Éditorial - L’Archipel France

Du 09 au 11 février dernier, le président de la République a réuni une quarantaine de chefs d’Etat pour prendre des engagements pour la préservation des océans dans le cadre du “One Ocean Summit” organisé à Brest. Outre l’engagement personnel du président MACRON sur la diplomatie climatique, le fait que ce sommet se soit déroulé en France n’est pas un hasard. 

            En effet, la France, plus qu’un bel alliage entre cimes et vallées, entre métropoles historiques et villages de cocagne, est avant tout un véritable “archipel” : la France maritime est environ vingt fois plus étendue que la France terrestre, formant avec ses 11.6 millions de kilomètres carrés, la deuxième plus vaste zone économique exclusive (ZEE) du monde. Or, pendant très longtemps la dimension marine de la France a été oubliée. RICHELIEU disait pourtant : “Les larmes de nos souverains ont souvent le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée”

            Or, depuis 2020, nous avons un ministère de la Mer, incarnée par Annick GIRARDIN, originaire de Saint-Pierre-et-Miquelon. Ceci incarne la prise de conscience aux plus hauts sommets de l’Etat de l’enjeu majeur que constitue les espaces maritimes : lieu de tensions géopolitiques, de compétition économique, mais aussi sentinelle du dérèglement climatique. 

            C’est pour cela que je vous propose dans cet édito d’humer les embruns iodés des vagues françaises, se fracassant dans tous les océans, avec pour boussole le bel et riche ouvrage de l’actuel ambassadeur aux pôles et enjeux maritimes, Olivier POIVRE D’ARVOR, Voyage en mers françaises (Ed. Place des Victoires, 2022). Larguez vos amarres pour une navigation en eaux parfois vives, mais garanti sans mal de mer. 

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Les espaces maritimes, riche d’une biodiversité marine ou insulaire à couper le souffle, sont aujourd’hui de nouvelles alarmes quant aux dévastations causées par le dérèglement climatique et, plus largement, l’activité anthropique.

             La biodiversité marine est aujourd’hui aussi prolifique qu’en danger. Certaines de nos îles sont le havre d’espèces rares et fragiles : coraux néo-calédoniens, albatros d’Amsterdam sur l’île du même subarctique éponyme, pétrel de Barau au large de La Réunion, etc. Au total, plus de 1.5 million d’animaux marins meurent chaque année, en ingérant des micro-plastiques que les hommes déversent dans les eaux. En outre, les espaces marins sont clefs dans la régulation climatique : l’océan est en effet une véritable éponge à chaleur et à carbone. Or, les océans se réchauffent, ce qui perturbe le différentiel thermique nécessaire à la constitution des courants structurants pour le climat occidental comme le Golf Stream ; les océans s’acidifient, par équilibre chimique avec le CO2, ce qui par exemple fragilise les récifs coralliens.  Et tout cela sans compter la prolifération d’espèces envahissantes comme les algues sargasses dans les Antilles, ou la propagation de marées noires, comme récemment sur les côtes péruviennes.

            Fort de cette situation, le droit international a cherché progressivement à limiter ces atteintes. C’est lors du fameux Sommet de Rio (1992) que la grande majorité des états-membres de l’ONU ont adopté la convention sur la diversité biologique (CDB) qui va notamment créer le statut d’aires marines protégées. Sa révision de 2010 vise une couverture de 10% des espaces maritimes en aires protégées. Plus ambitieuse, une soixantaine de pays porte cet objectif à 30% d’ici 2030. Le président de la République a alors annoncé à Brest l’atteinte d’ores et déjà de cet objectif par la France, grâce à l’extension de la réserve marine dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), qui atteindra 1 million de kilomètres carrés. 

Gisement de ressources plurielles, la mer garantit une “économie bleue” aussi riche que concurrentielle.

            Près de 100 milliards d’euros d’activité par an pour la France, 3 000 milliards de dollars par an à l’échelle mondiale estimés pour l’année 2030, rien que pour le transport maritime, multiplié par plus de vingt en tonnage en un demi-siècle : autant dire que l’économie bleue n’est pas négligeable ! L’économie de la mer est bien sûr aussi composé de la pêche : près de 180 millions de tonnes de poissons sont pêchés chaque année, dont plus de la moitié en eau vive. Secteur majeur puisque la moitié des habitants de la Terre se nourrissent de fruits de la mer.

En outre, avec la numérisation du monde, les fonds marins se pavent de manière croissante de câbles de télécommunications, qui canalisent 98% des échanges numériques internationaux.   

          Le principal défi pour la communauté internationale est la protection de la haute mer, couvrant la moitié de la surface de la Terre et n’étant la propriété d’aucun Etat, conformément à la convention de Montego Bay sur le droit de la mer (1982). La lutte contre la sur-pêche et la pêche illégale, défendue au sein de l’Union européenne (UE) dans le cadre de la politique commune de la pêche (PCP), doit être renforcée à l’échelle internationale : alors que, chaque année, 11 à 26 millions de tonnes de poisson sont pêchées de manière illégale, pour une valeur allant de 10 à 23 milliards de dollars, 90% de ces pratiques sont responsables de périls sociaux du fait du travail illégal et de la fragilisation d’économies de pays insulaires en développement selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Ce fut un des axes de réglementations internationales dans le cadre des “Engagements de Brest”.      

Les mers et océans du monde constituent des terrains de conflictualités, conséquence d’une géopolitique moins pacifiée, mais aussi des dérèglements climatiques et des compétitions économiques.

            Les instruments de droit international de la mer sont nombreux, autour de l’Organisation maritime internationale (OMI), mais ils n’empêchent les contentieux et autres échauffourées de plus en plus nombreux (et inquiétants). En Méditerranée orientale, le conflit de délimitation des eaux territoriales entre la Turquie d’une part, et la Grèce et Chypre d’autre part, sont anciennes et ont connu une nouvelle actualité durant l’été 2020. En effet, la Turquie conteste la délimitation actuelle des eaux grecques et chypriotes (de surcroît avec la découverte des gisements gaziers dans le domaine maritime chypriote), dans le cadre de la vision turque de “Patrie bleue”. En mer de Chine méridionale, les contentieux maritimes sont nombreux, alors que la Chine pour artificiellement étendre sa ZEE “poldérise” la zone. Tout cela dans un contexte où l’Indo-pacifique sera le cœur des tensions géopolitiques du XXIe siècle.

            Il faut ajouter à ce climat électrique - et on sait que l’eau et l’électricité ne font guère bon ménage - les données environnementales et économiques actuelles. S’agissant du dérèglement climatique, le GIEC prévoit une montée du niveau de la mer de 1.20 mètres d’ici la fin du siècle, ce qui entraînerait 300 millions de déplacés climatiques, ainsi même que la disparition d’îles-Etats comme l’archipel des Tuvalu. De plus, la fonte très rapide de la banquise arctique dégèle de nouvelles voies commerciales, mais aussi s’accompagne d’une militarisation de cette zone polaire. S’agissant de l’économie bleue, le câblage des océans peut donner lieu à de l’espionnage massif par des puissances malveillantes. La stratégie des routes de la soie de Pékin se décline aussi en mer, d’où l’acquisition ou la construction de ports chinois au Pakistan (Gwadar), en Méditerranée (Le Pirée, Grèce) ou sur les côtes africaines, ce qui suscite des craintes politiques. 

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Alors que, d’ici 2025, 75% de la population mondiale résidera à moins de 75 kilomètres de côtes, le président de la République déclarait en 2019 que “le XXIe siècle sera maritime”. La France, du fait de son espace maritime aussi gigantesque que grandiose, aussi vaste que beau, doit prendre ses responsabilités. Une diplomatie “bleue” qui affirme sa présence militaire dans tous les océans grâce à ses îles, qui défend un usage des ressources respectueux des hommes et de la planète, qui sanctuarise les espaces naturels havres d’une biodiversité aussi rare que fragile. Pour reprendre une espérance de l’ambassadeur Olivier POIVRE D’ARVOR, en guise de conclusion de son Voyage en mers françaises“le blue power au service de la pax maritima” ainsi que de la préservation de la beauté des ondes. Le Cercle Orion, au sein de l’écosystème agora, entend faire de cet enjeu-monde (littéralement) que sont les espaces maritimes un de ces combats phares. 

 

Je voyais dans ce vague où l’horizon se noie / […] Des continents de vie et des îles de joie” — Alphonse DE LAMARTINE, “Les Voiles”, Œuvres posthumes(1873).