Les nouvelles formes de monétisation : les crypto-monnaies
La crise de la Covid-19 a dévoilé les forces de nos institutions, comme la Banque Centrale Européenne (BCE) qui a été très réactive via les aides apportées aux États de l’Union Européenne (rachat d’actifs, soutien au marché des capitaux, taux bas accordés aux banques de financement, liquidés accordées aux entreprises, etc.). Cette création monétaire massive de la BCE pour éponger les pertes causées par la crise et éviter que la récession ne se creuse d’avantage, essentielle sur le court terme, peut cependant conduire à la perte de confiance des agents économiques dans la monnaie.[1] Il y a à peine 10 ans, personne ou du moins peu de personnes connaissaient les crypto monnaies. Cependant, au cours de cette décennie, nous avons vu des bulles spéculatives autour des crypto monnaies comme en 2017, et de nouveau depuis aujourd’hui suite à la crise de la Covid-19 (le bitcoin est à 54 000 dollars mi-février 2021). Ainsi, nous pouvons nous demander si les crypto monnaies sont une nouvelle forme de monétisation et, si oui, dans quelle mesure elles sont fiables. Permettent-elles de renforcer l’action menée par le BCE et le système des banques centrales ou sont-elles au contraire une menace ?
Il est important de comprendre la crainte naissante en notre monnaie actuelle. C’est ce que précisent Patrick Artus et Olivier Pastré dans leur nouvel ouvrage « L’économie post-Covid ». Le concept de « fuite de la monnaie » évoqué peut prendre plusieurs formes. Tout d’abord, une politique monétaire d’expansion massive peut inciter les populations à convertir leur monnaie en une autre devise, impliquant une dépréciation du taux de change (Forex) d’un écart considérable entre l’inflation et le taux de change. Ensuite, les agents économiques peuvent essayer de se débarrasser de la monnaie en achetant d’autres actif financiers (actions, obligations, ou même les crypto monnaies).
La Banque Centrale Européenne et l’euro numérique
La BCE souhaite réagir vite face à cette crainte croissante et ne pas perdre son indépendance mais au contraire renforcer sa souveraineté face aux États-Unis et la Chine en testant l’euro numérique. L’euro numérique serait l’équivalent de la monnaie européenne, l’euro, sous format numérique. Elle serait une crypro monnaie stable, mais limitée dans ses usages. Par cette iniciative, l’Europe monte au créneau face aux offensives des puissances technologiques comme les États-Unis avec le LICRA (crypto monnaie développée par Facebook).
Mais comment en sommes-nous venus à créer une crypto monnaie ? Selon la BCE, avant même qu’il y ait eu la crise de la Covid-19, cela vient entre autres de la baisse constante des échanges en argent liquide. Le ministre de l’Économie, de la Finance et de la Relance Bruno Le Maire explique très bien dans son dernier ouvrage « L’Ange et la Bête – Mémoires Provisoires » la responsabilité et l’impact des décisions politiques monétaires : pour avoir de la croissance, il ne suffit plus d’injecter des milliards d’euros de liquidités dans l’économie. Seule la décision politique et une croissance tirée par des gains de productivité ou une offre de services nouvelle peuvent faire évoluer les tendances, créer de nouveaux marchés et faire émerger de nouveaux acteurs.
C’est précisément le but recherché par la BCE à travers la création de l’euro numérique. Il s’agit d’une décision économique et politique forte pour imposer son indépendance et sa souveraineté face à la montée des incertitudes en notre monnaie actuelle afin d’éviter que les crypto monnaies étrangères et non gouvernementales ne viennent se substituer aux efforts d’assouplissement monétaire et d’efforts de soutien à l’économie européenne.
Apparition des crypto monnaies, disparition de l’argent liquide ?
Certains économistes mettent en garde contre l’euro numérique. La mise en place de crypto monnaies a, en effet, certaines limites. L’ensemble de la population n’a pas accès à internet et le paiement par support physique est l’unique moyen de payer (nous pensons aux personnes âgées et aux personnes n’ayant pas accès à internet).
La BCE peut tout de même s’appuyer sur les prévisions de la BRI - Banque des Règlements Internationaux qui aide les banques centrales à tester différentes technologies (l’intelligence artificielle, machine learning), ainsi que d’autres régulateurs, comme l’ACPR (L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution).
La solution sous forme de stablecoins
Les « stablecoins » sont des crypto monnaies dont la principale caractéristique est la stabilité du cours de bourse. A titre comparatif, le cours de bourse du Bitcoin a augmenté de 400 % en six mois, de mi-2020 à janvier 2021 (qui n’est pas un stablecoin). Ainsi, peu importe l’évolution du marché, 1 stablecoin vaudra théoriquement toujours 1 euro ou 1 dollar. Le second avantage non négligeable des stablecoins est qu’il n’y a pas de frais de transaction (convertir 1 stablecoin en 1 euro et vice-versa).
Prenons l’exemple de l’Argentine, pays où les stablecoins sont promis à un grand avenir. Pour cela, il faut comprendre le contexte économique. L’Argentine fait face à une inflation de 36 %. Par conséquent la population voit mécaniquement son épargne diminuer. A noter également à ce titre que le gouvernement argentin a interdit à sa population d’acheter des dollars (valeur refuge pour faire face à l’instabilité de la devise locale, le pesos). Ainsi, et ceci dans le but de se prémunir contre les turbulences du pesos et la paupérisation de la population, plus en plus d’Argentins trouvent refuge dans les stablecoins. Certains stablecoins sont indexés sur d’autres actifs ainsi que du dollars (une manière de contourner le nationalisme argentin).
Ainsi et au vu de tout ce qui précède, nous pensons que les crypto monnaies peuvent devenir des leviers de croissance. Les entreprises peuvent créer elles-mêmes leur propre crypto monnaie, comme Facebook avec le LICRA. Cela serait une manière pour les épargnants d’investir autrement leur épargne qu’uniquement dans l’immobilier (non liquide) ou les actifs financiers (actions, obligations), peu risqués avec peu de rendements dans le cadre des taux bas appelés à durer. Acheter des crypto monnaies assignées à chaque entreprise permettrait aux épargnants de participer à la vie économique des entreprises, de diversifier leur portefeuille tout en créant des synergies et un lien fiduciaire avec les entreprises et permettrai de renforcer la politique de participation des salariés dans les entreprises. Néanmoins, à la différence des stablecoins dont l’efficacité et la résistance aux chocs adverses reste à démonter, l’euro est une monnaie garantie par un système monétaire et des économies solides. Dans ce cadre les crypto-monnaies sont à envisager comme un produit d’ajustement et pas de remplacement des monnaies existantes.
[1] Cf. La politique monétaire : quelles mesures pour réagir et agir face à la crise sanitaire du COVID ? rédigé par Manal Al-Rachdi membre du pole Économie et Finance du Cercle Orion)