La Biélorussie : quelle politique européenne mener face à un Est menaçant ?

La crise migratoire à la frontière orientale de l’Europe où la Pologne, la Lituanie et la Lettonie rencontrent la Biélorussie, latente depuis cet été et exacerbée depuis novembre, est la dernière tentative du régime dictatorial biélorusse élaborée afin d’éprouver la solidité des liens qui unissent les 27 Etats membres de l’Union européenne (UE). Après avoir réprimé les manifestations qui dénonçaient sa réélection frauduleuse en 2020, détourné un avion de ligne de la compagnie Ryanair pour arrêter un opposant, menacé ses voisins qui accueillent sur leur sol des opposants à son régime, le président biélorusse Alexandre Loukachenko a décidé de risquer l’affrontement armé à sa frontière avec la Pologne et la Lituanie. La Biélorussie est d’autant plus confiance dans ses menées qu’elle est soutenue en sous-main par la Russie, État avec lequel elle est en union théorique et qui souhaite rendre ce rattachement effectif.

Quelle est cette la teneur de cette menace croissante à la frontière orientale de l’Europe et quelle position les États membres de l’Union européenne peuvent-ils adopter?

 

I.         La Biélorussie, ex-république soviétique et dernière dictature d’Europe, traverse depuis 2020 une remise en cause profonde de son régime autoritaire qui l’a conduite à se rapprocher de la Russie en rupture avec sa stratégie d’équilibre entre Est et Ouest

A.    La Biélorussie est en proie à une crise politique profonde depuis plus d’un an et sa population est en proie à une répression brutale

 

Le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, est à la tête du pays depuis 1994. Après avoir été élu démocratiquement élu, il a rétabli les symboles du pouvoir soviétique, de la faucille et du marteau au plus sinistre KGB, et instauré un pouvoir autocratique. Depuis cette date, aucune alternance n’a eu lieu et la Biélorussie est désormais considérée comme la dernière dictature d’Europe. 

La situation a cependant connu un revirement important à l’occasion de l’élection présidentielle du 9 août 2020 devant ouvrir le sixième mandat de Loukachenko, conçue pour exalter avec des scores staliniens le président en place. Même si son score officiel de 80,8 % fait jeu égal avec les résultats électoraux soviétiques, l’engouement qui avait porté la campagne de l’opposition, représentée principalement par la femme d’un candidat emprisonné, Svetlana Tikhanovskaïa, a menacé le pouvoir en place qui a dû recourir de manière encore plus éhontée qu’à son habitude au trucage du vote. C’est pourquoi d’importantes manifestations ont éclaté dans les grandes villes biélorusses, notamment dans la capitale de Minsk, afin de dénoncer l’issue du scrutin, demander la démission du président et des mesures plus symboliques comme la restauration du drapeau de la république biélorusse de 1918, la « pahonia ». Ces protestations ont été rapidement écrasées dans la violence par les forces de sécurité et des milliers de personnes ont été incarcérées. 

En dépit de cette répression impitoyable, qui a forcé dès le 11 août 2020 l’opposante Tikhnovskaïa à fuir la Biélorussie par peur des représailles, les défilés et les marches de protestation ont continué pendant plus de six mois avant de s’atténuer. Néanmoins, la dissidence existe toujours dans et hors du pays.

 

B.    Un régime qui n’a pas eu d’autre choix que de se rapprocher de la Russie pour survivre

La répression qui s’est abattue sur le pays à partir d’août 2020 a mené à son ostracisme sur la scène internationale alors que la Biélorussie était en voie de réintégration suite aux efforts de Loukachenko pour se rapprocher de l’Union européenne, afin de faire pendant à l’encombrant voisin russe. Ainsi, de nouveaux régimes de sanctions ont été mis en place ou d’anciens renforcés, notamment par les États européens et par les États-Unis. Mis au ban par la plupart des pays, Loukachenko n’a eu d’autre choix que de se tourner vers la Russie pour demander son assistance économique et diplomatique. Or, il s’agit d’un allié encombrant obsédé par l’unification des deux pays et duquel le président biélorusse avait essayé par le passé de s’éloigner. En effet, un traité d’union avait été signée en 1997 entre ces deux voisins et Vladimir Poutine n’a eu de cesse que de le faire mettre en application, en attirant notamment la Biélorussie dans l’Union économique eurasiatique, créée en 2013 par la Russie comme pendant à l’intégration européenne. 

Le rapprochement entre Minsk et Moscou s’est notamment manifesté par la signature de plusieurs accords de convergence économique, comme en septembre 2021, censés relancer le processus d’intégration des deux nations. En échange de cet engagement, Alexandre Loukachenko a obtenu un soutien sans faille de la Russie sur les plans diplomatique et militaire, comme les derniers exercices conjoints « Zapad-2021 » l’ont montré en mobilisant plus de 100 000 hommes sur le sol biélorusse. Si la Biélorussie espérait encore il y a quelques années jouer l’équilibriste entre l’Union européenne et la Russie, force est de constater que le pays est désormais fermement et sans aucune ambiguïté arrimé à la puissance russe. 

 II.        Le soutien des Etats européens aux opposants en exil exacerbe les tensions avec le régime biélorusse et doit conduire à approfondir la coopération européenne en matière diplomatique et de défense

 

A.    Le soutien des pays voisins à la dissidence biélorusse a fait naître une crise migratoire sans précédent aux frontières orientales de l’Union européenne

 

La Lituanie et la Pologne sont liées à leur voisin biélorusse par une longue histoire, toujours visible aujourd’hui par la présence d’une minorité polonaise représentant 4% de la population biélorusse et par l’attachement des manifestants biélorusses à la « pahonia », le blason du Grand-Duché de Lituanie qui a englobé pendant près de cinq siècles le territoire actuel de la Biélorussie. Ce symbole a été choisi comme emblème de la résistance du peuple biélorusse au régime de Loukachenko.

Ces liens profonds expliquent que ces deux pays membres de l’Union européenne depuis l’élargissement de 2004 ont accueilli à bras ouverts les opposants biélorusses pourchassés par leur gouvernement et forcés à l’exil. Ainsi, la candidate de l’opposition à la présidentielle, Svetlana Tikhanovskaïa a trouvé refuge en Lituanie en août 2020 d’où elle continue à soutenir l’opposition biélorusse. Cette dernière agit désormais comme la présidente en titre de la Biélorussie et se fait recevoir en tant quel tels par les nombreux pays n’ayant pas reconnu la victoire du président sortant en 2020, dont la France et les autres États membres de l’Union européenne.

L’accueil offert par la Lituanie et la Pologne aux dissidents biélorusses a conduit à considérablement détériorer leurs relations, ainsi que celles des autres membres de l’UE, avec la Biélorussie. En plus des rodomontades habituelles d’Alexandre Loukachenko, ce dernier a pris une attitude plus offensive en menaçant de couper l’approvisionnement européen en gaz russe transitant par son territoire, en détournant un avion de ligne reliant la Grèce à la Lituanie afin d’arrêter un opposant en exil ou bien, plus récemment, à faire venir des vols charters de migrants originaires du Moyen-Orient en Biélorussie en leur offrant de rejoindre l’UE. Cette dernière action, entreprise au début de l’automne 2021, a conduit la Pologne à instaurer l’état d’urgence à sa frontière avec la Biélorussie, à mobiliser son armée dans le but de bloquer le passage des migrants soutenus matériellement par les forces armées biélorusses. Cette crise fait même peser la perspective d’un affrontement armé, ce qui a conduit à l’envoi de contingents militaires de soutien en Pologne par le Royaume-Uni et l’Estonie. 

 

B.    Les pays européens doivent mettre de côté leurs différends, se montrer solidaires des pays menacés, ainsi qu’accélérer leurs préparatifs pour renforcer l’agence Frontex et mieux intégrer leurs dispositifs militaires

 

La crise migratoire machinée par le gouvernement Loukachenko met en difficulté les pays soutenant les dissidents biélorusses et pose la question de la solidarité que l’UE peut afficher avec ses États membres menacés. Cette question intervient à un moment compliqué puisque la Pologne est un des deux États avec la Hongrie engagés dans un bras de fer avec la Commission européenne et certains États membres sur la question du respect de l’État de droit. Cette querelle est la résultante de plusieurs réformes judiciaires en Pologne ayant notamment concerné la nomination des membres de la Cour Suprême du pays et de plusieurs décisions récentes de cette même Cour remettant en cause la primauté du droit européen sur celui national. La Biélorusse a su profiter de cette division des États européens en choisissant soigneusement la date de déclenchement de son offensive.

Face à cette menace, les États membres de l’UE ont su jusqu’à maintenant faire fi de leurs querelles afin de soutenir la Pologne. Cette solidarité visible sur le plan diplomatique doit perdurer sans afficher de faille. En revanche, les dispositifs communautaires aujourd’hui en place ne permettent pas d’assister convenablement ce pays et la Lituanie. C’est le cas de l’agence Frontex, basée à Varsovie, qui n’a pas finalisé sa montée en puissance actée en 2016 et n’est pas encore préparée à gérer une crise migratoire instrumentalisée par un pays tiers. Si les Français et les Européens souhaitent préserver l’espace de libre circulation qu’est Schengen, ils doivent préparer les dispositifs en place à cette nouvelle réalité. Le besoin de constituer une force militaire européenne de dissuasion est également souligné par cette crise et doit inciter à hâter le renforcement des structures en place comme l’Initiative européenne d’Intervention créée en 2018 dans le but de renforcer l’interopérabilité des armées des 13 pays impliqués. En prenant acte du désinvestissement programmé des États-Unis du continent européen, les États d’Europe de l’Est frontaliers de la Biélorussie et de la Russie non encore membres doivent se joindre à cette initiative. 

Pour conclure, la crise suscitée par la situation politique en Biélorussie aux portes orientales de l’Europe ne doit pas être perçue comme un simple événement isolé mais bien comme la continuité d’une tentative bien plus vaste de tester la capacité des États européens à se montrer solidaire des pays situés aux frontières extérieures de l’UE. La solidarité européenne doit être sans faille aujourd’hui et être rapidement approfondie en matière de coopération diplomatique et militaire afin d’être en mesure de répondre aux défis que pose la Biélorussie aujourd’hui et, à travers elle, la Russie qui se fait de plus en plus menaçante à l’Est.