Éditorial - Afghanistan : le choix de la raison

S’extraire de la « politique de l’émotion »: un impératif intellectuel

« Choc », « effroi », « honte ». Voilà, les mots qu’aura inspirés la toute récente allocution du Président Macron, alors que Kaboul venait de tomber aux mains des talibans. Les siens de mots, ne passent visiblement pas. L’électorat se déchaîne, la classe politique se déchire, et le débat s’hystérise tandis que le chef de l’État affirme une nécessité : l’humanité, oui, mais pas sans fermeté.

L’effondrement d’un régime, la détresse de femmes, la peur d’hommes, le désespoir de tout un peuple sont autant d’éléments dont on aurait raison de s’émouvoir.  On ne peut que le constater du même regard « amer » que la chancelière Merkel. Face à ce que beaucoup n’hésitent déjà pas à qualifier de « désastre humanitaire » (rappelons que c’est plus de 550 000 Afghans qui auront fui le précédent régime taliban), c’est bel et bien l’honneur de la France que de prêter son assistance. C’est aussi, dans une certaine mesure, de sa responsabilité, et elle entend pleinement l’assumer.

Pourtant, d’aucuns n’hésitent pas à grossièrement réduire la question afghane à des considérations aussi simplistes que celles opposant « pro » et « anti » immigration, d’un côté des « traitres à la nation », de l’autre des « sans-cœur ». Le discours du Président Macron qu’on a voulu présenter comme empreint de cynisme l’est en fait de réalisme, et refuse ce manichéisme. Le message est clair : protéger les plus menacés d’abord, travailler de concert avec les voisins européens et avec les pays limitrophes ensuite.

 

Pour remédier au désastre humanitaire : une solidarité française réfléchie

Révoltés et courroucés de tous bords gagneraient à laisser de côté la politique de l’émotion et du sensationnalisme alors que tournent en boucle sur nos écrans les images du désespoir de la population afghane pour considérer des chiffres. Depuis 2018, c’est dans 89,9%[1] des cas que la France accorde la demande d’asile aux ressortissants Afghans, et l’on comptabilise aujourd’hui en France près de 35 000 citoyens afghans sous quelque forme de protection. Enfin c’est bien de « quelques milliers de personnes à exfiltrer » que parle sans pudeur le secrétaire d’État français aux Affaires européennes Clément Beaune, alors que près de 300 personnes seraient déjà arrivées en France depuis le 16 août au soir…

Proclamer à tout va humanisme et fraternité ne mène pas bien loin si les actions ne suivent pas, et ce n’est pas en matière de solidarité que la France a de leçon à recevoir.

Pour autant, un accueil inconditionnel et aveugle ne peut être envisageable, n’en déplaise aux indignations des lanceurs d’alertes. Force également de constater que si la fraternité est bien une valeur française, ce n’est pas le cas de l’entretien conscient de trafics humains : si la convention de Genève fait de nombre d’Afghans des victimes, un nombre encore plus important risque d’abord d’être victimes de ces réseaux de passeurs prospérant en temps de chaos. Enfin, l’on ne saurait reprocher à un État souverain sa lutte pour préserver son intégrité́ territoriale, sans pour autant s’empêcher d’accueillir tout artisan du progrès et de la liberté.

 

Face à la crise : la nécessité d’une réponse européenne robuste et cohérente

Le reconnaître est moins faire preuve d’indécence que de la lucidité nécessaire à la réflexion, à la recherche de solutions durables et humaines, à l’écart de toute démagogie électoraliste. Pour cela, il convient de tirer les leçons de 2015, année qui aura vu l’Europe se déchirer sur la question migratoire : c’est sans conteste un des grands échecs de notre Union que de n’avoir pu élaborer de politique commune de l’asile.

La cohérence européenne doit aussi se traduire dans son attitude face au nouveau régime taliban en place, afin de traiter le problème à sa source, plutôt que de se contenter de vivre avec ses manifestations. Rappelons en ce sens qu’en 2020, l'aide internationale nécessaire au fonctionnement de l’Afghanistan représentait 43% de son PIB, et Angela Merkel aura annoncé le 17 aout le gel du versement des aides allemandes. Elle exprime ainsi à « ceux qui optent pour la guerre, l’obscurantisme et la violence aveugle qu’ils font le choix de l’isolement » pour reprendre le fameux discours.

En définitive, celui-ci aura bien permis d’affirmer qu’au-delà de l’urgence, la France restait fidèle à ce qui faisait qu’elle était France : Fraternité, cohérence, responsabilité et souveraineté.

[1] En se basant sur les chiffres fournis par l’Elysée à l’AFP