Les obligations convertibles : une solution pour le remboursement des PGE ?
L’année 2020 a sans nul doute été marquée par l’émergence d’un virus apparu fin 2019 en Chine, qui a très rapidement mis en alerte la communauté internationale. Si le covid-19 a causé la mort de plus de 1,3 million de personnes dans le monde d’après l’Organisation Mondiale de la Santé[1], les dégâts économiques sont également considérables. Les prévisions de l’OCDE, qui prévoient une récession de 4,2% dans le monde cette année[2], en attestent.
En France, l’État a fait le choix, dès le mois de mars, d’une réponse volontariste à cet impact économique de la crise sanitaire, symbolisée par la déclaration du Président Emmanuel Macron assurant les français que « L’État paiera ».[3]Cette politique a notamment pris la forme du Prêt Garanti par l’État (PGE).
Le PGE, un outil destiné à limiter les dégâts économiques de la crise sanitaire
Le PGE a été conçu pour répondre à la baisse, totale ou partielle, du chiffre d’affaires de nombreux commerces à la suite du confinement et des restrictions imposées dans le cadre de la lutte contre l’épidémie. Toute entreprise dont la trésorerie est impactée par le covid-19 peut demander un PGE, quelle que soit sa taille et son statut. Après avoir pris rendez-vous auprès de sa banque habituelle en vue d’un pré-accord, l’entreprise se tourne vers la banque publique d’investissement Bpifrance, qui renvoie un numéro unique permettant, le cas échéant, à la banque habituelle de l’entreprise de finaliser le processus du prêt. Depuis le mois de mai, certaines plateformes de crowdlending telles qu’Unilend et October peuvent également financer ces prêts.
La mesure a même été prolongée : initialement disponible jusqu’au 31 décembre 2020, le prêt peut désormais être demandé jusqu’au 30 juin 2021, à la suite d’une annonce gouvernementale le 15 octobre dernier. Il faut reconnaître que son succès est indéniable, avec déjà plus de 120 milliards d’euros distribués à la mi-octobre par les banques dans le cadre du PGE – un montant bien supérieur à celui constaté dans les autres pays européens ayant accordé des crédits bénéficiant d’une garantie publique. En septembre, le montant de tels prêts s’élevait par exemple à seulement 54,5 milliards d’euros en Allemagne.[4]
Un remède aux effets secondaires potentiellement dévastateurs
Ce succès témoigne du désarroi dans lequel sont plongés les plus de 600 000 entrepreneurs et commerçants ayant déjà fait appel au dispositif. Il risque toutefois de constituer un piège pour beaucoup d’entre eux, qui craignent de ne pouvoir le rembourser qu’avec de grandes difficultés. La problématique est, certes, largement théorique pour l’instant, puisque les entreprises n’ont pas commencé à rembourser le prêt. Nicolas Dufourcq, le directeur général de Bpifrance, se montre d’ailleurs optimiste et estime que le taux de défaut devrait se situer entre 5% et 7% des PGE.[5]
Toutefois, le risque d’un défaut non négligeable est réel, et dépend de l’évolution du contexte sanitaire et économique, et notamment d’un hypothétique retour à la normale pour les commerces à l’activité fortement perturbée depuis le début de l’année. On estime par exemple que le secteur du tourisme, particulièrement important en France, où il représentait 7,4% du PIB en 2018[6], ne retrouvera pas son dynamisme d’avant-crise avant de nombreux mois. Or, un taux de défaut significatif entraînera non seulement la faillite des entreprises incapables de rembourser, mais aussi un coût majeur pour l’État, engagé à rembourser l’essentiel de ce prêt – entre 70% et 90% – en dernier ressort.
En outre, si la plupart des entreprises seront sans doute – espérons-le – en mesure de rembourser in fine leur prêt, il est probable que pour nombre d’entre elles ce remboursement aura été difficile, long, et aura pénalisé leur stratégie d’investissement pour les années qui viennent. Le remboursement du PGE aura dès lors été fait au détriment d’autres postes de dépenses destinés à la croissance et à l’innovation des sociétés concernées.
Il apparaît dès lors qu’il est crucial de s’interroger sur une éventuelle porte de sortie pour les entreprises qui seront vraisemblablement dans l’incapacité de rembourser intégralement ce prêt, voire pour celles pour qui ce poste de dépenses constituera un handicap majeur et stratégique à leur développement.
L'obligation convertible, une solution réaliste ?
Certains responsables politiques et économiques se montrent particulièrement inquiets. Ex-ministre et désormais entrepreneur, Arnaud Montebourg propose que les prêts soient convertis en fonds propres. Considérant que l’on est « en train de fabriquer des entreprises zombies, surendettées et qui finiront par mourir »[7], il décline le concept en fonction de la taille de la société bénéficiaire d’un PGE : « subventions » pour les TPE (très petites entreprises), « obligations convertibles » pour les PME, « participations » dans les grandes entreprises. Au lieu de faire faillite, les entreprises, selon lui, sortiraient « renforcées de la crise ».
Évacuons tout de suite la première de ces suggestions : si transformer la dette en subvention est une proposition assurément populaire auprès des petites entreprises concernées, la mesure pourrait se révéler très coûteuse pour l’État. Pire : elle pourrait conduire à une gestion discutable de la part de chefs d’entreprises n’ayant finalement que peu d’incitation à rembourser leur prêt. Elle pourrait aussi maintenir artificiellement en vie des entreprises déjà en difficulté avant la crise et dont l’avenir, malgré la subvention, est loin d’être assuré. On peut considérer par ailleurs que la proposition ne s’inscrit pas suffisamment dans la philosophie d’un capitalisme responsable et méritocratique, qui est le plus susceptible de conduire le pays à son redressement au lendemain de la crise – et au-delà.
L’idée de transformer la dette en fonds propres via des obligations convertibles est davantage séduisante. Dans ce scénario, le prêt non remboursé est converti en capital. Autrement dit, l’échec de l’entrepreneur à honorer son engagement financier est sanctionné. L’État, engagé à rembourser la banque créancière en dernier ressort, bénéficie d’une compensation – ce qui n’est pas le cas dans l’hypothèse d’une simple subvention. Enfin, et surtout, cela permet d’éviter la faillite des entreprises concernées. D’une certaine manière, on peut considérer que l’ensemble des acteurs bénéficierait de la mise en place d’une telle option, d’une telle porte de sortie.
C’est toutefois ce que cette proposition a vocation à être : une porte de sortie. Un plan B. Une solution, qui ne doit pas être la norme, mais qui peut être envisagée lorsque le remboursement intégral du PGE est irréaliste, malgré les échelonnements déjà anticipés par les pouvoirs publics. Cette solution n’est en effet pas neutre ; il s’agit bien en fait d’une nationalisation partielle de l’économie, où l’État devient de fait investisseur auprès de milliers d’entrepreneurs et commerçants à travers le pays. On peut se demander si c’est là sa vocation ; on peut également douter qu’il serait en mesure de s’intéresser de près à la gestion de ces nombreuses entreprises dont il détiendrait formellement une part de capital.
La question d’une prise de participations auprès des grandes entreprises doit faire l’objet d’une interrogation spécifique. Certaines d’entre elles ont bien sollicité et obtenu un PGE : 500 millions d’euros pour Fnac-Darty notamment, et même dix fois plus (5 milliards d’euros) pour Renault.[8] Du fait de la visibilité de tels groupes, de leur poids dans l’économie française et des passions qui y sont parfois associées, la question de prises de participations majeures et, là encore, de nationalisations partielles voire majoritaires est éminemment politique. Le débat pourrait alors mériter d’être évoqué lors de prochaines échéances électorales, si la santé économique de certains de ces acteurs devait se révéler fragile.
[1] ONU Info, 18 novembre 2020
[2] « Les prévisions relativement optimistes de l’OCDE pour l’économie mondiale : "Il y a l’espoir d’un futur meilleur" », Le Monde, 1 décembre 2020
[3] Allocution du Président de la République Emmanuel Macron, 16 mars 2020
[4] « Les prêts garantis coûteront au moins 3,6 milliards d’euros à l’État », Le Monde, 17 octobre 2020
[5] Nicolas Dufourcq, interview dans Le grand journal de l’éco sur BFM Business, 3 décembre 2020
[6] Direction générale des entreprises, Ministère de l’Économie et des Finances, décembre 2019
[7] Arnaud Montebourg, interview dans Le grand entretien sur France Inter, 12 juin 2020
[8] « Air France, Renault, Fnac Darty... Ces grandes entreprises ont obtenu d'importants prêts garantis par l'État », Business Insider, 20 mai 2020