Éditorial - L’abstention, l’échec de la décentralisation et de toute la classe politique

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Vous n’avez peut-être pas voté aux dernières élections. Il est même plus probable que vous n’ayez pas voté. A 65,7%. Peut-être même faites-vous partie de ces électeurs rabroués par Marine Le Pen du fait de ne pas s’être déplacé pour les élections de juin. Comme si finalement, Marine Le Pen était une créancière et l’électeur son débiteur. 

Marine Le Pen se trompe : ce n’est pas en molestant son électorat, même acquis à sa cause, qu’on le fait voter pour son parti. Il faut s’interroger sur les raisons profondes qui induisent ce choix. Concernant le Rassemblement national (RN), les raisons sont vites trouvées : aucun discours audible durant la crise sanitaire ; aucune analyse fine et pertinente de l’actualité ou nos enjeux et une incompétence de ses cadres-dirigeants. Ne reste alors plus que le positionnement du RN qui séduit une large partie des Français, mais qui ne suffit désormais plus pour les convaincre de voter en masse pour le parti. 

Néanmoins, réduire ces régionales à l’abstention de l’électorat RN serait une erreur. Certes, les Français n’avaient l’esprit occupé qu’à retrouver une vie normale et sont préoccupés par leurs libertés, leurs emplois et leur santé mais est-ce une explication suffisante ? Les quelques 65,7% d’abstention au second tour symbolisent une claque à tous les partis et à notre décentralisation. 

A notre décentralisation : les Français ont-ils un intérêt à voter pour des élections qui, fondamentalement, ne changent rien à leur vie ? Ni notre système institutionnel ni les candidats n’ont réussi, de facto, à démontrer l’utilité de ces élections. Évidemment, l’utilité est réelle, mais permet-elle vraiment de changer une destinée individuelle ou collective à l’instar des élections présidentielles ? Rien n’est moins sûr tant nous n’avons pas daigné nous déplacer voter, alors même que les élections locales avaient pour vocation de créer une démocratie de proximité, plus proche du citoyen. Un cinglant échec d’une décentralisation appelée à être largement repensée. 

A nos partis politiques : LREM n’est pas un parti, LR cherche sa ligne politique nationale, le RN constate beaucoup mais propose peu, et la gauche ne sait plus qui elle est ni quel courant de pensée épouser.

Alors oui, reste la prime aux sortants. Impossible de dire si leur bilan est positif ou négatif tant les Présidents de Région semblent interchangeables. Soyons honnêtes : le visage de l’Occitanie va-t-il vraiment être chamboulé si Carole Delga est ou non réélue à sa tête ?

Le problème est donc adressé : quel impact ont ces élections et l’offre politique sur le quotidien des Français ? Faible, manifestement. Un tel problème n’est toutefois pas irrémédiable. 

En effet, la décentralisation doit désormais acter un nouvel volet : celui de l’impact. C’est en remodelant les prérogatives régionales et départementales et en rendant visible l’action publique que nous pourrons montrer à nos concitoyens l’intérêt de l’élection et de la décentralisation, qu’il ne voit pas aujourd’hui. 

Le deuxième mal est plus profond, et est relatif à notre personnel politique. Laurent Delahousse, lors d’un débat post-élections régionales, disait « commencer à comprendre les Français », sous-entendant leur absence des bureaux de vote. Nous les comprenons tous, et il suffit pour cela de regarder les débats politiques des années 1970-80 pour se rendre compte de l’abaissement généralisé du débat d’idées et d’une grande partie du personnel politique. Aujourd’hui, l’offre politique est éclatée et des sujets tels que « les sapins de Noël dans les villes » ou « le sexisme du Tour de France » occupent malheureusement le débat public. 

Les Français, nous en sommes convaincus, demandent un cap, une vision et une hauteur de vue de la part de leur classe politique. Ils leur demandent de construire un monde nouveau, audacieux, qui parle de la même manière aux riches et aux pauvres, aux nouveaux arrivants comme aux plus anciens. Cette hauteur de vue n’est pas présente dans le débat public, et annonce une campagne présidentielle intellectuellement chaotique et calquée sur le modèle américain.  L’abstention historique et massive doit être le sursaut de notre classe politique pour enfin proposer, dès 2022, des choix de société clairs, assumés et rassembleurs qui pourront réconcilier les Français avec l’élection et leur démocratie.