EDF : martyr de l’État-actionnaire juge et parti ?

Le 13 janvier dernier, le gouvernement a décidé de relever le plafond de l’ARENH, autrement dit le volume d'électricité qu'EDF devra céder à prix coûtant à ses concurrents pour les secourir de l'explosion des prix de marché. Plus concrètement, EDF devra céder 120 TWh par an au prix de 42 euros par MWh (peut-être 46,2 euros par MWh), son plafond ayant été relevé de 20 TWh pour l’année 2022.

Sur le plan financier, l’équation est aujourd’hui a priori aberrante : alors que le prix spot avoisine actuellement les 175 euros par MWh en France, cette mesure pourrait amputer EDF de 7,7 à 8,4 milliards de chiffre d’affaires en 2022 selon l’entreprise. Résultat sans appel : le prix de l’action a dévissé de plus de 20% depuis l’annonce de l’État (et de 70% depuis son introduction en bourse), de quoi porter directement atteinte aux actionnaires minoritaires d’EDF : « Les actionnaires minoritaires sont lésés financièrement par une communication politique, pour le moment non suivie d’effet, d’un acteur public également actionnaire majoritaire d’EDF, et par la confusion des rôles d’État régulateur et d’État actionnaire », ont écrit lundi les deux fonds d’actionnariat salarié à l’AMF.

Selon l’État, ce surplus d’électricité bradé est censé « protéger le pouvoir d’achat des Français et préserver la compétitivité de l’approvisionnement électrique des entreprises ». Si cette décision repose sur le fondement social légitime de permettre l’accès à ce bien indispensable à tous (ou presque), il n’en demeure pas moins qu’elle reste fortement condamnable sur le plan politique, d’autant plus qu’elle a été annoncée à quatre mois des élections présidentielles (nous faisons le choix de ne pas commenter cet aspect par la suite).

La difficulté qui se pose tient au fait que l’État cumule différentes fonctions : il cherche à générer de la rentabilité, mais aussi à assurer son rôle de protection des citoyens. Par conséquence, il doit savoir jongler avec des intérêts très souvent contradictoires.

Ce cumul est critiquable au titre d’une forme de « schizophrénie » de l’État actionnaire : comment peut-on être à la fois juge et parti, Maigret et Salomon pour reprendre la forme de Robert BADINTER ?

I.  Cette situation est issue de la vague de privatisation des années 2004-2005

Dans le cadre de la loi du 1er juillet 2004 sur l'ouverture à la concurrence du marché européen de l'électricité pour les professionnels, le Conseil des ministres a approuvé le changement de statut des entreprises EDF et GDF et accepté le principe d'une ouverture de capital. EDF et GDF ont alors abandonné le statut d'Établissement Public à caractère Industriel et Commercial (EPIC), instauré par la loi du 8 avril 1946, au profit de celui de sociétés anonymes à conseil d'administration. Cette décision est alors actée par la loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières qui prévoit l'ouverture du capital d'EDF et GDF mais précise que l'État doit détenir au minimum 70% du capital et du droit de vote des entreprises.

Au même moment, l'État procédait à la privatisation du motoriste aéronautique Snecma, fusionnant avec la Sagem pour former le groupe Safran et des sociétés d'autoroutes SANEF, SAPRR et ASF. Il cédait également de nouvelles parts de France Télécom, passant sous la barre symbolique des 50%.

II.   Une position oxymorique engendrant des incohérences profondes

Jusqu’aux début des années 2000 la France avait fait de sa puissance nucléaire un modèle de compétitivité tant sur le point économique qu’écologique avec une empreinte carbone relativement faible et une électricité abondante et peu chère. Mais depuis, ce modèle est totalement à l’arrêt avec des réacteurs vieillissants et défaillants faute d’investissements et du retard dans la nouvelle génération d’EPR. L’ancien colosse énergéticien, quant à lui, voit sa performance chuter d’années en années, la faute très certainement à l’échec de prise de décisions et de réformes assumées par les gouvernements successifs.

En effet, l’État, alors actionnaire majoritaire d’EDF à hauteur de 84%, ne sait pas toujours sur quel pied danser, ce qui a alors pour effet de brouiller le message, un pas en avant deux pas en arrière. Petit tour d’horizon de quelques contradictions …

Une entreprise doit répondre à une logique de marché, ajustant ses prix en fonction de l’offre et la demande. Or, l’État a pu décider unilatéralement, de bloquer les prix de l’électricité pour protéger le pouvoir d’achat des citoyens français, allant à l’encontre même de lois du marché et en contrairement à la notion d’intérêt social de l’entreprise. Selon Jean-Marie Chevalier, « les problèmes d'EDF ont commencé au milieu des années 2000, lorsque l'État, pour préserver le consommateur, a décidé de ne plus augmenter les tarifs réglementés de l'électricité, alors que les coûts de gestion et de maintenance n'arrêtaient pas de croître ».

Enfin, sur le volet industriel ne rattrape pas celui économique. En effet, « l’État est un piètre actionnaire car il est faible, démuni, désemparé et désuni ; il multiplie les strates au lieu de simplifier et de rationaliser son intervention ; il manque de vision industrielle » comme le rappelle Vincent de la Vaissière.

L’EPR de Flamanville en est le douloureux exemple : retard, échec technologique, dépenses considérables.

Enfin, sur le volet industriel ne rattrape pas celui économique. En effet, « l’État est un piètre actionnaire car il est faible, démuni, désemparé et désuni ; il multiplie les strates au lieu de simplifier et de rationaliser son intervention ; il manque de vision industrielle » comme le rappelle Vincent de la Vaissière. L’EPR de Flamanville en est le douloureux exemple : retard, échec technologique, dépenses considérables.

Et aujourd’hui, dernière en date, le plafond de l’AREHN. Cette mesure décale in fine à nouveau le problème sans l’adresser directement. En effet, les montants « économisés » par les utilisateurs aujourd’hui, apparaîtront très certainement sur leurs impôts dans le cas d’une recapitalisation de la société. Cela étant d’autant plus injuste que le prix payé à terme ne sera pas fonction de son utilisation d’électricité.

EDF est aujourd’hui l’amplificateur des contradictions que nous observons aussi dans d’autres sociétés sous giron étatique ; mais pourquoi pas en profiter pour en faire le nouveau modèle d’un État actionnaire renouvelé ? Un État stratège, régulateur ou incitateur ?

III.  À terme, il nous faut repenser la place de l’État dans EDF

Proposition 1 : À court terme, repenser la gouvernance

Dans une note de la fondation iFRAP publiée en 2017, Philippe François critique violemment la gouvernance de reproduction étatique au sein d’EDF : « Nommée par le gouvernement, la majorité des administrateurs est issue du secteur public, largement aux ordres, et ne constitue pas une véritable force de réflexion, de proposition, d’alerte et de remise en cause éventuelle de la politique du gouvernement ou de l’entreprise ». Si un seul membre du Conseil d’administration représente effectivement l’État directement - Martin Vial en tant que directeur de l’APE - il n’est reste pas moins que la majorité d’entre eux (en omettant les représentants des salariés) sont issus, par leur formation ou leur parcours professionnel, du secteur public directement.

Aussi, nous pensons que les statuts devraient rendre obligatoire une majorité de membres « totalement indépendants », qui seraient directement issus du secteur privé et avec des compétences et expériences plus variées dans l’énergie au sens large. Ces derniers pourront alimenter davantage la stratégie industriel du groupe sur le long-terme et évinceront partiellement les sujets de « cuisine politique », débouchant très souvent sur des demi-mesures, manquant d’efficacité.

Proposition 2 : Scinder EDF en deux 

      Nous pensons que l’État ne peut plus jouer un rôle à deux visages, tel Janus, dans une seule et même entité. Aussi, il lui faut réserver son rôle de protection des citoyens dans une société à part entière et laisser à des actionnaires plus « classiques » la gestion d’une seconde entité, dont le rôle serait de développer des services et des nouvelles technologies.

Ainsi, la première entité, détenue totalement par l’État aurait pour objectif de maintenir le parc actuel en l’état pour permettre la production d’électricité pour tous, sans chercher à faire de profit. 

La seconde entité serait détenue majoritairement par des actionnaires privés, lesquels pouvant investir davantage pour développer les innovations et produire les solutions de demain. A ce titre, cette société pourrait être cotée pour faire appel plus facilement à du capital en cas de fort besoin en investissement. 

Si un projet équivalent (le projet Hercule) a été lancé en 2018, l’aval de l’Union Européenne a été le point d’échec, le renvoyant directement aux calendes grecques. Eu égard de l’évolution actuelle de la situation, nous pensons que le gouvernement devrait renouveler ses arguments pour se montrer plus convaincant à Bruxelles et aller au bout de cette mesure, ou la restructurer pour implémenter enfin un plan de survie de l’énergéticien.

Bibliographie :

https://www.reuters.com/article/france-presidentielle-industrie-idFRL6E8FH98020120418

https://www.lopinion.fr/economie/edf-les-neuf-peches-capitaux-de-letat-actionnaire-contre-son-entreprise

https://lexpansion.lexpress.fr/entreprises/edf-les-sept-erreurs-de-l-etat-actionnaire_1785934.html

https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000831/le-changement-de-statut-d-edf-gdf.html

https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/edf-les-actionnaires-minoritaires-vent-debout-contre-l-intervention-de-l-etat-902650.html