De la nécessité d’une école de la République laïque et universelle

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Décapité près de son collège à Conflans-Sainte-Honorine pour avoir osé montrer des caricatures de Mahomet à ses élèves, le professeur d’Histoire Samuel Paty est devenu le symbole d’une liberté d’expression durement malmenée jusque dans les salles de classe.

Et Didier Lemaire, professeur de Philosophie en poste depuis plus de 20 ans dans la ville de Trappes de faire monter le débat en généralité en alertant quelques jours plus tard sur la « pression idéologique et sociale » qui s’exercerait de manière croissante sur certains élèves et les retrancherait peu à peu de la communauté nationale[1].

L’actualité la plus récente vient ainsi souligner par l’effroi des difficultés profondes - mais guère inédites - auxquels certains collèges et lycées français sont confrontés au quotidien[2]. Elle montre encore, en creux, le désarroi d’une l’école laïque de la République tiraillée entre le parti combatif de ses irréductibles hussards noirs, et celui de ses serviteurs plus résignés, tentés par les compromissions. Pis-aller douloureux pour certains, véritable solution pour d’autres considérant que la « laïcité de combat » de la IIIème République triomphante a vécu et devrait désormais s’accommoder de la résurgence contemporaine du fait religieux. 

Et les polémiques sur les menus de substitution, les sujets d’Histoire ou de Philosophie contournés par égard à l’esprit des temps, ou les signes religieux ostensibles de s’inscrire dans une forme de récurrence, sans que le législateur ne s’en empare véritablement. 

Ce constat amène à s’interroger. L’école publique est-elle encore capable d’assurer partout et avec une sérénité égale ses missions premières : la transmission d’un enseignement universel, la valorisation de l’esprit critique, de la liberté et du doute raisonnable, le concours essentiel à l’expression de ce « plébiscite de tous les jours »[3] qu’est l’appartenance à la Nation et à la République une et indivisible ? Il est permis d’en douter à l’heure où l’école apparaît au contraire comme le lieu de toutes les crispations, concentrant en son sein les débats les plus brûlants qui agitent l’ensemble de la société.

La loi du 26 juillet 2019 dite « loi pour une école de la confiance », plutôt que de s’attaquer aux problèmes les plus prégnants, aura acté une forme de renoncement en se concentrant avec excès sur des symboles - affichage obligatoire de la devise de la République, des paroles de la Marseillaise, des drapeaux français et européens dans les salles de classe. 

Il est grand temps que le législateur s’empare réellement de ces questions.

Vivre ensemble plutôt que côte à côte 

L’appréhension du fait religieux à l’école est revenue avec force dans le débat public il y a trois décennies. En 1989, dans un collège de Creil, trois élèves étaient exclus pour avoir refusé d’ôter leur foulard islamique en classe. Jusqu’alors peu confronté à ce phénomène marginal qu’est le communautarisme, le gouvernement tergiversera. Lionel Jospin, alors ministre de l’Education, tranchera dans un premier temps en faveur d’une solution de compromis peu opérante - soin confié aux chefs d’établissements de déterminer au cas par cas s’il y a exagération ou prosélytisme - avant que la loi du 15 mars 2004, suivant les préconisations de la Commission Stasi de réflexion sur le principe de laïcité, n’entérine l’interdiction pure et simples de signes religieux à l’école. 

Pourtant, le débat semble aujourd’hui loin d’être soldé.

Un sondage IFOP publié le 3 mars révèle que 52 % des lycéens interrogés se disent favorables au port de signes religieux (voile, kippa, turban, croix, etc.) dans l’enceinte scolaire et que 78 % des lycéens musulmans refusent le droit au blasphème[4]. Il fait écho aux échanges tendus au mois de novembre 2020 entre la secrétaire d’Etat à la jeunesse Sarah El Haïry et une centaine de jeunes sur la perception de la religion à l’école. 

A l’inverse, le baromètre annuel de l’Observatoire de la laïcité publié le 3 février révélait que 59 % des personnes interrogées estiment que l’on n’enseigne « pas assez » la laïcité à l’école, au collège et au lycée, et 80 % estiment qu’elle « fait partie de l’identité de la France »[5]

Apparaît ainsi un fossé générationnel important : les nouvelles générations apparaissent plus promptes à tolérer l’expression de la religion dans les murs de l’école, signe d’une banalisation et d’un modèle universaliste qui ne paraît plus relever de l’évidence. La question des signes religieux ostensibles n’est qu’un exemple parmi d’autres de l’imprégnation croissante du fait religieux dans toutes les sphères de la société, comme en faisait déjà état le Haut Conseil à l’intégration dans un rapport de 2010 remis au premier ministre portant sur les défis de l’intégration à l’école et l’expression religieuse dans les espaces publics de la République[6].  

Pourtant, il nous apparaît que l’enceinte scolaire a tout à gagner à demeurer « un espace séparé, singulier, irréductible », qui ne soit « ni un appendice de la famille, ni un prolongement du forum, ni un étal sur le marché, ni non plus une antenne gouvernementale »[7]Ce maintien hors les murs du fait religieux apparaît comme un préalable nécessaire pour que tous les élèves, quelles que soient leurs sensibilités diverses, aient le loisir d’oublier leur communauté d’origine et de penser à autre chose qu’à ce qu’ils sont, pour pouvoir penser par eux-mêmes.

Sauf à renoncer à construire une communauté de destins, il est urgent de réaffirmer la laïcité au sein de l’école publique. 

Celle-ci ne constitue en rien une atteinte aux libertés de penser et de culte, d’autant plus qu’elle est sans préjudice du droit de chacun de recourir à l’enseignement privé et aux écoles confessionnelles. 

Quelques propositions : 

●      Faire respecter le principe de laïcité à tous les collaborateurs occasionnels du service public y compris aux accompagnateurs de sorties scolaires et aux parents qui sont amenés à entrer dans l'enceinte scolaire pour y suivre une formation.

●      Encourager le recours à des intervenants extérieurs pour apaiser les tensions signalées par le corps pédagogique et appuyer leurs enseignements sur la laïcité et la citoyenneté : Une association telle que Coexister[8] réalise par exemple chaque année plus de 500 interventions dans le milieu scolaire pour rappeler les bases de la Laïcité et déconstruire les préjugés.

●      Annexion obligatoire de la charte de la laïcité de 2013 au règlement intérieur des collèges et lycées publics, et diffusion accrue auprès de tous les personnels des établissements du vademecum « la laïcité à l’école ».

●      Sensibilisation des futurs professeurs à la laïcité au sein des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPE) par la création d’un module commun. L’ensemble des professeurs en activité doivent au demeurant pouvoir bénéficier d’une formation - 74 % d’entre eux déclaraient de 2018 n’avoir eu aucune formation à la laïcité[9].

●      Garantir l’existence de plats de substitution dans les espaces de restauration scolaire pour favoriser l’inclusion de tous, sans céder aux revendications de menus à caractère religieux : tout produit à label religieux étant soumis à une taxe, redevance ou dîme prélevée par une association rituelle.

[1] https://www.nouvelobs.com/societe/20201101.OBS35509/lettre-ouverte-d-un-prof-de-trappes-comment-pallier-l-absence-de-strategie-de-l-etat-pour-vaincre-l-islamisme.html

[2] L’éducation nationale a recensé 931 faits d'atteintes au principe de laïcité de janvier 2018 à novembre 2018.

[3] Ernest RENAN, Qu’est-ce qu’une nation ?, 1882.

[4] https://www.ifop.com/publication/droit-au-blaspheme-laicite-liberte-denseignement-les-lyceens-daujourdhui-sont-ils-paty/

[5] https://www.gouvernement.fr/etat-des-lieux-de-la-laicite-en-france-2020-sondage-realise-par-viavoice-pour-l-observatoire-de-la

[6] Haut Conseil à l’intégration, Les défis de l'intégration à l'école et Recommandations du Haut Conseil à  l’intégration au Premier ministre relatives à l’expression religieuse dans les espaces publics de la République, 2010.

[7] Alain Finkielkraut, L’identité malheureuse, Editions Stocks, 2013.

[8] https://www.coexister.fr/

[9] https://www.cnal.info/wordpress/wp-content/uploads/2018/06/Synthèse-étude-Ifop-etCnal.pdf