Celle-ci n’est plus première et doit rentrer dans le rang : les décennies à venir marqueront ainsi la revanche de la sociologie ! Enfin, preuve a été apportée que le néonationalisme n’avait décidément rien à vendre pour faire face à ces crises nouvelles : réduit aux tweets et à la vocifération, il a perdu, là où il était au pouvoir (Etats-Unis, Brésil, Grande Bretagne…) dans des proportions pires qu’ailleurs et qui portent à méditer sur sa réelle identité, plus protestataire que capable de gouverner!

                    Le temps donc d’une mondialisation habillée, réglementée, accompagnée est donc venu : le paradoxe voudra que nous aurons fait connaissance avec celle-ci dans la douleur alors que nous semblions l’ignorer ou mal la connaître dans les temps qui précédaient : espérons que ce sera aussi un moyen de l’apprivoiser et de nous réformer !