L'éclatement de l'industrie bancaire européenne est-il une faiblesse ?
La crise liée au Coronavirus que nous traversons aujourd’hui n’a pas épargné le secteur bancaire européen et a eu un impact fort sur le cours de bourse des banques européennes. L’ensemble du secteur européen a baissé : en octobre 2020, l’indice global Eurostock baissait de 45 %. Les cours des banques françaises telles que BNP Paribas et Crédit Agricole ont baissé respectivement de 42 % et de 45 %. La plus forte baisse est attribuable à Société Générale qui a vu son cours de bourse baisser de 64 % depuis le début de l’année 2020. En Europe, les autres banques ne sont pas épargnées : le cours de bourse de la banque espagnole Santander a baissé de 58 %, tandis que les banques allemandes font mieux, avec Commerzbank qui a vu son cours baisser de « seulement » 22 % et Deutsche Bank qui a même connu une remontée de 4 %. Cette bonne performance des banques allemandes s’explique notamment par une récession de l’Allemagne attendue d’environ -5 %, moins élevée qu’en France
(-8,5 %) et en Espagne (-10 %). Ainsi, le coût du risque des banques est plus faible en Allemagne, et donc avantageux pour elles.
Malgré cette très forte chute du cours de bourse pour la majorité des banques européennes, leur bilan n’a jamais été aussi solide. En effet, depuis les réformes du comité de Bâle 3 de 2010, complétées par celles de 2017, les banques dites systémiques doivent conserver davantage de fonds propres de qualité élevée afin de faire face à des pertes imprévues. Cette réforme fait suite à la crise financière de 2008 qui avait conduit à une crise sans précédent du secteur financier, et qui avait énormément fragilisé les banques européennes, faisant intervenir la BCE pour les aider en leur apportant la liquidité nécessaire.
Aujourd’hui, le système bancaire européen reste très fragmenté : les coûts des banques sont élevés et leurs investissements dans les nouvelles technologies sont faibles.
Ainsi, l’éclatement de l’industrie bancaire européenne est effectivement une faiblesse. Afin de répondre à ce problème, différentes propositions sont mises sur la table. (i) Pour tenter de faciliter les rapprochements, la Commission européenne pousse à la création du « troisième pilier » de l’union bancaire : une garantie européenne des dépôts bancaires[1]. (ii) En outre, l'ABE, l'agence de l'Union Européenne (UE) chargée de mettre en œuvre un ensemble de règles visant à réglementer et surveiller le secteur bancaire dans tous les pays de l'UE, a pour objectif de créer un marché unique des produits bancaires efficace, transparent et stable dans l’UE[2].
En outre, les banques européennes ont pris la mesure de deux changements très importants dans les années à venir : la transition digitale et la transition énergétique, qui sont clairement définies dans leur raison d’être. A titre d’exemple, la raison d’être de Société Générale est la suivante : « Construire ensemble, avec nos clients, un avenir meilleur et durable en apportant des solutions financières responsables et innovantes »[3]. Récemment, la banque a rattaché son département RESG (Resources and Innovation Department Group) directement au Directeur Générale afin de mettre l’accent sur la transition digitale. En effet, cette transformation digitale des banques fait partie de leur stratégie, avec des interrogations sur la qualité des réseaux bancaires, là où le tout digital n’est pas forcément souhaitable pour une franche de la population française qui n’a pas accès aux infrastructures adéquates. La banque des territoires a récemment déployé un plan de relance pour le très haut débit qui va dans le sens de la sécurisation des infrastructures numériques[4].
Le paysage bancaire européen actuel voit émerger des consolidations domestiques de banques de petites et moyennes tailles : en Espagne, Caixa banque et Bankia ont fusionné, pour former un groupe bancaire d’une taille de bilan de 650 Mds€ au total. Il existe également un certain nombre de petites banques en Espagne, dont le total du bilan est proche des 45 Mds€. Nous sommes cependant encore loin des bilans des banques systémique européennes : en comparaison, Société Générale a un bilan total de 1400 Mds€.
Aujourd’hui, la consolidation en banque de détail dans un marché domestique fait du sens car elle permet de dégager une capacité d’investissement et d’avoir des effets de taille dans un environnement compliqué de taux bas qui risque de durer. En effet, le solde courant des banques à la BCE doit être d’environ 50 Mds€, ce qui signifie que les banques doivent dépenser environ 50 Mds€ par jour (solde courant), et là-dessus les banques ne payent que 0,5 %, en dehors d’une petite franchise. La fusion des réseaux de banque de détail de Société Générale et du Crédit du Nord en décembre 2020 est une forme de consolidation domestique de réseaux qui appartiennent au même groupe, avec un rythme d’exécution plus faible que si Société Générale décidait par exemple d’acheter une autre banque qu’elle ne connait pas. Cela fait du sens dans des pays morcelés, comme l’Espagne et l’Italie, et potentiellement en Allemagne, qui est un pays avec beaucoup de fragmentation.
Cependant, la consolidation de grandes banques européennes dites systémiques telles que BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale en France est un sujet beaucoup plus complexe avec la réglementation actuelle. Suite à la crise financière de 2008, les régulateurs restent toujours très attentifs. Même si les réformes de Bâle de 2017 doivent entrer en vigueur à partir de 2022, repoussées notamment en raison de la crise du Coronavirus[5], rien ne se passera dans un environnement encore trop incertain sur les règles du jeu.
Dans le cas d’une fusion entre deux banques d’un même pays, si on considère la valeur future des prêts immobiliers ou des prêts aux PMEs ou bien encore les actions d’une banque à une autre, cela reste pareil : si le cours monte, les deux acteurs sont bénéficiaires, et si le cours baisse, les deux perdent. En revanche, cela devient plus complexe dans le cas où les banques proviennent de pays différents avec des valorisations différentes, notamment puisque les valorisations relatives dans les règles du jeu futur peuvent varier beaucoup. C’est une équation qui est donc beaucoup plus difficile à exécuter, et qui n’intéressera de toute façon les banques que lorsqu’il y aura plus de visibilité sur l’Union bancaire, et plus de clarté sur les règles du comité de Bâle. Cette réflexion sur la consolidation du système bancaire européen prendra encore plusieurs trimestres, notamment en raison du retard engendré par la crise actuelle du Coronavirus en Europe.
En octobre 2020, le Directeur Générale de Société Générale Frédéric Oudéa organisait un Webcast à destination des collaborateurs de la banque et se disait ouvert à la logique de faire émerger de grands champions européens, en faisant participer Société Générale. En effet, le Groupe est un des acteurs de la place qui a de belles synergies et qui peut regarder des opportunités. Son ADN est d’avoir des ambitions qui dépassent les frontières, ou bien en France dans les régions. Dans quelques années, le Groupe est prêt à voir si une consolidation est possible en créant de la valeur pour l’ensemble des parties prenantes. Société Générale souhaite faire partie des grands champions européens le cas échéant, mais, comme le précise Frédéric Oudéa, cela ne peut également jamais voir le jour.
En conclusion, nous considérons qu’une émergence future de grands champions européens, suivie d’une fusion de banques plus domestiques et plus nationales, concentrées sur les réseaux de banques de détails, est une solution afin de prévenir la faiblesse de l’industrie bancaire européenne.
Afin de promouvoir un capitalisme responsable et de faire face aux enjeux de digitalisation et de finance « verte », deux enjeux actuels et futurs très importants pour les banques européennes, nous recommandons une consolidation du système bancaire européen avec la création de grands acteurs bancaires européens, qui permettra également une meilleure maîtrise des risques, selon les exigences du comité de Bâle 3.
[1] Le Monde, novembre 2019 : « La faiblesse persistante des banques européennes »
[2] Site internet de l’ABE : https://www.eba.europa.eu/languages/home_fr
[3] Raison d’être de Société Générale : https://www.societegenerale.com/fr/le-groupe-societe-generale/identite/raison-d-etre
[4] Publication Linkedin du Groupe Caisse des Dépôts : https://www.linkedin.com/posts/groupe-caisse-des-d%C3%A9p%C3%B4ts_numaezrique-banquedesterritoires-thd-activity-6764545918441148416-J5fQ
[5] Les Echos, mars 2020 : « Coronavirus : les régulateurs reportent la réforme bancaire de Bâle 3 au niveau mondial »