Intelligence Artificielle et Santé : l’heure de la révolution ?

Si dans le domaine médical, le 20e siècle fut celui de la révolution antibiotique avec la découverte de la pénicilline qui a permis de sauver tant de vies, celui qui vient sera sans aucun doute celui de l’intelligence artificielle (IA).

L’apparition  de ce nouvel outil il y a quelques années pose de facto les bases d’un changement total de paradigme pour la médecine et la santé en général. En effet, la puissance de calcul des ordinateurs, les capacités de recueil et d’analyse des données ouvrent des perspectives dignes des romans d’anticipation les plus ambitieux et prêtent aux rêves les plus fous. Cependant, comme à chaque éclosion d’innovations d’ampleur et qui plus est, dans le domaine de la santé, des questions éthiques se posent : la confidentialité des données d’abord, les applications pratiques de ces nouvelles pratiques médicales ensuite. Autant de sujets sensibles prompts à enflammer les débats à l’orée des discussions sur la révision de la loi de bioéthique qui se tiendront avant l’été.

L’IA est objectivement en train de bouleverser la médecine et la façon dont on appréhende le diagnostic médical. De fait, l’accès à des dizaines de milliers de données grâce au Big Data et la capacité décuplée d’analyse de celles-ci grâce au Deep Learning permettent chaque jour de nouvelles avancées, notamment dans le diagnostic des cancers, aujourd’hui première cause de décès dans le monde.

A titre d’exemple, le partenariat signé par l’Institut Curie avec la société Owkin, spécialiste de l’IA, pour améliorer l’efficacité de l’analyse anatomo-pathologique des biopsies donne des résultats prometteurs avec une amélioration notable de l’acuité des diagnostics. Autre exemple, une étude du prestigieux MIT déclare avoir obtenu, toujours grâce au Deep Learning, une prédiction du cancer du sein jusqu’à 5 ans avant sa formation. Ces illustrations témoignent du concret des applications possibles et de la révolution en marche. Les diagnostics de demain seront plus précoces, donc les traitements plus aisés, plus efficaces et moins coûteux.

Par ailleurs, le Big Data et l’IA sont au cœur de la médecine prédictive et personnalisée promise pour demain. Loin des fantasmes transhumanistes, ces avancées permettront bientôt de déterminer pour chacun les risques et prédire la survenue de telle ou telle pathologie et ainsi apporter un suivi puis le cas échéant, un traitement personnalisé et d’autant plus efficace. Déjà aujourd’hui, les immunothérapies agissent avec succès sur des mutations génétiques précises après des recherches personnalisées du génome.

D’autre part, le suivi sera facilité par le développement d’applications à la disposition de tous. La société Apple ne vient-elle pas de doter sa montre connectée d’une application ECG permettant d’enregistrer et analyser son rythme cardiaque avec une fiabilité déconcertante ? L’intelligence artificielle permettra ainsi au patient d’être le premier acteur de sa santé et au final de conserver sa place au centre du dispositif.

Mais alors quelles limites pour cette technologie florissante et prometteuse ?

Aujourd’hui des sociétés privées proposent un séquençage ADN personnalisé en six semaines à partir d’un peu de salive. Depuis plusieurs années, les GAFA investissent en masse dans ce nouveau marché porteur faisant craindre une marchandisation des données de santé et la confiscation de la technologie par des élites. Cette situation résume à elle seule tout le débat éthique autour de l’IA… 

De fait, les Etats doivent se saisir au plus vite de la question afin de créer un cadre politique et légal aux applications de l’IA en Santé. La confidentialité des données qui doit être absolue et non négociable, l’accessibilité des technologies qui doivent à terme rester accessibles au plus grand nombre, les bornes éthiques à poser dans les applications innovantes à venir. Autant de questions qui attendent des réponses claires.

Les gouvernements doivent s’engager mais jusqu’à quel point ? Le député Cédric Villani qui a présidé une mission parlementaire et élaboré un rapport remis au Président de la République en mars 2018 milite pour « éviter une sur-réglementation qui (…) exposerait à une perte de maîtrise sur les évolutions désirables de notre modèle de santé »1. En d’autres termes, il exhorte à ne pas trop légiférer afin de laisser le système s’approprier cet outil merveilleux qu’est l’IA. Il est à noter que l’IA peut être effectivement un moyen extraordinaire de « rehumanisation » du système de santé en permettant au praticien de se recentrer sur le patient en laissant de coté les tâches répétitives et chronophages.

L’équilibre entre l’envie d’encadrer une technologie évoluant à (très) grande vitesse et la  nécessité de protéger la liberté d’innover est toujours instable et épineux.

Il est à espérer que les débats sur la loi de Bioéthique aideront à y apporter un début de cadre lors de sa révision, qui à cet égard comme à d’autres, seront des plus passionnants et passionnés.

1- Donner un sens à l’intelligence artificielle. C.Villani. Rapport de Mission Parlementaire. Mars 2018