Édito - Les primaires, l’extrême onction d’un parti

Dans un pays, la France, qui croit profondément, mystiquement, à l’émergence successive d’hommes (ou de femmes) providentiels, le recours à des primaires peut sembler incongru. Ce procédé, visant à désigner un candidat parmi plusieurs prétenda  nts à l’élection présidentielle, a été utilisé maintenant à gauche comme à droite depuis l’élection présidentielle de 2017 qui introduisit ce processus, importé notamment des Etats-Unis. Se demander la raison de la multiplication des primaires, c’est constater la disparition du leadership politique. Aujourd’hui, chez LR et apparentés, il n’y a pas de “candidat naturel” - ce concept si français - ou plutôt il y en avait un (François Baroin) qui a refusé. Le dynamisme français des primaires reflète aussi une réalité sociologique, que souligne plusieurs politistes comme Marcel GAUCHET (La droite et la gauche) : notre société politique est devenu le reflet de notre société de consommation. En effet, chacun individuellement veut voir refléter ses idées dans le débat, ce qui atomise les candidatures de politiques devenus des “élus-totems”. Le large spectre des opinions dans la primaire de la droite et du centre en 2016 reflète cette philosophie, et dans une moindre mesure la primaire écologiste de 2021. 

En somme, les primaires c’est l’extrême onction d’un parti politique. En effet, en amont, recourir à une primaire cela acte le manque d’incarnation, d’un commandant charismatique et force de propositions qui mène la barque. Or, la légitimité charismatique webérienne, transcription sociologique de “l’homme providentiel à la française”, est un igniteur de la mobilisation électorale. Sans mesquinerie insultante, pensons à l’UMP de Nicolas Sarkozy puis aux LR de Christian Jacob, ce dernier n’étant d’ailleurs à la tête de ce mouvement que pour éviter une nouvelle guerre interne entre égos-candidats. Ensuite, en aval, la querelle des primaires et sa logique de campagne détruit.

Comment imaginer réellement que les thuriféraires de différents candidats, pris dans l’enthousiasme militant d’une campagne, se raccommodent comme si de rien n’était après s’être déchiré pour l’intronisation ? D’aucuns diront, par réflexe politicien, que le ciment de cette réconciliation est le désir d’intégrer un futur gouvernement. Lien humain bien fragile … Et que dire si les candidats des autres partis reprennent les arguments d’un prétendant à la primaire à propos du candidat désigné, autour duquel ledit prétendant s’est rallié? Oui, la primaire cela a une odeur de souffre et de poudre à canon. Oui, recourir à primaire c’est s’administrer l’extrême onction, c’est le diagnostic que la cancer létal frappant un parti vient encore de métastaser.  

Alors, quel avenir pour les primaires dans l’avenir? Permettons-nous un peu de politique-fiction à droite. Aujourd’hui, nous voyons l’émergence de deux pôles de stabilité à droite : d’une part, Edouard Philippe ; d’autre part, Eric Zemmour. Deux visions de la France, deux conceptions de la droite, dont le dialogue est  démocratiquement stimulant. L’avantage de cette dichotomie, que certains assimilent à la résurrection du duo UDF/RPR, est de refléter des visions ancrées et construites et donc d’éviter une primaire de la droite qui reflète l’amplitude du spectre si étendu de la droite et du centre. Nous pouvons prendre le pari que, dans cette configuration, la primaire a perdu de sa pertinence sur le plan du choix de la ligne. D’autant plus, elle perd aussi de son intérêt pour la désignation du candidat. En effet, Édouard Philippe et Eric Zemmour (ou Marion Maréchal / Laurent Wauquiez) sont charismatiques, ont une aura, une stature. Il est donc raisonnable de penser que la bipolarisation en ccours de la droite, alors que “la poutre travaille” (E. Philippe), éloigne sur cette frange politique la probabilité d’une primaire. S’agissant de la gauche, il convient d’abord qu’il redéfinisse une ligne claire, ou au moins deux, mais ça, c’est une autre histoire …