L’exclusion partielle de la Russie de SWIFT, Austerlitz financière ou harakiri de l’Occident ?
SWIFT pour Society for Global Interbank and Financial Communications – un équivalent du SEPA européen liant 200 pays, plus de 11 000 banques, 11 milliards d’ordres de paiement en 2021, soit le principal réseau de traitements des transactions interbancaires dans le monde.
Cet outil financier, souvent méconnu du grand public, est revenu sur le devant de la scène ces derniers jours après l’exclusion de sept banques russes comme condamnation économique face à l’invasion de l’Ukraine. Jusqu’à aujourd’hui, cette sanction avait été mise en œuvre uniquement face à l’Iran, Cuba et la Corée du Nord. Déjà évoquée par les dirigeants politiques depuis l’annexion de la Crimée en 2014, elle a été actée le 26 février par l'Union européenne et ses alliés occidentaux (États-Unis, Royaume-Uni et Canada) et sera effective le 12 mars.
Exclure SWIFT de la Russie, une arme à double tranchant ?
Une arme financière massive
Ces établissements bancaires « sont les premiers concernés par le financement de l'effort de guerre » de Moscou en Ukraine, selon un responsable européen. Une telle action a ainsi pour but premier d’affaiblir l’avancée de l’armée russe en Ukraine et de ralentir l’intensité de la progression. Au total, 80% du système bancaire russe sera touché, directement ou indirectement, par cette sanction.
La Russie, qui en est le deuxième utilisateur principal après les États-Unis, va voir un ralentissement important de ses échanges avec le reste du monde, et notamment l’Occident, les analystes prédisant une chute de 8% du PIB. Selon Ursula von der Leyen: « Cette action empêchera les banques d'effectuer la plupart de leurs transactions financières mondiales et, par conséquent, les exportations et importations russes seront bloquées ».
Sur le principe, « la sanction est supposée créer une situation économique tellement dégradée qu’elle va conduire la population à faire pression sur les dirigeants ». (Fanny Coulomb et Sylvie Matelly). Plus pragmatiquement, il est à craindre que la situation politique en Russie, compte tenu des sanctions envers la population en cas de rébellion, n’engendre pas un tel mouvement rationnellement attendu. Au contraire, elle pourrait même engendrer l’inverse.
Des conséquences de long terme désastreuses
L’efficacité de cette mesure peut être valablement questionnée. Par le passé, les sanctions économiques n’ont pas souvent porté leurs fruits face aux conflits géopolitiques.
Selon une étude de 2012 du centre de recherche Watson Institute qui a analysé 56 épisodes entre 1992 et 2012, les résultats souhaités ont été atteints dans 31% des cas. Lorsqu'il s'agit d'infléchir la politique d'un adversaire leur efficacité tomberait à 13%. Le précédent iranien est parlant : le pays a continué à enrichir de l’uranium malgré les sanctions.
Au-delà, cette sanction est une arme à double tranchant économique. Une entreprise européenne, par exemple, ne pourra plus passer par ce système pour acheter des matières premières par exemple à une entreprise russe ; ce qui freinera également les secteurs le plus dépendants de la Russie comme l’agriculture, les hydrocarbures, etc., et in fine une inflation, notamment énergétique, touchant les utilisateurs finaux. Ceci explique les réticences initiales de l’Allemagne, très dépendante en gaz, à mettre en place cette action.
Enfin, la Russie, qui avait déjà créée son propre système interbancaire SPFS, pourrait renforcer encore davantage ses relations financières avec la Chine, qui dispose aussi d’une plateforme CIPS lancée en 2015, ce qui l’isolerait encore davantage de l’Occident, laissant planer la menace d’un nouveau rideau de fer. Ainsi, l’hégémonie du dollar, pourrait être remise en cause dans l’ordre économique mondial.
Quelle conclusion ?
Une coalition des pays européens et internationaux face à cette situation insoutenable, est bien évidemment primordiale et doit passer par tous les moyens que ces derniers ont à disposition. Cependant, il est nécessaire de prendre du recul sur les conséquences de long-terme que l’ensemble des actions prises pourrait engager, l’écueil dramatique étant de tomber de Charybde et Scylla.
Encore une fois, nous insistons sur la nécessité pour l’Union européenne d’acquérir son indépendance énergétique pour être libre de prendre les choix politiques et diplomatiques permettant le maintien de la démocratie sur son territoire et pour prévenir les menaces extérieures. Cette indépendance ne pourra passer que par le développement massif de la filière nucléaire au côté des sources d’énergies renouvelables.