Le français – Langue européenne post Brexit ?

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Le Brexit fait suite au référendum britannique du 23 juin 2016, par lequel une majorité d’électeurs s’est prononcée pour un retrait de leur pays de l’Union Européenne (UE). L’invocation de l’article 50 du traité sur l’Union Européenne (TUE) a été notifiée à la Commission le 29 mars 2017 par le Premier ministre de l’époque, Theresa May. Ce n’est qu’à la suite de longues négociations que le Royaume-Uni est effectivement sorti de l’UE à compter du 31 janvier 2020.

La date de retrait de la Grande Bretagne étant initialement prévue pour le 29 mars 2019, les réflexions autour du retour de la langue française comme langue de travail principale des institutions européennes - en place de l’anglais - ont eu l’occasion de se multiplier. 

Lointaine est l’époque où la majorité des commissaires européens s’exprimait en français comme c’était encore le cas sous la présidence à la Commission de Jacques Delors de 1985 à décembre 1994. L’élargissement de l’Union aux anciens pays du bloc de l’Est en 2004 a considérablement changé la donne. Les Commissaires de ces nouveaux États n’entendaient s’exprimer qu’en une seule langue : l’anglais.[1] La langue de travail évolue alors au diapason de ces nouveaux comportements, si bien que les Français travaillant au sein des institutions européennes se voient contraints de se plier à ce nouvel usage monopolistique.[2]

Aujourd’hui, sachant que l’Irlande a fait le choix du gaélique, et Malte, celui du maltais[3], l’anglais n’est même plus une langue officielle au sein de l’Union.[4] La langue de Molière ne pourrait-elle pas tirer profit du retrait du Royaume-Uni pour prendre sa revanche sur la langue de Shakespeare ? 

Les atouts de la langue française sont nombreux. C’est une langue globale. Elle compte près de 300 millions de locuteurs dans le monde.[5] Nombreux sont également les écrivains de renom, reconnus à travers le monde, dont la langue d’écriture est le français. Elle véhicule aussi une certaine sophistication et élégance prompte à rappeler son hégémonie au XVIIe siècle sous le siècle de Louis XIV où elle était sans nul doute la langue des élites.

Hélas, comme le disait Raymond Aron, l’Histoire est tragique. L’anglais est aussi une langue globale. Les fonctionnaires européens continueront toujours à la parler entre eux au sein des couloirs ou des bureaux. Le français ne redeviendra pas, d’un coup de baguette magique, la langue exclusive des élites européennes. Toutefois, la fin de l’anglais comme langue officielle de l’Union peut amener à freiner son hégémonie au sein de l’Europe.

Lors des négociations particulièrement longues et complexes entre les gouvernements, la solution de facilité consistait à s’entendre rapidement sur une seule version écrite en anglais, pour ne pas perdre du temps à éditer chacun des accords dans la langue des États membres. Au lendemain du Brexit, cette solution se révèle périmée. Les principes linguistiques de l’Union imposant de publier les documents de travail et les textes officiels définitifs dans au moins l’une des langues officielles, l’anglais ne peut plus être utilisé aussi aisément qu’auparavant. 

Cet abandon est lourd de sens eu égard au processus décisionnel de la Commission européenne. Le choix d’une langue par rapport à une autre n’est pas neutre. C’est un pouvoir considérable : une langue véhicule ses valeurs, sa culture économique, juridique et sociale. 

C’est ainsi que le terme public service dans la langue de Shakespeare fait référence aux entreprises remplissant des fonctions touchant à l’intérêt général, sans que cela ne signifie que celles-ci doivent être publiques, contrairement aux services publics français qui, eux, découlent, le plus souvent, de la puissance publique. Cela peut ainsi favoriser la voie aux privatisations des entreprises assurant une mission de service public. L’usage de cette langue permettait, en outre, d’assurer la propagation de la culture juridique anglo-saxonne, la Common law , au sein du Vieux Continent qui est pourtant de culture civiliste. 

Les implications juridiques et économiques ayant été évoquées, il faut se demander si les textes européens officiels seront désormais rédigés en français. L’allemand étant la langue la plus parlée au sein de l’Union, sa primauté constitue un obstacle majeur au monopole éventuel de la langue de Molière. La langue de Goethe n’est néanmoins pas aussi globale que le français. Il y a, alors, fort à parier sur un retour du multilinguisme, fidèle aux fondements de ce qu’énoncent les textes de l’Union Européenne, le traité de Rome de 1957 ayant notamment été rédigé à la fois en français, en italien, en néerlandais et en allemand. 

Le français demeure toutefois une langue d’avenir qui gagnerait à être plus efficacement promue au sein de l’Union Européenne.

Quelques propositions concrètes pour parvenir à cet objectif :

-    Maintenir à tout prix un enseignement de la langue française qui soit exigeant[6] ;

-    Prévenir la langue française des divers périls qu’elle connaît actuellement : l’écriture inclusive, les anglicismes, dont sont parfois friand le personnel politique, même au plus haut sommet de l’État[7], et les arabismes ; 

-    Promouvoir la francophonie au sein des États de l’Union, pas uniquement au sein des élites[8] mais de la population, a fortiori de la jeunesse, dans son intégralité ; 

-    Redorer l’image de la France pour ce qui est des belles lettres et des beaux-arts pour qu’un maximum de citoyens européens souhaitent en apprendre la langue. 

[1] « Ce fut un véritable big bang ! Ces nouveaux membres étaient fascinés par les Etats-Unis et l'Otan et ils sont passés du russe à l'anglais américain. Avant cette période, nous étions encore au sein de l'Union un petit club et le français avait gardé une place importante. Les fonctionnaires parlaient français. Ce n'est plus vraiment le cas maintenant ! Certains aujourd'hui sont polyglottes mais ne pratiquent pas le français. Le seul bastion francophone qui demeure se trouve dans les salles de presse. Les portes paroles de la Commission parlent encore en français », témoigne Maroun Labaki, président du club de la presse francophone et du Press Club de Bruxelles.

[2] Les langues de travail des institutions européennes étant officiellement l’anglais, le français, et l’allemand.

[3] Ces deux pays étant également locuteurs de la langue anglaise. 

[4] Les langues officielles de l’Union étant celles de chacun de ses États membres.

[5] 276,6 millions selon la 23e édition d’Ethnologue, publiée en 2020.

[6] Le passé simple comme jadis l’imparfait du subjonctif tend à tomber en désuétude dans les manuels scolaires. Son enseignement est désormais minimal tant à l’école primaire qu’au collège.

[7] Emmanuel Macron et la Start-up Nation.

[8] 80% des fonctionnaires européens seraient francophones.