Les assemblées en non-mixité : de la gauche universaliste à la gauche « diversitaire »

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Les assemblées en non-mixité ne sont pas un phénomène aussi récent qu’on pourrait le croire. En France, la non-mixité provient en premier lieu du mouvement féministe. On en trouve trace dès la Révolution Française. En mai 1793, un club des Citoyennes républicaines révolutionnaires est ainsi fondé et compte uniquement des femmes.[1]Pour ce qui est des assemblées en non-mixité raciale, l’origine est plus récente, provient des Etats-Unis et découle du principe « by us for us », dont l'idée sous-jacente est de pouvoir s'organiser par et pour la communauté afro-américaine afin de lutter contre la ségrégation.[2]

Ces dernières années, sous l’impulsion des mouvements de lutte intersectionnelle - nouvelle convergence des luttes qui remplace les conditions socio-économiques d’existence par l’appartenance catégorielle et communautaire - les assemblées en non-mixité se sont développées, d’abord dans le milieu universitaire, à dessein de créer des espaces préservés des oppressions dites “systémiques”.

Ces assemblées avaient déjà suscité de vifs débats en France, mis en lumière à l’occasion du blocage du campus de Tolbiac (Université Paris I Panthéon-Sorbonne) au printemps 2018. La LICRA (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme) avait alors considéré que l’exclusion des participants blancs caractérisait « une pratique raciste »[3].

Récemment, deux sorties médiatiques ont fait resurgir ce débat. D’abord, l’interview le 17 mars dernier de la présidente de l’UNEF, Mélanie Luce, par Sonia Mabrouk sur Europe 1. Interrogée au sujet de l’organisation d’assemblées interdites aux blancs au sein de l’UNEF, la présidente du syndicat étudiant a d’abord été évasive, avant de reconnaître l’existence de telles réunions, en précisant qu’elles n’étaient que des lieux d’échange et non de prise de décision au sein du mouvement. Ensuite, les déclarations d’Audrey Pulvar, journaliste et candidate PS aux élections régionales en Ile de France, qui a alimenté le débat médiatique en défendant ces assemblées...tout en regrettant l’interdiction aux blancs... dont elle dit toutefois préférer la participation silencieuse. 

Ces pratiques résolument racialistes, sur lesquelles de nombreux responsables politiques laissent planer des ambiguïtés, à gauche de l’échiquier politique et jusque dans la majorité présidentielle, semblent illustrer une véritable fracture au sein de la gauche. En effet, ces pratiques différentialistes viennent percuter les principes universalistes de liberté et d’égalité, à la fois ancrés dans la culture française, mais aussi défendus historiquement par la gauche.


Il est ainsi difficile à l’observateur contemporain de percevoir un rapport quelconque entre la frange de la gauche la plus indigéniste, post-nationale, décoloniale, déterministe et une certaine gauche « des origines », laïque, universaliste, émancipatrice, soucieuse d’arracher l’Homme à ses superstitions et de lui permettre de s’accomplir dans le giron de la nation unificatrice, par-delà les classes et les ethnies.

Ainsi, si est aujourd’hui de gauche celui qui pense que l’égalité demeure, pour tous, un objectif à atteindre, est aussi de gauche celui qui croit que l’égalité est avant tout affaire de gènes et de prédétermination. 

Toutefois, ces assemblées ne sont pas dénuées d’un certain pragmatisme. En effet, si on considère qu’une discrimination subie ne peut être pleinement comprise que par un individu susceptible de la subir, et que de plus, les discriminations vécues sont exprimées plus sereinement dans une assemblée considérée comme homogène, alors on peut tout à fait comprendre leur existence. 

D’autres pratiques issues des courants racialistes posent néanmoins question. Comme la relecture partiale et partielle de l’Histoire qui conduit, par exemple, à réduire l’histoire de l’esclavage à la traite négrière européenne et au commerce triangulaire, faisant fi des pratiques esclavagistes antiques ou de la traite négrière arabe, que bon nombre de militants anti-racistes éludent opportunément.[4]

Le respect de la liberté d’expression est également malmené. Les nouveaux censeurs de la lutte intersectionnelle présentent des catégories identifiées comme ontologiquement oppressées, victimes systémiques dont, par exemple, la seule caricature ne semble plus acceptable. Ces catégories ne se limitent pas aux questions ethniques ou religieuses, mais englobent aussi les identités de genre ou l’orientation sexuelle. Un exemple récent réside dans la démission au journal le Monde du dessinateur Xavier Gorce, préalablement désavoué par sa rédaction à la suite d’une levée de boucliers sur les réseaux sociaux : était insupportable à certains internautes une caricature sur l’inceste incluant des termes jugés déplacés vis-à-vis de personnes transgenres.

La fracture entre universalistes et diversitaires voit émerger une nouvelle grille de lecture. L’ancestrale lutte des classes, basée sur les conditions socio-économiques d’existence, mute vers une coalition des ressentiments catégoriels et communautaires qui visent un ennemi source de toute les oppressions : le patriarcat blanc.

Cette mutation semble correspondre à deux logiques, la première est idéologique, la seconde est électorale. 

D’abord, si la grille de lecture mute, le fonctionnement idéologique est analogue. La vision du monde reste manichéenne, et le déterminisme social demeure omniprésent. Les ressorts idéologiques de la lutte intersectionnelle sont d’ailleurs proches des ressorts marxistes. Il n’est donc pas surprenant que ce discours trouve un écho particulier chez les héritiers du communisme, et laisse dans l’ambiguïté les survivants du socialisme. 

Vient ensuite la logique électorale. Le think tank Terra Nova l’exprime déjà en 2011 par les mots suivants : « En France, comme partout en Europe et en Amérique du Nord, l'électorat de la gauche est en mutation. La coalition historique de la gauche centrée sur la classe ouvrière est en déclin. Une nouvelle coalition émerge : "la France de demain", plus jeune, plus diverse, plus féminisée. Un électorat progressiste sur le plan culturel. […] Il constitue le nouvel électorat "naturel" de la gauche mais il n'est pas majoritaire. »[5] Le pari pour certains responsables politiques est donc électoral mais aussi démographique. Il consiste en l’abandon d’un électorat pour un autre, et se traduit médiatiquement par les prises de position favorables ou ambiguës au sujet des assemblées en non-mixité, ou de tout autre sujet se rapprochant de la lutte intersectionnelle. 

Quelques propositions :

L’interdiction des assemblées en non-mixité est vraisemblablement contre-productive, même si on peut regretter qu’une assemblée homogène soit peu propice à l’échange contradictoire. Il nous semble cependant possible d’agir :

●      en promouvant une lecture critique et complète de l’Histoire, à l’école comme dans les médias, et en se distanciant de la cancel culture et de toute volonté d’effacement de pans entiers de notre Histoire ; et

●      en défendant coûte que coûte la liberté d’expression et en rappelant systématiquement ses limites telles qu’elles sont déjà énoncées par la loi, à savoir l’injure, la diffamation, l’incitation à la haine.

[1] Martial Poirson, « Les trois vies de Théroigne de Méricourt », L'Histoire, n°480, février 2021.

[2] Trois-exemples de non-mixité choisie, France culture, mai 2017

[3] Pourquoi la non-mixité est-elle critiquée, le Monde, avril 2018

[4] Traite négrière occidentale et arabe : l’indignation sélective de l’Afrique, Tribune de Venance Konan dans Le Monde

[5] Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ?, Terra nova, rapport de mai 2011