À l’ombre de l’État, faire fleurir la politique culturelle parisienne
Alors que la campagne des municipales parisiennes se centre sur la propreté, la sécurité et l’immobilier, les propositions culturelles des candidats révèlent, au-delà de leurs nombreux points communs, un nouveau clivage politique.
Qu’elle soit conçue sous l’angle strictement patrimonial, comme un monde distant à rendre accessible, comme un outil d’émancipation et de mobilisation environnementale, ou comme étant le lien social lui-même, la culture à Paris doit s’adapter à la diversité des identités et surtout à la disparité des quartiers en termes d’équipements. Une gageure quand l’action municipale n’est pas pensée dans une offre plus générale, où l’action étatique a un poids disproportionné par rapport aux autres villes françaises.
L’effet Notre-Dame
Sans surprise, la droite défend une vision patrimoniale de la culture. Rachida Dati (liste Dati pour Paris), sur la quinzaine de vidéos qui lui tient lieu de programme, n’en consacre qu’une à la culture, en forme de réquisitoire contre une municipalité sortante qui n’aurait rénové que les monuments les plus touristiques (pourtant pour la plupart du ressort des Monuments Nationaux ou de l’État). Elle souhaiterait, Notre-Dame oblige, débloquer des moyens supplémentaires pour les églises. L’importance donnée au patrimoine fait passer au second plan la question d’un déséquilibre des différents arrondissements de la capitale.
Démocratisation et « verdissement »
Anne Hidalgo (liste Paris en Commun), dont la politique depuis 2013 vise à rendre leur légitimé et leurs moyens d’expression à toutes les identités culturelles, s’appuie logiquement sur son bilan, chiffres à l’appui : ouverture de deux nouvelles Maisons des pratiques artistiques amateurs, de trois nouvelles bibliothèques, de la Philharmonie en 2015, de La Place, centre hip-hop au cœur des Halles, du musée de la Libération, construction de trois nouveaux conservatoires, pour ne citer que les ouvertures de sites.
La projection dans le futur est moins détaillée. Elle renoue avec un esprit consensuel de démocratisation et de « verdissement », en une demi-douzaine de propositions peu différentes de celles David Belliard (liste l’Écologie pour Paris). Là où l’Écologie pour Paris souhaite une culture qui dans sa programmation promeuve l’écoresponsabilité (avec par exemple un événement annuel culturel et festif autour de l’environnement organisé sur le périphérique), Paris en Commun souhaite aller vers des équipements verts.
L’accessibilité, la proximité et le rééquilibrage des lieux de culture à travers le territoire parisien est au cœur des deux programmes ; avec une priorité au nord et à l’est pour Paris en Commun, ou un nouveau lieu devrait ouvrir, ainsi que des « Plateaux artistiques » sur le modèle du CentQuatre ; avec une extension des programmes culturels (expositions hors les murs) jusqu’aux communes du Grand Paris pour l’Écologie pour Paris.
Quartiers culturels et lien social
Les frères ennemis, Cédric Villani (liste le Nouveau Paris) et Agnès Buzyn (liste Paris Ensemble) n’ont jamais été aussi proches, tant dans l’esprit général de leur programme culturel que dans leurs mesures, plus détaillées que celles des trois candidats déjà examinés. Toutefois, alors que le Nouveau Paris voit dans la culture le lien social lui-même, Paris Ensemble défend une culture de proximité, qui devrait s’incarner dans les 240 quartiers dont la création est prévue à l’échelle de la vie des Parisiens, fidèle à la méthode bottom-up de LRM.
Cette culture de proximité qui émanerait des conseils de quartier, en lien avec les institutions culturelles et les habitants, n’exclut pas un rééquilibrage des territoires : des « hubs culturels » aux Portes de Paris, surtout dans le nord (sous le périphérique, avec des studios et salles de concert), ouvriraient la capitale sur la petite couronne. Des « hubs » qui rappellent volontiers les « plateaux » de Paris en Commun.
À la création de nouvelles infrastructures (hormis une Cité de l’Europe, proposition commune aux deux listes, que Paris Ensemble propose de localiser dans l’hôtel d’Albret, actuel siège de la Direction des affaires culturelles de la ville), le Nouveau Paris privilégie la mise en place d’une programmation itinérante dans les arrondissements périphériques, avec des œuvres des Musées de la Ville, et d’une politique de visibilité avec un label « Dimanche à Paris ».
Soutien au tiers-lieux et projets de long terme
Vikash Dorhasoo et Danielle Simonnet (liste Décidons Paris !) ont aussi une approche sobre en infrastructure. Souhaitant en finir avec le tout mécénat qui oriente la programmation culturelle vers un événementiel de luxe et une privatisation accélérée du domaine public, Décidons paris ! promeut le soutien à des projets de proximité dans une action de long-terme pensée à partir du terrain, via une régie publique des tiers-lieux, qui agirait comme médiateur entre des initiatives citoyennes favorisant le logement d’urgence (pour les artistes comme pour les migrants) et les propriétaires des lieux investis. Dans la même veine, une structure indépendante, sur le modèle des sociétés d’économie mixte, lutterait contre la prédation et la spéculation immobilières sur les lieux culturels existants.
Le rééquilibrage des territoires n’est évidemment pas qu’une question de lieux : encore faut-il que les habitants des quartiers concernés s’y rendent et que la démocratisation de la culture « légitime » ne cède pas la place à une élitisation de la culture « populaire ». L’accessibilité, et ce dès le plus jeune âge, est donc à l’honneur de tous les programmes. Les listes en lice font preuve d’initiatives variées pour rapprocher les écoles des lieux de culture.
Décidons Paris ! propose ainsi un dispositif de jumelage entre écoles et lieux de cultures. Paris en Commun veut rapprocher les écoles des Maisons des pratiques artistiques amateurs pour que chaque enfant découvre et apprécie la culture en la faisant. Paris Ensemble, grâce au retour à la semaine de quatre jours, créerait un « mercredi au vert » dont certains seraient dédiés à la culture et le Nouveau Paris nommerait un référent culture dans chaque circonscription et délocaliserait des cours, une semaine par an, dans un lieu de culture.
L’épineuse question du nombre de places en conservatoire fait aussi l’objet de multiples propositions, qu’elles passent par l’extension des espaces pour Paris en Commun et le déploiement d’antennes dans l’ensemble des arrondissements pour Décidons paris !, ou par la création de « places hors les murs », par exemple dans des écoles affectées à cet usage le samedi, pour Paris Ensemble et le Nouveau Paris.
Un nouveau clivage : politique de l’offre ou de la demande ?
Les implications budgétaires de ces programmes culturels sont diverses, entre des politiques d’infrastructures nouvelles (Paris Ensemble et ses « hubs culturels », Paris en Commun et ses « plateaux artistiques ») et des politiques de signalement de l’offre, d’extension de la programmation ou de protection des espaces de proximité déjà existants (le Nouveau Paris, ses expositions itinérantes et son label dimanche à Paris ; Décidons Paris !, sa carte de l’offre culturelle et sa régie publique des tiers-lieux ; l’Écologie pour Paris, ses expositions hors-les-murs et son événement écologique sur le périphérique). Pour autant, aucune de ces propositions n’est chiffrée.
Si la liste Décidons Paris ! se fait fort de réserver à la culture les fonds que d’autres prévoient d’affecter à la création d’une police municipale, alléguant que Paris dépense moins que les autres villes dans la culture (125 euros par habitants en 2016 contre 141 à Aix-Marseille et 214 à Toulouse[1]), cette réalité est à replacer dans le contexte de forte concentration des structures culturelles nationales à Paris, où le ministère, d’après des chiffres de 2018, a dépensé 139 euros par habitant contre 15 en région[2], majoritairement sur les offres les plus légitimes.
Dans ce contexte, la politique culturelle municipale, quel que soit son degré de volontarisme et son orientation partisane, doit d’abord proposer des lieux où les parisiens, à l’ombre d’une action étatique à rayonnement national et international et à l’heure où la demande culturelle commence à s’émanciper de la prescription[3], pourront faire eux-mêmes les arts et les cultures qui leur ressemblent.
Apparaît alors la véritable ligne de fracture de ces programmes, entre ceux qui appliquent (encore) un schéma où l’offre créée sa demande, suivant une logique descendante de démocratisation culturelle et au risque d’une certaine violence symbolique, et ceux qui prennent (déjà) le pari d’une demande qui créerait son offre, transversale et incarnée dans des tiers-lieux à la vocation autant civique, politique et économique que culturelle.
[1] https://www.liberation.fr/checknews/2019/04/17/le-budget-culture-de-la-ville-de-marseille-est-il-comparable-a-celui-des-autres-villes-francaises_1721894
[2] https://www.lexpress.fr/culture/culture-139-euros-pour-les-franciliens-15-ans-pour-les-autres_2081344.html
[3] http://theconversation.com/quelle-place-pour-la-culture-dans-les-elections-municipales-131944