Le premier sommet de L’ONU sur la biodiversité. Peut-on organiser la protection des espèces à l’échelle internationale ?
« Nous n'avons pas le temps d'attendre. La perte de la biodiversité, la perte de la nature, est à un niveau sans précédent dans l'histoire de l'humanité » explique Elizabeth Mrema, la secrétaire exécutive de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique.
Le 30 septembre dernier a eu lieu le premier Sommet des Nations Unies sur la biodiversité, l’occasion de faire un rappel sur cette situation alarmante et souligner le manque d’efficacité sur ce sujet à l’échelle internationale. L’urgence est rappelée par Volkan Bozkir, le secrétaire de la 75e session de l’Assemblée Générale de l’ONU : « Le déclin des écosystèmes est l’une des principales menaces pour l’humanité. ».
Alors que le WWF a publié un rapport montrant que 68% des espèces animales (mammifères, oiseaux, amphibiens, reptiles et poissons) ont disparu entre 1970 et 2016, António Guterres, le Secrétaire Général de l’ONU déplore que les « efforts n'ont pas été suffisants pour atteindre les objectifs mondiaux en matière de biodiversité fixés pour 2020 ». En effet, en 2010 les états membres avaient adopté les objectifs d’Aichi, une vingtaine d’objectifs visant à la sauvegarde de la biodiversité et sa restauration dans les écosystèmes les plus dégradés. Le constat est donc très inquiétant car dix ans plus tard, même si les objectifs étaient louables, rien de significatif n’a permis d’inverser la tendance. La sixième extinction de masse n’a pas été arrêtée par notre système de gouvernance internationale. Des actions concrètes qui remettent en question les processus de destruction systématique de la biodiversité par nos systèmes économiques et politiques sont maintenant nécessaires.
Ce sommet relance le sujet de la protection de la biodiversité sur la scène politique internationale. Lors de l’événement, un document « Leaders’ Pledge for Nature : United to reverse Biodiversity Loss by 2030 for Sustainable Development » a été signé par 75 États membres. Bien que le document ne précise pas de chiffres, il souligne la nécessité d’inverser la tendance actuelle. Le document était ouvert aux acteurs non étatiques mais rares sont ceux qui ont franchi le cap. Notons également que ni la Chine, les États-Unis, le Brésil, l’Inde ou la Russie n’ont signé l’appel. Tant que tous les acteurs ne joueront pas le jeu de la coopération, c’est qu’on qualifie de « «dilemme du prisonnier », les chances de progrès significatif resteront que très peu probable. Et malgré la gravité de la situation, aucune solution ne prend forme face à ce problème de taille. La prochaine étape des discussions se tiendra à Kunming en Chine, en mai 2021 pour la COP 15 sur la biodiversité. De nouveaux objectifs seront mis en place pour 2030, se basant sur ce premier texte. Bien que la volonté de l’ONU et d’une grande partie de ces acteurs soit affichée et le constat connu, il y a donc de grandes raisons de douter que les mesures prises seront à la hauteur.
Ce sommet a également été l’occasion de rappeler que la protection de la biodiversité n’est pas qu’une préoccupation environnementale, mais touche à tous les domaines, que ce soit le domaine de la santé ou l’économie. Les systèmes de santé reposent sur la biodiversité, les médicaments sont principalement issus de la biodiversité et 60% de la population mondiale y a recours. Les conséquences économiques aussi pourraient être catastrophiques. Mais, António Guterres souligne que protéger la biodiversité pourrait désormais débloquer des opportunités à hauteur de 1000 milliards de dollars et « la création de 395 millions d’emplois d’ici 2030 ». De même, rapport Stern qui déjà en 2007 soulignait que le prix des dégâts écologique sur le long terme seront plus élevé que le coût d’investir maintenant. Il faut agir massivement et immédiatement afin de pouvoir prévenir des dégâts futurs plus importants pour nos sociétés.
Le Secrétaire Général a aussi profité de l’occasion pour rappeler que l’émergence des épidémies est corrélée avec la destruction de la biodiversité. Comme nous le rappelions dans notre Manifeste pour le Monde d’Après, le lien entre la perte de la biodiversité et les changements climatique entraine une prévalence des maladies infectieuses. À titre d’exemple, la destruction de 4% de la forêt amazonienne a causé une hausse de 48% des cas de paludisme.
Enfin, trois points sont à souligner pour penser le futur et la politique internationale sur la biodiversité. Premièrement, les plans de relance de l’après Covid-19 doivent prendre en compte la biodiversité. Deuxièmement, les systèmes économiques doivent prendre en compte la biodiversité dans leurs modèles de calcul. La biodiversité n’est pas prises en compte quand il s’agit de calculer les risques et conséquences d’une politique ou d’une décision financière. L’adage « ce qui n’est pas compté ne compte pas » prend ici tout son sens, si l’on détacher l’action de sa conséquence sur la biodiversité en ne la comptant pas, on ne peut adapter l’action.
Enfin, il faut mettre en place des objectifs ambitieux qui prenne en compte les questions de justice sociale. Les ménages les plus pauvres sont les plus dépendants des écosystèmes, les politiques mises en place devront porter une attention particulière à la mise en place de pratique durable et juste. Encore faut-il s’en donner les moyens, et que tous les acteurs adoptent ce sujet comme une priorité.
Pour une refonte de notre façon de penser les problématiques écologique et de biodiversité.
La pandémie de cette année, résumée à sa simple origine nous rappelle que l’humanité et nos pratiques reposent sur des ressources naturelles, et qu’une gestion non durable, voire une destruction directe de ces ressources met à mal nos sociétés. La mauvaise gestion de la biodiversité et les pratiques non durables sont l’une des raisons fondatrices de la pandémie que nous connaissons. D’autres peuvent être attendues si la tendance n’est pas rapidement inversée.
Comme le rappelle Paul Leadley, professeur d’écologie à l’université Paris-Saclay et spécialiste de la biodiversité, ériger de grands objectifs n’a que peu de sens sans une transformation de notre façon de produire et de consommer. Il faut également allonger la temporalité de la vision politique sur ces sujets, ne plus renforcer les pratiques certes rentable à court terme mais destructrice à long terme, et investir dans une transition de pratique durable. Que cela soit dans le domaine de l’alimentation, des ressources forestières ou encore de utilisation des sols.
Ce changement de paradigme ne peut être qu’internationale. L’absence de plusieurs états et acteurs lors du sommet alerte sur la possibilité d’imaginer de manière réaliste un changement à la hauteur des besoins. Comme nous l’expliquions dans le Manifeste pour le Monde d’Après les objectifs pour lutter contre le changement climatique, n’ont que très peu de chance d’être réalisés en l’absence de mécanismes contraignants. La même chose peut être dite des objectifs pour la protection de la biodiversité. De fortes décisions politiques et des changements de méthode doivent être adopté par tous les acteurs. L’ancien système fait de promesses souvent vides et de compromis ne sera pas suffisant.
Il s’agit d’intégrer la biodiversité dans l’économie à l’échelle mondiale, non pas comme une limite à respecter, mais bien comme une multitude de ressources dont nos systèmes économiques, médicaux et sociaux dépendent. Les pratiques insoutenables en cours dans les divers domaines ayant un fort impact sur la biodiversité, de l’artificialisation des sols à la pêche en passant par la gestion des forêts, doivent être pensées à plus long terme. Un changement de modèle global doit prendre forme si les différents acteurs veulent avoir une chance de réaliser les prochains objectifs dans un premier temps, mais également pour assurer la survie et prospérité des générations futures. L’intégration des paramètres écologiques dans chaque décision politique ou économique est un prérequis à toute action. Tous les acteurs ne vont pas coopérer du jour au lendemain, mais si assez d’acteurs jouent le jeu en adoptant des mesures strictes et en créant des mécanismes contraignant, les pratiques et les règles peuvent changer. Des actions directes peuvent également être prises rapidement. Comme par exemple créer des espaces naturelles protéger et donner aux populations locales les moyens d’y vivre durablement ou faire des études sur l’impact d’une décision sur la biodiversité afin de mieux en juger les mérites.
Mais le problème de la biodiversité n’est pas isolé. Prenons l’exemple de la biodiversité maritime. Afin de réduire notre impact sur cette biodiversité, il faut rendre durable notre consommation de ses produits, ce qui implique de rendre durable tout le secteur de la pêche maritime. L’industrie toute entière doit être transformée, les institutions doivent planifier cette transition et aider le secteur et enfin les individus doivent changer leurs pratiques. De plus, protéger cette biodiversité, c’est aussi lutter contre l’acidification des océans, leur réchauffement et la pollution, notamment de plastique. Il faut donc prendre des mesures dans tous les domaines, contre le réchauffement climatique et la contre la pollution au sens large.
La destruction de la biodiversité n’est pas un sujet à remettre à plus tard ou une conséquence dommageable d’un échange entre destruction de la nature et gain économique qui serait au final bénéfique pour l’humanité. L’équilibre de nos sociétés repose sur ses ressources, leur destruction est un choix politique qu’il ne faut pas laisser hors du champ des discussions, au risque de mettre en péril le futur des générations futures et leur capacité à vivre dignement dans leur environnement, si cela n’est pas déjà fait.