L'Europe, notre avenir commun (Les Echos, 10 avril 2019)

L’Europe est à une période charnière de son histoire. Trop vilipendée, elle doit être repensée de fond en comble afin d’insuffler un nouvel élan et être capable de peser face aux Etats Unis et la Chine.

L’Union Européenne (UE) est en panne. Le volontarisme d’Emmanuel Macron se heurte aux réticences d’Angela Merkel, fragilisée au sein de son propre parti et à la montée des populismes, notamment en Italie. Le Brexit est un autre élément de complication alors que l'impuissance de Theresa May se double d’une irresponsabilité ; la meilleure option dans l’intérêt de tous étant sans conteste la mise en place d’un second référendum, ce que le Premier Ministre se borne à ne pas provoquer.

Le cas de l’Italie est aussi très préoccupant. Les provocations incessantes de Matteo Salvini dans un pays fondateur de l’UE sont alarmantes. Le dernier fait d’arme concernant son ouverture aux Grandes Routes de la Soie chinoises à l’occasion de la venue de Xi Jinping en Europe fait montre d’une méconnaissance profonde des rouages géopolitiques du monde contemporain. Alors qu’il serait urgent de ne peser que d’une seule et unique voix à l’échelle européenne, l’Italie a fait fi du jeu multilatéral et coordonné pour négocier un accord bilatéral avec la Chine considérée comme « rival systémique » par l’UE.

L’absence d’uniformité des européens n’est que le symptôme d’un mal plus profond. L’UE ne fait plus rêver et est considérée comme bouc-émissaire des maux des citoyens. Elle est considérée comme déconnectée et trop technocratique. Elle se disloque alors que le temps devrait être à l’harmonisation politique à l’heure du repli sur soi et des craintes de la mondialisation.

La vérité, c’est que l’UE est la seule échelle géographique crédible pour être un acteur de puissance au XXIe siècle. Celles et ceux qui s’appuient sur les peurs pour défendre le repli sur soi, la remise en place des frontières ou la dislocation de tout l’édifice multilatéral de l’après Guerre basé sur la collaboration renforcée, mentent aux citoyens et ne servent que leurs intérêts partisans.

S’agissant tout d’abord des réformes des institutions, il est impensable de bloquer le processus décisionnel par le vote à l’unanimité des Etats. L’UE ne peut être forte que si les Etats membres partagent des intérêts communs. Or, force est de constater que ce n’est plus le cas et que les élargissements successifs ont été irréfléchis et mal pensés. La coopération renforcée doit évoluer et se recentrer sur les pays qui souhaitent davantage d’intégration. Ce processus de fédération d’Etats doit se poursuivre avec celles et ceux qui en sont volontaires. Il est impensable de freiner l’intégration à l’heure où seule la force fait la différence dans le renouvellement de la puissance à travers le monde.

L’exemple de la fusion d’Alstom Siemens par la Commission européenne est révélateur d’un bon nombre de dysfonctionnements et d’incompréhensions. Le droit de la concurrence régit la société et est censé protéger le consommateur.

L’interdiction de la fusion des deux mastodontes est symptomatique de l’absence suffisante d’intégration européenne, notamment sur la politique industrielle. Le fait est que la Commission n’a fait qu’appliquer les règles régissant la concurrence sur le marché européen et l’abus de position dominante. Ceci appelle à trois remarques :

Le marché pertinent qui s’applique à l’échelle strictement européenne doit être étendu au marché international. Alors, la position dominante d’Alstom Siemens au niveau européen n’aurait pas été considérée comme telle si elle avait été considérée à un niveau géographique mondial, beaucoup plus large et pertinent. Ceci appelle à réformer notre droit de la concurrence.

Le deuxième point concerne le nécessaire établissement d’une politique industrielle de l’Europe. L’UE gagnerait à profiter de la décision de refus de la Commission pour fonder une politique commune industrielle qui est aujourd’hui du ressort des Etats. Il s’agit de réaliser un transfert de souveraineté pour que l’UE puisse être plus compétitive et dotée d’une croissance durable face à ses partenaires mondiaux. La politique industrielle est une des solutions pour retrouver une souveraineté européenne digne de ce nom en n’ignorant pas naïvement la naissance de champions chinois ou américains.

Enfin, le droit de l’UE est souvent considéré comme puriste et peu flexible. Il ne faut pas feindre d’ignorer les pratiques de nos principaux rivaux que sont les Etats Unis ou la Chine. Les pratiques des aides publiques abondantes en Chine ou celles de la préférence nationale assumée aux Etats Unis doivent nous ouvrir les yeux. Nous ne pourrons rivaliser avec eux que si l’Europe se dote elle aussi de mesures de protection intelligentes et coordonnées.

Pour que l’Europe politique puisse enfin exister, les institutions doivent être repensées profondément, plus transparentes et plus proches de tous les citoyens. La vérité, c’est que nous n’en avons pas le choix. Les prochaines élections européennes seront les plus importantes pour la pérennité de l’UE au XXIème siècle. Soit les Européens prennent en main leur destin en comprenant les impératifs de l’intégration à l’heure de la mondialisation, soit l’Europe périclitera en se faisant abondamment distancer par les Etats Unis puis par la Chine, qui rappelons-le, a déjà posé ses jalons sur le continent européen à travers les investissements des Routes de la Soie de 2,5 milliards d’euros en Italie.

Tous ces enjeux se doivent d’être expliquées avec pédagogie. L’élection de mai ne doit pas être une élection boudée où l’on vote pour des étiquettes politiques. L’enjeu est profond car c’est l’avenir des Européens et leur capacité à demeurer une puissance de taille qui va se déterminer.