Quelle place pour les maires dans la crise sanitaire ?

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La gestion de la crise sanitaire, parmi les flots de questionnement qu’elle suscite, remet au goût du jour le sempiternel débat sur le rôle et les pouvoirs du maire, dans une France à la décentralisation aussi souhaitée dans les discours qu’incertaine dans les faits. Alors même que l’exécutif fait face à un flot de critiques relatives à la pénurie de matériels de protection et à la situation difficile de l’hôpital public, les maires sont sollicités de toutes parts par leurs administrés ; à la fois pour renforcer les moyens de lutte contre la pandémie mais aussi pour atténuer les effets du confinement sur les personnes fragiles et le tissu économique local.

Avec 83 % de bonnes opinions[1], le maire est en effet l’élu le plus apprécié des Français, bien loin devant les députés ou sénateurs (33 %), et sans nul doute le plus sollicité par ses concitoyens. Alors même que les élus nationaux sont victimes d’une crise de défiance qui semble durer, le pouvoir local conserve les bonnes grâces du citoyen, et d’autant plus en temps de crise.

Pour préparer l’après, il est donc nécessaire que, dans les mois à venir, l’Etat associe les élus locaux, et plus spécifiquement les maires, à l’élaboration d’une stratégie nationale de lutte contre la pandémie et d’une stratégie de lutte contre la crise économique qui touchera tout particulièrement l’artisanat et les commerces locaux.

En seconde ligne – derrière les soignants – dans la lutte contre le COVID-19, les maires honorent la confiance qui leur est faite en assurant une gestion proactive et efficace de la crise. Et ce par des moyens divers relevant à la fois du pouvoir financier des collectivités, de leur capacité à mobiliser des initiatives solidaires sur le territoire de la commune mais aussi du pouvoir de police dont ils disposent.

Tout d’abord, les maires sont des acteurs de la lutte contre la propagation de la pandémie. En fournissant à certains soignants exclus des circuits de distribution classiques des masques de protection qui font cruellement défaut, ils ralentissent la propagation d’un virus dont le reflux actuel reste fragile. En renforçant quand il est nécessaire les mesures de confinement, avec par exemple des couvre-feux décrétés par arrêté dans certaines communes, ils adaptent les règles nationales à des « circonstances locales particulières ». Les maires agissent donc en complémentarité de l’action de l’Etat dans la lutte contre la propagation du COVID-19.

Par ailleurs, si le confinement est à cet instant la meilleure arme contre la propagation de la pandémie, il génère des difficultés considérables, notamment pour les personnes fragiles. Face à la communication verticale d’un pouvoir central qui ne peut apporter des réponses aux situations individuelles, les édiles ont su apporter, sur l’ensemble du territoire, des solutions de proximité aux difficultés de chaque citoyen en cette période particulière et assurer la continuité du service public. Que ce soit en appui de l’action de l’Etat - avec la mobilisation des personnels municipaux pour participer à la garde des enfants de soignants dans les écoles ; pour continuer d’assurer les missions de service public essentielles dans des conditions correctes, comme par exemple les services funéraires, la collecte des déchets ou l’aide sociale ; ou tout simplement, et notamment en zone rurale, pour aider à l’approvisionnement des personnes fragiles dont les déplacements doivent être limités au strict minimum. La mobilisation des communes a donc permis d’atténuer les effets néfastes du confinement.

Par ailleurs, sur le plan économique, si la plupart des maires ont des compétences et des moyens financiers limités en matière de développement économique, nombre d’entre eux ont décidé de soutenir les commerçants et les artisans locaux qui seront sans aucun doute parmi les plus durement touchés par la crise à venir. Actuellement, l’aide se décline principalement en deux volets avec la mise en valeur de ces commerçants dans les communications des communes et une aide financière par le biais des outils fiscaux. Beaucoup de communes ont ainsi décidé d’alléger la pression fiscale des commerçants et des artisans avec la suspension des loyers des baux municipaux ou l’exonération de certaines taxes ou redevances de petits commerces.

Les maires sont donc aujourd’hui des éléments indispensables dans la lutte contre la pandémie et pour la gestion au quotidien des conséquences économiques et sociales du confinement.

Pour autant, si leur action quotidienne est saluée par les Français, celle-ci souffre d’un déficit de concertation avec les autorités de l’Etat. Cette crise souligne à nouveau les difficultés de dialogue et la concertation entre les maires et l’Etat. Alors qu’en Allemagne, pays où la première vague de l’épidémie a été jugulée en quelques semaines, Angela Merkel privilégie une concertation régulière avec les dirigeants des Länder allemands, les communications ministérielles françaises ne laissent que faiblement apparaître les traces de discussions avec les autorités locales. Cette difficulté de concertation a atteint son paroxysme lorsque des masques commandés par des collectivités ont été réquisitionnés par des préfectures sur les tarmacs des aéroports français. Et elle s’en trouve soulignée lorsque la juridiction administrative suspend l’exécution d’arrêtés municipaux durcissant les mesures de lutte contre le COVID-19[2].

Ce manque de coordination porte préjudice à l’action publique globale à deux titres :

-        En brouillant la clarté du message à faire passer aux citoyens puisque la dualité de communication semble faire apparaître des stratégies différentes, par exemple sur le port du masque dans l’espace public : doit-il être généralisé comme le souhaitait la commune de Sceaux ?  ou non, comme semble l’indiquer la décision référé du Conseil d’Etat qui suspend l’arrêté ?

-        En empêchant la mise en œuvre de moyens puissants de lutte contre la crise sanitaire et la crise économique à venir, associant de concert Etat et collectivités.

Il s’agit donc, pour les semaines à venir, d’établir un dialogue nourri et riche entre associations d’élus et les autorités de l’Etat, afin d’une part d’élaborer une stratégie de déconfinement la plus efficace possible : des discussions communes permettront aux élus locaux de partager auprès des services de l’Etat des bonnes pratiques mais aussi d’anticiper des difficultés opérationnelles et logistiques liées au déconfinement (anticipation de commande de masques « grand public », protection des agents…). D’autre part, ce dialogue permettra d’élaborer ou de penser rapidement des outils nécessaires au soutien des acteurs économiques locaux, si indispensables à la vie de nos villes et de nos villages.

Les maires prouvent de nouveau qu’ils sont des acteurs nécessaires à la vie de notre pays et des relais efficaces de l’action de l’Etat dans les territoires. L’erreur serait de vouloir gérer cette crise sans l’appui de ces élus qui disposent de la confiance des Français.

[1] Sondage ifop 2019, les Français et leurs élus

[2] CE référé 17/04/2020, Port d’un masque de protection, commune de de Sceaux et TA Caen, 31/03/2020, Couvre-feux, commune de Lisieux