Compte-rendu - Dîner Orion 2022 avec Jean-Marc DANIEL

Le Cercle Orion a eu la chance de recevoir, jeudi 18 novembre 2021, l’économiste, professeur et commentateur de la vie économique Jean-Marc Daniel, pour la restitution de son rapport-programme Orion 2022 en sa partie « Économie et Finance ». Les discussions qui prirent lieu ont donné lieu à des échanges vifs et enrichissants.

Dans un premier temps, le thème de la réindustrialisation fut traité. Faisant le constat d’un phénomène qui s’accentue, le Cercle Orion propose un grand plan de réindustrialisation visant à développer notre industrie voire à relocaliser. Le constat est partagé par les invités et le Cercle bien qu’un dissensus existe sur la solution à adopter voire sur l’ampleur et les conséquences du problème. En effet, cette désindustrialisation ne concerne pas nécessairement des secteurs à haute valeur ajoutée pour les secteurs ajoutés ; ainsi le secteur du tabac a-t-il progressivement disparu sans que cela n’ait eu de conséquences importantes pour notre pays, alors même que ce secteur fut en un temps jugé « stratégique ». En revanche, le développement de chaînes à haute valeur ajoutée importe et, faisant l’écho des propos de l’ancienne chancelière Angela Merkel laquelle disait que l’avenir de l’Allemagne se trouvait en Turquie, il est possible pour un pays de disposer matériellement d’usines à l’étranger en recevant la richesse qui y est produit là-bas. De la même manière, il propose un programme d’investissement pour faire face aux défis de la transition énergétique pour lutter contre le réchauffement climatique. Tout en reconnaissant l’ampleur des défis, il ne saurait y avoir de complaisance quant à la capacité de l’État de prévoir les innovations et d’investir en conséquence, selon Jean-Marc Daniel. La dialectique Schumpétérienne entre le planificateur et l’entrepreneur est toujours d’actualité ; l’État n’est pas capable de prédire les évolutions de la technologie tandis que c’est grâce à l’action de l’entrepreneur que naît l’innovation. En revanche, un État « planificateur » aura tendance à limiter l’action de ce dernier en lui imposant des contraintes. Une action étatique en retrait est donc appelée, faisant par ailleurs l’écho de la position du Cercle qui promeut un recentrage des missions étatiques sur ses trois fonctions essentielles.

En outre, si la dette publique en tant que telle n’est pas critique, les phénomènes qui la soutiennent (en premier lieu desquels le déficit public) doivent être adressés ; il s’agit d’une des causes majeures de la perte d’indépendance économique de notre pays qui est, par ailleurs, pas sans rapport avec l’organisation du marché du travail intérieur et du travail en général. En ce qui concerne la dette publique, il est à rappeler que le Cercle Orion défend une renégociation des traités du Pacte de stabilité et de croissance, conçus dans une conjoncture économique différente de l’actuelle ainsi qu’à une stabilisation de la dette publique. Jean-Marc Daniel abonde dans ce sens, argue en faveur d’une meilleure gestion des finances publiques tout en notant que la dette publique ne représenterait pas la menace principale, le principal problème étant celui du manque d’épargne et peu de travail qui empêche tout dégagement financier. En effet, rachetée principalement par la banque centrale, cette dernière rembourse le montant emprunté à l’État tandis que la charge de la dette est en fait prédéterminée par le taux fixé par la Banque centrale. Ainsi l’augmentation de la part de dette détenue par la Banque centrale européenne a-t-elle pour effet d’atténuer la variabilité de cette charge ; la dette demeure donc soutenable. Néanmoins, pour tempérer la situation, la position diplomatique de la France est fragilisée par la non-conformité de l’État aux objectifs en termes de finances publiques prévus par le Pacte de stabilité et de croissance : ce traité, signé et ratifié selon les procédures appropriées et du reste approuvé à une large majorité par les parlementaires, n’est pas respecté ce qui engendre des tensions 

En revanche, le déficit structurel persistant fait peser un risque important pour notre économie et plus précisément sur notre indépendance économique en ce qu’il engendre un déséquilibre extérieur (twin deficit). Il note ainsi que la balance extérieure des paiements a actuellement atteint un niveau inquiétant. Il invite donc les pouvoirs publics à strictement le limiter au déficit conjoncturel pour préserver notre attractivité et surtout notre patrimoine. Cette situation n’est pas sans lien avec le déséquilibre existant sur le marché du travail. L’économiste rappelle qu’une demande excédentaire entraîne nécessairement une hausse des importations et note que la tendance observée ces dernières années a été une durée travaillée qui a diminué pour un revenu qui augmente. Il est notamment paradoxal que l’on demande à ceux proches de l’âge de la retraite, à une productivité sans doute moindre, de travailler plus, alors que les actifs pourraient d’ores et déjà travailler plus ce qui aurait de surcroît pour effet d’augmenter l’épargne et de disposer de capitaux pour investir. Le remplacement du travail (normalement égal à la production selon les règles de …) est néfaste et la priorité doit être la génération d’un excédent dans nos balances, excédents d’ailleurs générés jusqu’à l’adoption du temps de travail réglementaire fixé sur les 35 heures.

Traitant ensuite du marché du travail, le professeur rejoint l’avis du Cercle que la relation de travail salarié – employé est en train d’évoluer en relation client – fournisseur. Il est d’ailleurs, à cet égard, très important de générer des valeurs ajoutées pour garder les emplois qui induiront désormais une plus grande flexibilité. Le télétravail a notamment permis de mettre en valeur cette plus grande disponibilité de la ressource humaine qui s’illustre d’ailleurs selon Jean-Marc Daniel par le fait notamment que les transporteurs publics lyonnais et parisiens constatent une utilisation de leurs réseaux qui correspond à 80 % de celle constatée pendant la même époque actuelle. Cela ne va pas sans remettre en question ls fondements de la protection du salarié dans le droit du travail. Qu’adviendra-t-il d’un accident survenu au salarié en télétravail ? Le droit doit savoir s’adapter à cette évolution (en privilégiant pour le dernier point, notamment les assurances privées) et notamment le contrat de salariat pour lequel Jean-Marc Daniel note une incongruité en France : suivant les observations de Paul Romer, il existe deux types de pays en fonction de la manière dont est valorisée et recrutée la main d’œuvre, ceux valorisant les titres et les autres valorisant les compétences réelles, le savoir-faire. Alors que les premiers ont tendance à adopter en conséquence un droit du travail moins protecteur pour le salarié et les seconds un droit qui l’est plus, la France, qui valorise le titre, n’adopte pas un droit du travail conséquemment plus flexible pour les employeurs ; la flexisécurité (flexibilité dans la sécurité de l’emploi) doit être l’orientation pour les politiques de l’emploi.

Enfin, un dernier point est soulevé par le professeur Jean-Marc Daniel : les menaces contemporaines qui pèsent sur le droit de la propriété privée et la liberté du marché, notamment en ce qui concerne les entreprises. Comme le rappelle Milton Friedmann, les entreprises sont créées pour générer du profit ; elles sont soumises par ailleurs à l’approbation de leurs propriétaires, les actionnaires et surtout par le comportement d’achat des consommateurs. La création d’obligations de responsabilité sociale pour ces dernières constituerait ainsi menace à la liberté du marché qui est naturellement contraint par les exigences notamment environnementales sociales émanant du consommateur. Il note toutefois l’importance de lutter contre les monopoles – soulignant l’importance de la nomination par Joe Biden de Lina Khan à la tête de la FTC qui laisserait à penser une politique plus forte de l’administration en matière de lutte contre les monopoles –, tout en notant pour autant la situation particulière des sociétés du numérique lesquelles se basent sur une économie de réseau de sorte que les consommateurs bénéficient, en souscrivant aux offres proposées par ces sociétés, du réseau ; en d’autres termes, une politique anti-concurrentielle trop vigoureuse affecterait ces derniers ce qui serait contre-nature vis-à-vis de la finalité même d’une telle politique : assurer le bien-être du consommateur sans vouloir le déterminer arbitrairement.